A la GDC d’Austin, des psychologues et des community managers se sont
penchés sur les déviances en ligne et plus précisément sur les effets de
l’anonymat. Sean Dahlberg de BioWare, Troy Hewitt de Flying Lab Sofware, Meghan
Rodberg de Turbine, Sam Gosling et deux psychologues, James Pennebaker et Sam Gosling tous deux enseignants
à l’Université de Austin, Texas. Au passage, il est intéressant de voir comment
les collègues ont intégré les dispositifs en ligne. Combien de temps devrons
nous attendre avant de voir cela en France ? Second constat : les conférences
sur les jeux vidéos font maintenant appel à la faculté. Les cas abordés sont des
classiques de la vie en ligne : Kaycee Nicole, l’attaque
d’anonymous sur la page Myspace de Mitchell Henderson ou encore le raid d’une guilde sur une
autre qui célébrait en ligne un service funéraire pour l’un de leurs membres
mort hors ligne
Le syndrome de Munchausen en ligne
La première question abordée a été celle du “syndrome de
Munchausen en ligne“. Hors ligne, le syndrome de
Munchausen se caractérise par le besoin d’attirer l’attention du corps médical
en feignant une maladie. Les personnes présentant ce syndrome peuvent aller
jusqu’a prendre des laxatifs pour perdre du poids ou se saigner pour mimer une
anémie. Il existe également une variante dite “par procuration” dans laquelle la
personne invente des maladies à un tiers, la plupart du temps un enfant. Elle
peut également blesser l’enfant et le présenter au corps médical pour des soins.
En ligne, il s’agit d’individu appelant a l’aide en faisant état d’une maladie
ou d’un état suicidaire.
Plus récemment (2001), Kaycee Nicole a raconté
dans un blog son combat contre la leucémie jusqu’a ses derniers jours ce qui lui
valut des milliers de condoléances en ligne. Kaycee Nicole cachait deux
personnes. Une adolescente, qui a assez rapidement abandonné le jeu de rôle. Et
sa mère, Debbie Swenson, qui l’a repris, et qui a mené le jeu en ligne pendant
des années jusqu’a son épilogue.
L’expression Syndrome de Munchausen en ligne a été forgée
par Marc
D. Feldman en 2001 pour rendre compte du fait que l’Internet est en quelque
sorte le théâtre rêvé pour à la fois pour produire des symptômes et y trouver
une audience. La production des symptôme est aisée puisque le dire en texte
suffit. Et pour ce qui est de l’audience, l’Internet produit des groupes d’aide
et de soutien pour toute sorte de pathologie. Il n’est donc pas difficile d’y
trouver un espace ou les symptômes produits seront bien accueillis.
La notion d’un syndrome de Munchausen en ligne est récente [1]. Elle
témoigne de l’ effort des cliniciens pour rendre compte des faits qu’ils
observent en ligne. Elle est cependant insuffisante et cela pour deux raisons.
On peut lui faire comme première critique qu’elle s’ appuie sur le syndrome de
Munchaunsen qui n’est qu’une façon d’éviter de parler des troubles hystériformes
ou de la maltraitance. La seconde critique qui peut lui être adressée est
qu’elle n’est que descriptive et qu’elle ne rend pas compte des dynamiques
intrapsychiques.
Le seul mécanisme qui est donné est grossier. Pour Pennebaker:
“Just from the psychology side, this whole issue of anonymity is central. The
more anonymous people can be, the worse they’ll act.”
“Du point de vue psychologique, la question de l’anonymat est centrale. Plus
les personnes sont anonymes, plus elles se comportent mal”
C’est limiter le fonctionnement psychologique aux interactions sociales, et
parmi ces interactions sociales aux plus coercitives et punitives d’entre elles.
