La journée de mardi du colloque jeu Vidéo au croisement du social, de l’art et de la culture s’est terminée par une sympathique soirée au restaurant. Trois tablées bruissantes de désir d”échanger sur les jeux vidéo.
La question de l’addiction aux jeu vidéo a bien entendu fini par s’inviter à la table ou j’étais. Ce que je constate, c’est que les non-psychologues restent souvent en retrait parce qu’ils considèrent qu’ils n’ont pas les compétences pour trancher dans le débat. Ils le suivent cependant. La discussion m’a opposé à Thomas Gaon,psychologue clinicien, président de l’OMNSH et je me vante d’avoir son amitité. Thomas a écrit une courte mais vigoureuse critique de la notion d’addiction ((elle est publiée dans un numéro de la revue Quaderni composé par Sebastien Genvo)). Sa conclusion est claire
La captation des usages problématiques du jeu en ligne par l’addictologie amène ainsi au fait accompli : s’il existe une offre de soins spécialisée il y a donc bel et bien une maladie relevant de cette spécialité. Thomas Gaon
On peut lire ici la conclusion dans son ensemble.
Si l’on déclare l’ existence d’une addiction aux jeux vidéo, on aura les toxicomanes du jeu vidéo. Est ce que je trahis sa pensée ?. Est-on prêts, nous, psychologues et psychothérapeutes, à continuer de créer cette chimère ?
Il ne faut pas se méprendre : ce ne sont pas que des mots. Avec eux viennent des politiques de santé publique, de l’argent et la vie d’enfants, d’adultes et de leurs familles. Il faudra alors pour chaque "dépendant au jeu vidéo" faire une déclaration à la MDPH ou, s’il s’agit d’adulte, faire une demande d’AAH. Je suis persuadé que c’est la pire façon de faire.
Dans la discussion que j’ai eue avec lui, Thomas part d’un constat général sur la culture pour finir sur la description d’un individu qui serait enclin à utiliser les processus de négation. Ce "néosujet", comme il l’appelle, partagerait des manières d’être avec ce que décrit Joyce Mc Dougall. On peut bien entendu suivre ce raisonnement. Il n’est pas si différent de ce que l’on peut lire dans Un monde sans limites de Jean-Pierre Lebrun.
So What ? Il manque l’essentiel : l’articulation de cela avec l’addiction aux jeux vidéo. D’un point de vue intellectuel, on peut tout à fait faire des liens sur des choses tellement rabachées par les psychologues et les psychanalystes qu’elles sont souvent acceptées sans plus de réfléxion : le déclin de l’imago paternelle, la monoparentalité, l’enfant non-séparé de sa mère, la demande d’illimité, la demande d’une satisfaction immédiate, les fonctionnements de type limite, narcissique et faux-self. le brouillage généalogique. Si son raisonnement est juste, on devrait trouver une catégorie spécifique de dépendants au jeux vidéo. Cela serait facile à vérifier avec des tests projectifs comme le Rorschach, par exemple. Mais, dans les entrefilets cliniques que l’on peut lire chez Michael Stora, rien ne le laisse supposé : l’addiction aux jeux vidéo y est comme une auberge espagnole, et on y trouve toutes les structures. En forçant le trait, on aurait comme raisonnement : les enfants deviennent dépendants au jeux vidéo parce qu’ils manquant de pères.
J’avais écrit : les enfants deviennent accro. Et j’ai changé le mot par dépandants. C’est vrai que l’on dit souvent "accro aux jeux vidéos". C’est une image, on comprend immédiatement ce que cela veut dire, on en partage l’évidence. Et l’on passe sous silence que l’on s’accorde précisément sur cela : une image. C’est comme si. C’est une métaphore. Rien de plus.
huhu, quaderni 67, composé par mes soins!
en ligne ici d’ailleurs : http://www.omnsh.org/spip.php?article176
intro là:
http://www.gameinsociety.com/post/2008/11/07/Jeux-des-discours-normatifs-et-enjeux-de-lanalyse
Merci pour le lien, Olivier ! J’étais sur d’avoir dit que tu avais composé ce numéro. Sans doute la jalousie de ne pas faire partie du bouquet :-)
No soucy, le prochain vous nous ferez un gros morceau avec le sieur Gaon!
