Si l’horaire a été respecté, la soutenance de la thèse a démarré. En voilà le texte.
Madame, Messieurs les membres du jury
C’est avec un grand plaisir que je présente aujourd’hui un travail de recherche mené sur les groupes en ligne.
Je l’ai intitulée « Psychodynamique des groupes sur le réseau Internet » et je voudrais vous le présenter en quatre parties.
La première partie parlera d’histoire. Il s’agira de l’histoire du réseau, de son invention et de expansion. Il s’agira également de l’histoire d’une recherche : comment est ce que les groupes en ligne sont devenus l’objet de la recherche d’un psychologue
La seconde partie présentera les dispositifs. Ce que l’on fait en ligne est intimement lié à des dispositifs qui empêchent ou qui permettent. Certains dispositifs permettent des opérations – par exemple l’archivage – que d’autres ne permettent pas. Cela a un effet sur la manière d’appréhender les lieux pour les individus et pour les groupes.
La troisième partie abordera les théories élaborées a propos du réseau. J’y présenterai les travaux de mes prédécesseurs ainsi que mes propres constructions théoriques
La quatrième partie abordera les groupes en ligne, leur morphologie et leurs dynamiques. J’y montrerai que les dynamiques de groupe que l’on retrouve en ligne sont comparables à celles que l’on trouve hors-ligne.
Enfin, je conclurai sur quelques éléments de prospective.
HISTOIRE. GENEALOGIE D’UNE RECHERCHE.
Un de points d’origine de cette recherche commence ma rencontre avec un curieux appareil. Nous sommes en 1984 et je découvre au-delà d’un cercle d’adolescents très concentrés une petite boîte qui anime les images d’un téléviseur. Pour la première fois de ma vie, je rencontre un ordinateur. J’apprends qu’il s’agit d’un ZX-81. La séduction est immédiate. Devenir producteur des images projetées sur un téléviseur, pouvoir interagir avec elles me semblait alors prodigieux. Je dois dire que cette magie est toujours intacte. Je réussi à obtenir une de ces machines, et depuis elles accompagnent mon quotidien.
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Je suis psychologue lorsque je découvre les groupes de discussion sur Internet. A l’époque WWW voulait dire « wait … wait… wait… » mais j’avais entendu que « la-bas », « sur Internet », il y avait des groupes ou l’on pouvait parler de tout et de rien. Je mets quelques minutes a charger la bonne dizaine de milliers de groupes de discussion. J’apprends à découvrir peu à peu la culture de Usenet, son histoire, son attachement au texte brut, et ses querelles intestines endémiques. Je découvre la force des liens en ligne, et je commence à faire le lien avec ce que je peux vivre dans les groupes psychothérapeutiques ou dans les groupes de formation.
Je reste sur Usenet pendant 5 années jusqu’à ce qu’une guerre d’édition de trop me jette sur le Web. Le web est à un usenaute ce que Las Vegas est aux mormons : un lieu de déperdition, de mœurs relâchées, ou l’on s’adonne aux images et au texte enrichi. J’y découvre cependant que l’on y retrouve les même dynamiques que sur Usenet. De 2003 à aujourd’hui, je n’ai pas cessé, comme tant d’autres, à être sur le web.
HISTOIRE. GENEALOGIE DU RESEAU.
SLIDE <HISTOIRE DU RESEAU>
En 1957, les astres se découvrent un nouveau « compagnon de route ». Devant l’immense retard technologique qu’ils découvrent, les Américains se donnent de nouveaux moyens de recherche. En 1958, D.W. Eisenhower crée l’ARPA (Advanced Research Program Agency). Il lance ainsi la course à l’espace, mais également le point de départ de la construction du cyberespace.
Il faut juste 10 ans pour que à l’issue d’une aventure technologique extraordinaire, un premier réseau informatique soit mis en place. Il prend le nom d’ARPANET et il sera un laboratoire vivant dans lequel des utopies seront expérimentées. Il faut 10 ans de plus pour qu’un nouveau réseau soit mis en place. ARPANET était limité aux campus universitaires américains. Quatre étudiants lui donnent un extension planétaire. Ce sera USENET, centre vibrant de la vie en ligne pendant plus de 20 ans. Encore une décennie, et Tim Berners-Lee annonce sur Usenet une nouveauté : le web. Il a programmé sur un ordinateur qui lui faisait penser à la machine à coudre de sa mère une nouveauté qui va se répandre comme une trainée de poudre dans le cyberespace. A la Noël 1989, il y avait une page web. Elles seront 8 billions en 2005. Depuis, même Google ne les compte plus. A partir de là, les choses s’accélèrent. Le Web n’est plus le web. Il prend le nom de Web 2.0 et désigne un ensemble disparate de pratiques et de dispositifs. Un mot les rassemble : gigantisme.