Or, d’une part, nos actions ne sont pas seulement motivées par la crainte que
nous avons des autres, mais aussi par l’affection que nous souhaitons obtenir
d’eux. D’autre part ces actions sont aussi déterminées par notre monde interne
et elles suivent alors une logique qui n’a rien à voir avec la raison. Enfin, si
l’anonymat produisait de tels effets, pourquoi ne sommes nous pas submergés de
tels cas ?
L’identification projective
Si l’on garde comme ligne d’analyse le cas Kaycee Nicole, on peut
penser que par une telle conduite Debbie Swenson explorait les objets de sa
fille puisque c’est d’elle qu’elle reprend le personnage de Kaysee. Cela laisse
supposer de la part de la mère une absence de cette censure que les parents
éprouvent généralement vis à vis de leurs enfants.
On trouve une position similaire avec le cas de Megan
Meier qui se suicide après que son flirt en ligne, Josh, lui annonce qu’il
rompt. Josh était une identité en ligne manipulée par une amie de Megan et sa
mère. Celle-ci dira qu’elle souhaitait savoir ce que Megan disait à propos de sa
fille… Dans ce cas, une identité en ligne a permis d’approcher un tiers pour
connaître ses pensées a propos d’un proche.
La lettre
explicative laissée par Debbie Swenson laisse entrevoir une autre piste : celle
d’un travail de deuil difficile. Kaysee était la figure composite de trois
personnes “mortes trop tôt” de cancers et le blog a été une façon d’écrire et
de transmettre leurs vies. “J’ai écrit, dit Debbie Svenson, leurs
pensées, leurs plaisanteries, leurs combats, leurs peurs“
Le mécanisme psychologique sous-jacent est l’identification
projective. Il a été décrit pour la première fois par Melanie Klein a
propos de cas pathologiques : il s’agit du fantasme par lequel l’enfant imagine
pénéter le corps maternel, en personne ou avec des objets, afin de la contrôler.
Plus tard, l’identification projective a été reconnue comme faisant partie des
mécanismes clés du développement normal.
En effet, l’identification projective concourt à étendre les limites de son
psychisme en les étendant à celle d’un autre, ou d’un groupe. Aux stades infans
du développement, l’espace psychique se forme par le va et vient des
introjections et des identifications projectives qui installent alternativement
les objets dans l’espace psychique propre et dans l’espace psychique de l’autre.
La croissance psychique se dans ces mouvements dans lesquels alternent la pleine
reconnaissance de l’autre, et des moments de fading ou l’autre disparaît en soi
ou le soi disparaît dans l’autre.
Le mouvement d’identification projective est souvent porté par une double. Il
s’agit d’abord d’une attente de contenant. On confie à l’autre ce que l’on ne
peut soi même contenir. Il s’agit ensuite d’une attente de transformation : on
attend de l’autre qu’il puisse faire quelque chose de ce qu’on lui a confié afin
de pouvoir le ré-introjecter dans son propre espace psychique.
L’identification projective a été remarquablement décrite par Michel de
M’Uzan. Bien que dans le passage qui suit il s’attache à décrire le
fonctionnement psychique en séance de l’analyste, les mécanismes qu’il donne me
semblent tout a fait valables en dehors de ce cadre et explicitent
remarquablement le phénomène qui nous occupe.
La ponte définit un besoin éprouvé par l’analyste, celui des déposer
dans l’analysé des parties de lui-même, ses propres productions, ses façons de
voir. On reconnaît là une sorte de projection ; mais il y a plus car l’analyste
est alors exposé à s’intéresser avant tout au destin de ce qu’il a
déposé. Ces dépôts se sont-ils développés ? L’analysé est-il bien le terrain
espéré, propice à une germination ? L’investissement de son image est-il
suffisant pour qu’il devienne complice d’une impégnation de son Inconscient par
ce qui procède de l’analyste ? L’analyste ferait ainsi de son patient une sorte
d’incubateur.