Ce que j’ai dit sur le piège structurel de l’addictologie est en effet problématique. Mais il ne faut pas se méprendre sur la légitimité conceptuelle et traditionnelle sous-tendue dans la captation de ce problème par certains addictologues cliniciens( Cf. plus bas). Eviter ce risque que tu soulignes de réifier un symptôme, en une conduite et en une maladie , cela en clamant à l’inverse “il n’y a pas d’addiction” est aussi problématique car il repose sur des bases peu solides:
Pour montrer en quoi tes posts sont davantage médiatiques que scientifiques il me suffirait de signaler qu’à aucun moment tu ne te soucies de distinguer jeu vidéo et jeu vidéo en ligne, alors même que le débat clinique ne porte que sur ces derniers. En fait tu reprends exactement les termes de ceux que tu combats et en restant du même coup à ce niveau là, c’est à dire sur le terrain médiatique. Jeu vidéo et addiction ne sont ni définis ni précisés sérieusement par aucun des deux camps. En ceci, ce sont bien par images interposées que vous combattez, l’utilisation dans ton propos des bonnes utilisation du jeu vidéo y concourt aussi.
Si on reprend les termes de ton post sur “il n’y a pas d’addiction” tu tournes autour de la psychopathologie et de l’éthique.
http://psyetgeek.com.ymqc5635.odns.fr/il-ny-a-pas-daddiction-aux-jeux-videos
Pour l’éthique tu avances que l’addiction sans drogues est discutable parce qu’elle peut pousser à des développements extrêmes et qu’elle sert le contrôle social.
1/ La psychiatrie sert toujours le contrôle social, la question est jusqu’où pose-t-elle la frontière du normal et du pathologique, c’est son rôle. Quelle marge ménage-t-elle au sujet et à sa liberté sachant que cette dernière est l’objet de la psychiatrie (Cf. Ey). Ceci est autant valable pour la schizophrénie que la névrose de caractère. Donc l’argument n’est pas tenable uniquement pour l’addiction sans drogue.
2/ L’addiction sans drogues ne veut pas dire sans objet.
3/ L’addiction n’est pas tant une maladie (comme le voudrait certains médecins et biologistes) qu’une conduite addictive (biopsychosocial) que le sujet peut interrompre à un moment de sa vie avec ou sans aide.
4/ On ne peut pas parler d’addiction à l’adolescence, le développement psychosocial est en mutation. Mais elles peuvent naître dans cette période. Durant cette période l’objet peut masquer/protéger le sujet adolescent en construction ou dans l’impasse.
5/ Le jeu pathologique tomberait dans la classe éventuelle du trouble addictif (selon Goodman, non officiel) parce qu’il y a des processus biopsychosociaux communs et surtout une description commune.
6/ Commun ne veut pas dire identique terme à terme, il y a aussi des différences. Comme le dit Margaret Little dans son article sur l’alcoolisme (in Les états-limites). Les alcooliques et les toxicomanes ont des point communs et des différences. Et ces deux pathologies ont des points communs avec les états-limites mais aussi des différences. La toxicomanie n’est qu’une des figures de l’addiction, ce n’est pas la seule mais la plus horrifiante dans les esprits. Nier/Occulter ces différences si ce n’est de la paresse intellectuelle ou une facilité à des fins médiatiques ne peut que servir un propos non-scientifique et donc davantage idéologique qu’éthique. Les joueurs pathologiques (argent et hasard) ne sont, en tant que classe, pas similaire à une éventuelle classe des joueurs problématiques de jeux vidéo.
7/ Tu as dit que tu n’utilises pas ce terme d’addiction parce qu’il est dangereux et que tu as une responsabilité. Cela biaise la réflexion dès le départ.
D’un point de vue psychopathologique, je te suis largement sur le manque de pertinence ou d’utilité d’une classe supérieure d’organisation des pathologies qui aurait pour terme addiction notamment dans la réification galénique opérée par le psychiatrie américaine. Néanmoins, en souterrain si je puis-dire, si ce terme parcourt tant la psychiatrie que la psychanalyse dès ses débuts (Freud sur la masturbation), c’est bien qu’il renvoie à un ensemble de processus psychiques et sociaux qu’on ne peut ignorer. Est-ce que l’usage problématique du jeu vidéo en ligne est un pansement pour la psyché (Jeammet), un objet transitoire (Mc Dougall), un succédané de la masturbation (Freud) ? Je pense en effet qu’il peut avoir une partie commune ou en tout cas qu’on ne peut pas théoriquement se priver du concept d’addiction pour comprendre ce qu’il se passe ici, et ce aussi dangereux et volatile que soit le terme pour des profanes.
Tu cites l’article sur Bakker trop facilement: “But Mr Bakker believes that this kind of cross-addiction affects only 10% of gamers. For the other 90% who may spend four hours a day or more playing games such as World of Warcraft, he no longer thinks addiction counselling is the way to treat these people.”
Traduit, ça dit: 90% des joueurs reçus ne méritent pas l’appellation d’addiction et les soins qui vont avec. Reste 10% que cette “cross-addiction” affectent. 10% c’est pas 0%. Donc même pour Bakker “Il y a une addiction (croisée)”.