SLIDE <BIG>
En quelques années, précisément celles de cette recherche, le réseau a muté. Il s’est transformé sous l’afflux massif de nouveaux arrivants – ce qui est déjà une question de groupes – mais également sous le poids de nouvelles données provenant de l’hybridation de la téléphonie mobile sur le réseau.
DISPOSITIFS
Pour accueillir cette multitude, des dispositifs ont été construits. Ce sont les listes de diffusion, les forums USENET puis les forums web, les bavardoirs, et les sites de réseaux sociaux
SLIDE <DISPOSITIFS LISTE DE DIFFUSION>
Les listes de diffusion sont une application particulière du mail. Chaque utilisateur de la liste de diffusion poste à une adresse commune – par exemple psychanalyse@yahoogroupes.fr – et ce message est ensuite diffusé auprès de tous les abonnés de la listes.
SLIDE <DISPOSITIF BAVARDOIR>
Un bavardoir est un dispositif de communication synchrone. Il est sans mémoire. Il est donc impossible à quelqu’un de savoir ce qu’il s’est passé avant qu’il se connecte sur le chat.
SLIDE <DISPOSITIF FORUM>
Les forums web reprennent les caractéristiques des forums USENET. Les forums sont composés de différents groupes qui contiennent différents fils de discussion. Les messages sont archivés et peuvent faire l’objet de recherches. Les membres du forum disposent d’un profil sur lequel s’affichent quelques stigmates sociaux : nombre de messages, ancienneté, avatar, nom.
SLIDE <DISPOSITIF SITE RESEAU SOCIAL>
Les sites de réseau sociaux émergent en 1997 et décollent en 2003-2004. Un site de réseau social un réseau social constitué de profils et de système de liens navigables. Facebook et son demi-milliard d’utilisateurs est sans nulle doute le plus connu, mais il existe des sites de réseaux sociaux pour a peu près tout. Certains sont dédiés au travail académique, d’autres à la beauté, à la laideur, aux films ou séries télévisées, à la localisation dans l’espace géographique … Sur la plupart de ces sites, l’utilisateur dispose d’un profil qui détaille son identité en ligne, ses gouts tandis que des badges donnent des instantanés de l’identité de la personne ou de la personne.
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LES THEORIES
Comment comprendre le réseau et ses dynamiques ? Il m’a semblé qu’un détour par l’imaginaire était utile. Le réseau embarque en effet plusieurs imaginaire. Il y a celui qui vient de l’héroic fantasy et de la science-fiction et qui a servi à nommer objets et pratiques sociales. Il y a ensuite celui qui accompagne toute technique. On retrouve à propos de l’Internet les structures de l’imaginaire telles que les dégage Gilbert Durand, les visions du monde technique repérées par Lucien Sfev, les mythes dynamiques de Abraham Moles ou les « miracles » et « frayeurs » de Victor Scardigli. C’est cet imaginaire qui permet de comprendre pourquoi l’Internet peut être porté aux nues ou voué aux gémonies
C’est ensuite vers Michel Foucault que je me suis tourné. Dans une conférence lumineuse, le philosophe avait parlé d’ « espaces autres », des espaces « hétérotopiques », des espaces « sans lieux ». Par ailleurs, l’Internet se rapproche des dispositifs panoptiques décrits dans Surveiller et Punir » : chaque action en ligne laisse une trace qui peut être utilisée à des fins de surveillance. Si les mondes numériques se sont développés loin des pouvoirs, à l’abris de « la grande cordillère » il bien reconnaitre que tout dispositif numérique tend à se transformer en instrument de domination et de maitrise a proximité d’un pouvoir.
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Les approches psychologiques du réseau sont encore rares.
John Suler (1996-2008) a fait une œuvre pionnière rapportant de ses expériences de The Palace une élaboration des caractéristiques du cyberespace, une analyse des fonctionnements individuels et groupaux et en jetant (avec d’autres) les bases de la psychothérapie en ligne.
