Depuis des années, les chercheurs débattent de l’addiction aux jeux vidéo sans arriver à des résultats convaincants. La définition du trouble, sa prévalence, ses mécanismes, son évolution restent encore largement méconnus. Finalement, c’est l’existence même du trouble qui est discutée. Un des problèmes critiques posé par l’addiction aux jeux vidéo est qu’elle ne correspond pas nécessairement à des personnes qui présentent des troubles psychosociaux. Or, pour qu’un ensemble de symptômes puissent former un trouble, il est absolument nécessaire qu’ils soient liés à des dysfonctionnements importants et durables dans des domaines importants de la vie quotidienne.

Il est donc nécessaire de se donner les moyens de distinguer des personnes qui présentent le trouble avec des difficultés sociales de toutes les autres. C’est à cette question que s’attaque l’étude pré-enregistrée menée par Carras et Kardefelt-Winther. Les auteurs mettent en avant la nécessité d’avoir un modèle bi-axial de l’addiction qui prenne en compte à la fois la présence ou l’absence de symptômes de l’addiction et la présence ou l’absence de symptômes psychosociaux.

Les chercheurs ont utilisé les données de l’étude européenne EU.NET.ADB qui porte sur l’utilisation problématique et non problématiques d’adolescents (14-17 ans) européens. L’étude porte sur 13.708 étudiants de 7 pays d’europe. Les données ont été collectées en 2011-2012. Au final, 13460 questionnaires ont pu être traitées.

  • L’addiction aux jeux vidéo en ligne a été mesurée avec la Scale for the Assessment of Internet and Computer game Addiction – Gaming module, qui mesure des dimensions de l’Internet Gaming Disorder comme la perte de contrôle, la poursuite du jeu malgré des conséquences négatives, le syndrome de manque, la tolérance et la préoccupation.
  • Le bien-être psychologique a été mesuré avec la Youth Self Report Scale qui permet d’évaluer le fonctionnement psychologique au quotidien
  • L’addiction à l’Internet a été mesurée avec l’Internet Addiction Test

Le traitement statistique des données apporte les résultats suivants 

L’intérêt de l’étude de Colder-Carras et Kardefelt-Winther est qu’elle montre que le groupe des personnes concernées par l’IGD est très divers. Les auteurs montrent en effet que les symptômes de l’IGD (préoccupation, tolérance, perte de contrôle, manque) et les problèmes psychosociaux se répartissent sur les groupes suivants : “Normal”, “À risque”, “Passionné”, “Inquiétant” et “IGD”. Le groupe “Normal” comprend les joueurs qui ne répondent pas aux critères de l’IGD et qui n’ont pas de troubles psychosociaux. Les joueurs “À risque” ont des symptômes moins importants que les joueurs IGD, mais répondent aux caractéristiques du trouble. Les joueurs “Inquiétants” ont peu de caractéristiques de l’IGD, mais quelques symptômes gênants. Enfin, les “Passionnés” ont quelques symptômes, mais ils sont inférieurs à ceux des joueurs “A risque”

Colder-Carras et Kardefelt-Winther apportent des éléments importants à la discussion en faisant des hypothèses sur le fonctionnement des différents joueurs.

  • Les “Engagés” sont pour eux probablement des personnes qui utilisent le jeu vidéo comme un mécanisme de coping positif c’est à dire qu’ils s’appuient sur le jeu vidéo pour traiter des problèmes qu’ils peuvent avoir par ailleurs. Il est aussi possible que ce soit des joueurs qui ont aucun problème.  
  • Les joueurs “A risque” sont des adolescents qui font face a une augmentation de facteurs de stress internes ou externes, ou qui ont un meilleur insight sur leur fonctionnement interne que les adultes qui les entourent.. 

En fonction du type de joueur, les stratégies d’intervention devront être différentes. En effet, pour les Engagés, faire un diagnostic d’addiction conduit inévitablement à une réduction du temps de jeu et donc a la suppression d’un mécanisme d’adaptation efficace. L’intervention va susciter plus de problèmes que de solution et au final aggraver la situation du patient. Pour les joueurs “A risque”, il est possible qu’une diminution du temps de jeu soit une partie de la solution, 


Au final, pour Colder-Carras et Kardefelt-Winther, la définition de l’addiction aux jeux vidéo doit être révisée parce qu’elle conduit a des diagnostics et des traitements inappropriés pour les “Engagés” et échoue a identifier les problèmes des joueurs “A risque”. Selon leur étude, la définition de l’addiction aux jeux vidéo conduit à un mauvais diagnostic dans 33% des cas. Ils recommandent donc tout logiquement que les définitions suivantes de l’addiction aux jeux vidéo prennent en compte les inquiétudes des joueurs par rapport à leurs expérience vidéo-ludiques et les problèmes psychosociaux

Mon avis

  • L’étude de Colder-Carras et Kardefelt-Winther confirment les observations des psychothérapeutes qui rapportent que le groupe “joueur dépendant aux jeux vidéo” est trop hétéroclite.
  • Je suis les auteurs lorsqu’ils recommandent de réviser la définition de l’Internet Gaming Disorder. Malheureusement, ce n’est pas la direction prise par l’OMS avec le projet d’une inclusion d’un Gaming Disorder dans la future CIM-11. Avec 3 critères seulement, cette définition amènera beaucoup plus de faux positifs et de faux négatifs que l‘Internet Gaming Disorder.
  • La plus grande proportion des joueurs problématiques est constituée de joueur “A risque” et de joueurs “Engagés”. Cela veut dire qu’avant de parler d’addiction, il est urgent de se demander si 1) si le joueur souffre de quelque chose et 2) le joueur ne fait pas face à des stresseurs qui dépassent sa capacité d’adaptation. Aucun traitement psychothérapeutique ne peut-être engagé ni ne doit être engagé lorsque la personne n’a pas de dysfonctionnements dans des domaines importants de sa vie.
  • L’étude ne règle pas la question de la réalité d’un trouble de l’addiction aux jeux vidéo. Ce n’était pas son objet, mais il est important de remarquer que la question se pose encore.