Définir addiction devient de plus en plus difficile savoir où elle commence où elle s’arrête, le normal et le pathologique se brouillent. Et l’on doit à juste titre se méfier, réfléchir et renvoyer à quoi cela tient. Mais agir dans l’espace publique est politique et a des conséquences en effet. Voit que cela ne participe qu’à un antagonisme pro- et anti- récupéré et l’un et l’autre par les gens qui y ont intérêt: les marchands de soin contre les marchands de jeux, les parents contre les joueurs.
Dire “il n’y a pas d’addiction au jeu vidéo en ligne” sans rien prouver par ailleurs, clôt trop tôt la discussion selon moi, on loupe ce qui est en train de se passer dans l’imbrication BioTechnoPsychoSocial.
Je préfère être sûr d’avoir raison qu’être le premier à le dire. C’est pour ça que je suis nul sur la toile ou simplement contre son idéologie :-p
@Thomas
Reconnaissons qu’il y a disons encore 18 mois, les choses étaient beaucoup plus claires que ce que tu dis : les jeux vidéo étaient une drogue, ils plongeaient dans le désarroi entre 1 et 10% des joueurs et frappaient les joueurs de FPS et de MMO. Lorsque j’ai commencé à dire “il n’y a pas d’addiction aux jeux vidéo”, j’ai d’abord reçu une volée de bois vert. Comment ? Comment puis je oser dire une chose pareille ? Je n’ai jamais dis que l’on ne peut pas passer 18 heures par jours derrière une machine et que cela n’est pas excessif.
Je dis que l’on dispose d’un bouquet d’hypothèses – et tu en donnes quelques unes – qui sont largement suffisantes. Pourquoi rajouter une couche supplémentaire en allant chercher une “addiction aux jeux vidéo” ? Ou est l’addiction dans la compulsion ? Ou est l’addiction dans la recherche d’un objet auto-calmant ? Ou est l’addiction dans l’utilisation du jeu vidéo comme espace de non-penser ?
J’aime les choses simples. Et une notion dont on ne sait pas ou elle commence et ou elle s’arrête n’est inutile. J’ai une très grande conscience du poids de la parole, la mienne comme celle des autres, et je sais les dynamiques des uns et des autres. Je me doute bien que si le SNJV et Ubisoft m’ont approché, ce n’est pas seulement pour la beauté de mes dreadlocks. Je n’en retire aucun bénéfice matériel et si un jour je venais à être payé par un des acteurs de l’industrie du jeu vidéo, je le dirai. Et puis je fatigue de ces procès : que n’en a t on pas fait le tiers à Michael ?
Tu me semble être sur le fil, Thomas, parce que tu vois bien que l’on peut tout à fait faire sans la notion d’addiction, et que tu ne veux pas t’en priver pour autant.
Puis je te rappeller ton “Officiellement il n’y a pas d’addiction aux jeux vidéo”. Cela veut il dire que si le crédo “officiel” change, tu changeras d’avis ? Avec cette difficulté que le crédo est ici le DSM qui est *incompatible* avec la métapsychologie psychanalytique que tu utilises ?
Si la psychiatrie et la psychologie sont des disciplines de pouvoir, les psychiatres et les psychologues ne devraient pas l’être.
Yann, il y a une dimension importante qui te sépare de Thomas et de moi même, à savoir ton manque de clinique pour ces “accros au MMO”! Ce n’est pas un mépris de ma part mais une remarque qui est à la base de mes prises de positions. De plus, je suis, disons étonné, que tu te mettes en position de victime car si on devait comparer les attaques que j’ai subies, et tu es aller toi même trés loin, je pense que j’aurais la palme du “buisnessman de la santé sans aucune éthique”. Je ne suis jamais aller aussi loin contre toi, que ce soit dans un lieu privé ou publique!
Amicalement
Michael Stora
@michael Stora : Je note avec plaisir 1. les guillemets sur “accros au MMO”; 2. l’expression “accro” qui ne figure dans aucune manuel de psychopathologie
Laisse mon m’étonner de ton étonnement : 1. tu fais du business avec quelque chose qui n’existe pas “officiellement” pour parler comme Thomas. 2. pour ce qui est du statut de victime, les échanges privés et insultants ont toujours été de ton fait.
@Yann: Ou est l’addiction dans la compulsion ? Ou est l’addiction dans la recherche d’un objet auto-calmant ? Ou est l’addiction dans l’utilisation du jeu vidéo comme espace de non-penser ?
Comme je l’ai déjà dit addiction est “convenient” ou méta dans le risque d’être fourre-tout, il recouvre ces trois choses compulsion, auto-calmant et anti-pensée et l’inscrit dans une dimension socio-anthropologique que ne pense pas assez la psychopathologie. Séparer le psy du système groupal et du socius me paraît de plus en plus réducteur.
