AVERTISSEMENT : j’ai été le doctorant d’un des auteurs (Serge TISSERON) critiqués par Michaël STORA ce qui peut affecter mon jugement du texte

Dans “Les écrans : miroir de la dynamique familiale ?”, le psychologue psychanalyste Michaël STORA plaide pour la non-stigmatisation des écrans.

Le texte débute par une violente attaque des positons défendues par Serge TISSERON et Olivier HOUDE  dans leur rapport L’enfant et les écrans. Michaël STORA reproche à ses collègues d’avoir affirmé que les écrans non-interactifs peuvent avoir des effets négatifs sur la santé et le développement des enfants et leur opinion positive sur les écrans interactive.

Comment souvent, Michaël STORA rapporte l’histoire d’un bébé qui regarde la télévision dans les bras d’une mère dépressive comme preuve de la non-nocivité de la télévision. Cette expérience contribue selon lui à ce l’enfant aime les images. Cette histoire, souvent répétée par Michaël STORA, est pour lui une preuve de l’intérêt des images.

Mais ce mythe personnel d’une bonne triangulation mère (dépressive) – bébé – télévision peut avoir d’autres développements que l’issue très positive que Michaël STORA lui donne. On peut en effet se dire qu’un bébé n’a aucun intérêt à aimer ce qui le soustrait à l’attention et aux soins de sa mère. Il est donc possible qu’il se mette à détester les images plutôt qu’à les aimer. Il est aussi possible qu’il se déprime en identification avec l’adulte qui le tient dans ses bras. Il serait intéressant que Michaël STORA explore ces autres bras

On ne peut qu’être d’accord avec Michaël STORA sur le fait qu’il faut prendre en compte le contexte d’utilisation des écrans. Par exemple, un jeune enfant qui est à côté de ses parents pour une session Skype avec ses grands-parents vit une expérience tout à fait différente qu’un enfant du même âge sur surfe sur des vidéo YouTube ou qu’un troisième enfant qui est seul devant des vidéo YouTube. La capacité des parents à contenir l’expérience de l’enfant et à lui donner du sens est une donnée essentielle de son développement.

Cependant, Michaël STORA commet une erreur en faisant un procès d’intention à Serge TISSERON et Michel HOUDE. L’exposition précoce à la télévision a été associée de manière bien documentée a des effets négatifs. C’est un fait que les professionnels de l’enfant doivent prendre en compte. On comprend par exemple que la télévision en bruit de fond complique  et retarde l’apprentissage du langage par les enfants. Le conseil d’une restriction des écrans pour les jeunes enfants est un conseil de bon sens. A mon sens, Serge TISSERON et Olivier HOUDE sont dans leur rôle lorsqu’ils traduisent pour les parents les résultats de la recherche. Par exemple dans sa revue de la littérature des usages des écrans par les enfants de moins de trois ans, DUCH et ses collègues montrent un lien entre l’IMC, la détresse/dépression maternelle,  tandis que LINEGARGER et WALKER montre que les contenus des émissions ont un lien avec les compétences langagières développées par l’enfant.


Serge TISSERON a été d’ailleurs le premier a avoir fait une théorie psychanalytique de l’image. Il a montré dans plusieurs ouvrage comment les images peuvent être un point d’appuis dans le développement des enfants et comment elles contribuent, au jour le jour, à nous aider, une fois devenus adultes, à subjectiver et partager  nos expériences

Michaël STORA s’avance imprudemment en affirmant qu’un bébé ne peut pas investir un objet qui n’est pas partagé avec les parents. Les objets contra-phobique et autistiques nous racontent une autre histoire. Ces objets sont fortement investis par l’enfant soit parce qu’ils les protègent de l’anxiété soit pour les sensations qu’ils apportent sans être partagés avec les parents. Par ailleurs il se contredit en prêtant aux tablettes des vertus “proprement thérapeutiques” lorsqu’il décrit des éclats de rire complice entre un bébé et son parent autour d’un écran. Ce n’est pas l’écran qui est ici positif mais l’expérience positive partagée avec une adulte dans une relation de confiance et de sécurité.

On regrettera également que la question posée dans le titre ne trouve pas de réponse explicite dans l’article. Les écrans sont ils un miroir de la dynamique familiale ? Le lecteur n’obtient pas de réponse explicite dans l’article. Il est aussi dommage que l’article ne soit accompagné d’aucune bibliographie.

Les contenus autant que l’expérience sont à prendre en compte lorsque l’on examine les effets des écrans sur le développement des tout-petit. Regarder Dora l’exploratrice n’est pas la même chose que regarder les teletubbies tout comme regarder seul des images n’est pas la même que regarder des images avec un parents attentif et présent ou avec un parent absent parce que préoccupé par ses propres problèmes. Autant j’adhère à l’idée de Michaël STORA que stigmatiser les usages familiaux des écrans est contre-productif, autant je regrette que cela se fasse au prix d’un anathème jeté sur des collègues. Au final, Les écrans : miroir de la dynamique familiale est un billet d’humeur que l’on aurait bien vu ailleurs que dans le numéro d’une revue qui a pour ambition de faire le point sur les écrans et les bébés.

SOURCES

Chonchaiya, W., & Pruksananonda, C. (2008). Television viewing associates with delayed language development. Acta Paediatrica, 97(7), 977-982.

Close, R. (2004). Television and Language Development in the Early Years: A Review of the Literature. National Literacy Trust.

Duch, H., Fisher, E. M., Ensari, I., & Harrington, A. (2013). Screen time use in children under 3 years old: a systematic review of correlates. International journal of behavioral nutrition and physical activity, 10(1), 102.

Linebarger, D. L., & Walker, D. (2005). Infants’ and toddlers’ television viewing and language outcomes. American behavioral scientist, 48(5), 624-645.

Stora, M. (2017). Les écrans: miroir de la dynamique familiale?. Spirale, (3), 89-91.

Tisseron, S. (1997). Psychanalyse de l’image: des premiers traits au virtuel. Dunod.