Michael Civin a repris les positions de Sherry Turkle en les dégageant de leur optimisme foncier. Il montre que le cyberespace peut être un espace qui enclave ou un espace qui permet de satisfaire le besoin profondément humain d’être en lien.
Sylvain Missonnier prend son départ de Harold Searles et Leroi-Gourhan pour explorer les mondes numériques. Il se sert de la notion de « virtuel » pour réinterroger la place de la technique dans notre quotidien et plus précisément la place de cette technique particulière qu’est l’échographie.
Observatrice attentive de l’Internet, Geneviève Lombard a participé au déploiement de la webosphère psychanalytique française. Elle montre que l’autre est présent en ligne par des indices qui sont préférentiellement investis. L’internet offre de nouvelles modalités de présence à soi et aux autres ce qui permet à la fois des rencontres pleines, mais également des issues perverses. Elle trouve dans la répétition de la figure du nombril un indice de l’appel à l’autre et un écho des premières castrations. Les premiers messages sur Internet fonctionnent comme des évocations des premiers appels à l’Autre. Les échanges sur le réseau sont respectueux de la temporalité de chacun et ouvrent de possibles moments de partages dans un espace transitionnel commun. Les régressions qui rendent possible cette transitionnalité ouvrent également sur la sexualité infantile et ses potentialités perverses.
Serge Tisseron a donné de l’usage du réseau le point de vue le plus complet à ce jour. Il s’appuie à la fois sur sa théorie de l’image et des objets pour montrer comment le réseau offre des occasions de symbolisation comme des occasions pour s’exempter du difficile travail de penser. Il a montré comment la relation au virtuel est l’occasion d’un travail psychique qui peut être intégrateur ou au contraire fonctionner comme une mise en attente d’éléments qui ne peuvent pas être immédiatement introjectés.
L’IDENTITE
SLIDE < L’IDENTITE>
Etre en ligne est la première et sans doute la plus importante des taches imposées à la psyché par le cyberespaces. L’internet est un réseau de machines. Il n’a pas été conçu pour abriter la sociabilité humaine. La forme qu’on lui connait aujourd’hui est due au génie humain qui n’a de cesse de coloniser de nouveaux espaces, des plus tangibles aux plus immatériels. En ligne, nous sommes à nouveau devant l’ancienne questions : qui suis-je ? Qui-suis-je pour moi ? et pour les autres ? Pour John Suler, chaque internaute pouvait choisir dans un « jeu » d’identité celle qui lui permet d’exprimer des éléments refoulé ou inexprimés.
J’ai repéré différents sites de représentation de soi : l’adresse email, l’avatar, le pseudo, la signature. Ce sont les lieux d’une écriture qui garde les traces d’un travail inconscient. L’investissement d’une image pour se représenter auprès des autres tout comme son délaissement dit quelque chose du fonctionnement psychique de la personne. L’image fonctionne autour d’une double enveloppe. Une partie est montrée publiquement, tandis qu’une autre est gardée secrète – parfois à l’insu même de l’auteur. Ainsi, le cyberespace fonctionne comme un espace de dépôt. Ce dépôt peut concerner des éléments du passé individuel ou collectif, ou encore des projets.
LES MEDIATIONS NUMERIQUES
SLIDE <MEDIATIONS>
Le cyberespace est ainsi un médiateur. Il met en contact des parties différentes de soi, ou des parties du self et des parties du corps social.
Les matières numériques sont des occasions à penser. Nous le savons depuis Klein qui a montré que le jeu des enfants – avec des objets donc – était interprétable de la même façon que le rêve des adultes. Nous le savons avec Harold Searles qui a montré les liens étroits de notre psychisme avec l’environnement humain. Nous le savons encore avec Serge Tisseron qui montre que les objets sont les compagnons de nos inconscients individuels et familiaux. Cela reste vrai pour les objets et les matières numériques. L’internet est le lieu ou s’écrivent les légendes d’une vie, les petites comme les grandes. Il est une mémoire des petits faits quotidiens et l’Histoire avec un grand H. Il est aussi le lieu ou l’on peut procéder à leur effacement. C’est un « briseur de soucis »
Les matières numériques nous offrent des occasions de symbolisation parce qu’elles sont des surfaces d’inscription, qu’elle permettent de jouer avec la présence et l’absence, et qu’elle mettent en jeu différents niveaux de symbolisation.