Le problème que ta formulation me pose et je te l’ai déjà dit c’est que tu utilises (et par là-même réfute) le sens du terme addiction comme un profane ou un journaliste l’utilise, c’est à dire addiction=toxicomanie. Encore une fois, dans les médias je sais bien la dangerosité et le manque de scientificité de la popularisation du terme addiction (en ceci la position de Valleur me paraît risqué bien qu’éthiquement et politiquement correcte), mais pour la recherche et la discussion sérieuse: Se barrer cette route d’emblée me semble un handicap. C’est comme si on retirait Dépression parce que ça veut plus rien dire non plus. D’ailleurs Dépression et Addiction ont du point de vue psychopathologique et médiatique des destins croisés (Cf. Ehrenberg)
Pour le coup de la plainte sur les procès dont tu ferais les frais, je m’étonne de ton étonnement. Michael et toi êtes juste les deux faces de la même pièce. A votre détriment et malgré tout vos vains efforts pour contrôler quoi que ce soit. C’est le public qui vote (paye) et les médias qui montent les enchères. Michael a décidé d’arrêter tout ça, tu y viendras aussi. J’avais prévenu des risques de dépendre financièrement de ce bazar, c’est le cas actuel des addictos.
Par rapport au pouvoir des psy: Il ne t’ai jamais que donné par autrui.
Enfin, Yann tu avais dit quelque chose a propos du public et du privé de leur séparation et de la non-transposition de celui-ci dans celui-là. Tu viens juste de le faire sans permission. Beurk.
@Thomas : Si tu veux trier le fourre tout de l’addiction, je te souhaite bien du travail.
Si je comprends bien tu n’es pas d’accord avec moi (il n’y a pas d’addiction au jeu vidéo : le problème c’est le joueur), tu n’es pas d’accord avec Michael Stora (Il y a une addiction au jeu vidéo) et tu n’est pas d’accord avec Marc Valleur (Il y a une addiction au jeu vidéo).
Je trouve que tu vas un peu vite sur la responsabilité qui nous échoit comme psychologues.
Si Michael a décidé d’arrêter de dire partout qu’il y a une addiction au jeu vidéo et de monter une “clinique du virtuel”, j’en suis très heureux. Peut être même aurais je contribué à ce qu’un peu de bon sens circule dans cette affaire.
P.S. : Merci de ne pas me mettre sur toutes les pièces.
Tu comprends mal parce qu’en mode dichotomique, sans nuance.
Je préfère dire que je suis ,en partie seulement, d’accord avec :toi sur le plan métapsychologique et théorique; Michael sur le plan clinique et Marc Valleur sur le plan éthique.
Je ne dénie pas le rôle de contre-feu de ta position, je la souligne justement. Mais ses effets ne prouvent pas plus que tu aies davantage raison sur le plan clinique et théorique.
ce blog est toujours interessant et instructif mais j’ai des difficultés à comprendre ces “rivalités” existantes ?
Ne travaillons nous pas dans le but de l’acceptation et de la comprehension des jeux videos ?
Nous sommes au début de quelquechose qui est en perpertuelle évolution, dans quelques mois ce discours sur l’addiction nous paraitra déja bien obsolète.
L’addiction ne serait-il pas le moteur des médias qui diabolisent à tout va de part la concurrence énorme de ces médias emergeant ? Vous renforcez le symptôme à mon avis
mais il y a peut etre une hypothèse…
J’ai un peu l’impression que le fait d’être au départ d’une nouvelle discipline ; nous dirons le virtuel en général, entrainerait une “rivalité afin de définir le SPECIALISTE (celui même qui serait sollicité dans divers médias tel un Lowenstein en addictologie, c’est marrant l’addiction répparait). Qui aura la chance de venir
dans le dernier talk show scientifico-cmmerciale dans le but de vendre le premier livre qui vous dira si oui ou non votre enfant est un cyber-addicto-dependant-deprimé ?
mon commentaire a disparu …. etonnant
Je pense aussi que dans quelques mois le discours sur l’addiction aux jeux vidéo sera obsolète. Mais cela ne se fera que si l’on porte la contradiction et que l’on déconstruit cet imaginaire. Faites quelques recherches sur l’Internet : il y a disons trois ans, quelqu’un disait il “Il n’y a pas d’addiction aux jeux vidéo ?” Je pense que vous ne trouverez personne.
Il y a peut être une rivalité pour définir LE SPECIALISTE. Si c’est le cas, nous nous trompons tous cas les réseaux sociaux sont bien plus importants que les jeux vidéos