L’espace numérique est un espace particulier. C’est d’abord un espace riche en occasions d’angoisse. La multitude met à mal le bel ordonnancement des individus, et l’on y rencontre des angoisses profondes. Les angoisses de persécution sont d’autant plus fréquentes que l’imaginaire de l’infection est maintenu via les thématique des virus et autres trojans. Les inquiétudes quant à la qualité des enveloppes ou à leur maintien perce au travers la mise en place de « pare-feux » destinés à protéger les internautes des danger du cyberespace
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Le cyberespace est un analogon du rêve. La logique prévalente est celle du processus primaire. Cela avait été approché par Michael Civin mais curieusement, il n’utilise pas la métapsychologie freudienne à ce niveau. L’absence de négation – dans le cyberespace une chose et son contraire peuvent être vraies -, la condensation et le déplacement que l’on peut voir à l’œuvre dans certains phénomènes vont également dans le sens du rapprochement du rêve et du cyberespace.
L’exemple des mèmes , c’est-à-dire d’éléments culturel transmis par imitation, permet de montrer que le numérique est travailler par les même mécanismes que le rêve. Sur Internet, les mêmes prennent la forme de vidéo ou de phrases qui sont rapidement transmis d’individu à individus. Le processus est dit « viral » car il « contamine » de nombreux individus en très peu de temps. Le même fait l’objet de transformations qui se dont à la fois dans le sens du déplacement et de la condensation.
LES eGROUPES.
SLIDE <LES eGROUPES>
C’est par des dispositifs particuliers qu’un individu devient un internaute, où, pour reprendre la jolie formulation de Serge Tisseron « un interne autre ». J’ai appelé e-groupe l’ensemble constitué par un dispositif numérique et un groupe. Ils sont organisés autour de la multitude, de l’absence de face à face, et de l’intertextualité. Ces groupes se développent selon une dynamique classique : un ensemble se forme autour d’une personne qui a créé un groupe. Il vit alors une vie groupale faite de crises et de moments d’élation. Certains groupes finissent par stagner puis mourir. Les groupes en ligne restent à un niveau de fonctionnement archaïque. Ils peinent à atteindre le niveau œdipien. Ils sont souvent saturés par l’idéalisation. Ils sont comparables aux groupes dos-à-dos que René Kaës a expérimenté.
Le trolls est la plus sûre mesure de ce type de fonctionnement. Le troll est une personne (ou les messages de cette personnes) qui cherche a susciter du désordre dans le groupe. Je donne plusieurs exemples de trolls (Alex et Joan, Mr. Bungle, Macho Joe ou encore la guerre des Miaou-Miaou). Le troll a jusqu’à présent été interprété comme une figure de la déshinibition en ligne notée par Suler. J’en donne une autre interprétation en montrant toute sa complexité. Par les mécanismes de maitrise et les destructions silencieuses auxquelles il se livre, le troll se rapproche du thanatophore décrit par Emmanuel Diet. Par ses débordements, son scatologisme, son tumulte, il est un trickster, c’est-à-dire le représentant de l’infantile et du sexuel du groupe.
ANONYMOUS
SLIDE <ANONYMOUS>
Je terminerais sur un groupement particulier : anonymous. Il est maintenant mieux connu du grand public grâce à l’affaire Wikileaks même si la présentation qui en est faite dans les médias est souvent un peu trop rapide. Anonymous n’est pas « un groupe de hacker ». C’est un ensemble qui fonctionne comme un nuage de criquets pèlerins. Les individus y sont anonymes, et les actions collectives sont déclenchées avec un minimum de concertation. Le groupe est tenu par des hauts faits et des slogans qui sont répétés comme des mantras. Anonymous est à la fois une source de destructivité et de créativité.Il peut aussi bien organiser des opérations contre l’église de scientologie ou une pré-adolescente de 11 ans que produire des images pratiquement en continu.
PROSPECTIVE
Nous avons à apprendre à vivre avec, par et dans l’Internet. Les sciences humaine sont un rôle majeur à jouer en créant les conditions d’intelligibilité du réseau.
On s’y croirait!
je vais lire tout ceci avec la plus grande attention,
vraiment très bon travail, c’est tout à fait intéressant
A bientôt GG
Bluffé! Ne dites pas à ma mère que je soutiens une thèse, elle me crois twitter sur Internet.
Et j’adore cette piste qui mène les Anonymous à être comme la onzième plaie d’Egypte!
Bravo!!