La convoitise, de son côté, vise les contenus
psychiques de l’analysé, en vue d’utilisations égoïstes, par exemple, une
promotion de l’auto-analyse de l’analyste. Il s’agit de représentations
d’objets, à même d’être délimités ; mais aussi de quelque chose d’infiniment
plus élémentaire, comparable à une matière essentielle à traiter. Pour en donner
une image, je citerai le rêve d’une patiente qui se met en scène avec ses
parents. Elle éprouve le sentiment d’être exposée à un danger extrême : ses
parents s’apprêtent à pomper sa substance pour la répartir dans des petits tubes
de couleurs différentes.
La domination, enfin, a trait au besoin de
contrôler rigoureusement le fonctionnement psychique de l’analysé, de s’en
assurer la maîtrise, comme si celui-ci ne devait jouir de la moindre liberté,
comme s’il devait fonctionner conformément aux principes qui définissent les
relations de l’analyste avec ses propres objets.” Michel de M’Uzan, La bouche de
‘l’inconscient
On reconnaît avec la domination et la convoitise l’identification projective
telle que la définissait Melanie Klein : les mouvements d’envie poussent
l’enfant à explorer fantasmatiquement la caverne maternelle et à y dérober les
merveilles qui s’y trouvent. La ponte est un mécanisme particulier et il me
semble que c’est celui là qui est le plus actif dans les cas de supercherie.
Chaque mail posté sur la liste de diffusion, chaque post déposé sur le forum,
chaque bout de phrase lancé dans la chat room sont autant d’oeufs qui
sont avidement lancés au groupe. Ce qui est déposé, ce sont des émotions, des
souvenirs, des fantasmes insuffisamment élaborés. Ils ne sont plus tout à fait
inconscients, puisqu’ils trouvent une voie de frayage au travers les fantaisies
qu’invente le faker. Mais ils ne sont pas non plus tout à fait
conscients, car le faker en ignore les sousbassement fantasmatiques.
Chaque réponse apportée est tout aussi avidement reçue car elle est
potentiellement porteuse d’une introjection. Tant que l’introjection n’est pas
suffisante, le faker continue à infiltrer le groupe avec son identité
numérique. Cellle ci est un contenant des fantasmes qui
cherchent impérieusement une voie de satisfaction. L’identité en ligne est une
annexe du self du faker ; elle est à la fois le débarras, le contener dans
lequel on cherche à enfermer ce qui est douloureux et la colonie, les nouvelles
espaces que le self à à conquérir. Mais c’est également un objet en
attente de transformation. Au travers des réponses qui sont données, le
faker peut asseoir de meilleures identifications. Dans le cas de Kasyee
Nicole / Debbie Swenson, il peut s’agir de l’identification à une personne en
deuil qui pourrait lui donner de meilleurs appuis pour son propre travail de
deuil : qu’éprouve-t-on lorsqu’un proche est mort ? Qu’éprouve-t-on lorsqu’il
agonise ? C’est à ces réponses que le groupe répond. Il se comporte comme le
choeur antique : il fait résonner les fantômes et les revenants. Il est la voix
des morts.
La vérité de la fiction
On aura compris que je suis plus que réticent devant la formule “syndrome de
Munchausen en ligne”. Il me semble que les termes antiques de troll et
de faker sont amplement suffisants. Est un troll toute personne ou tout
message dont la fonction est d’apporter le chaos dans le groupe. Est un faker
toute personne qui met en ligne des contenus faux ou plus exactement des
contenus qui ne correspondent pas a l’ intitulé : sous le titre du dernier
Disney téléchargé sur un réseau P2P peut se cacher un tout autre film. Trolls
et fakers ont aussi, il faut bien l’admettre, des fonctions positives. Le
premier, en pratiquant l’art d’avoir toujours raison, rompt les consensus et
apporte au groupe les nouveaux points de vue sans lesquels ils s’axphyxierait.
Le second nous rappelle que ce n’est pas parce qu’une chose existe qu’elle est vraie. Tous nous nous enseignent qu’il y a un malaise dans la
culture numérique : en ligne aussi, la première source de désagrément, et la
moins évitable, c’est l’autre.
[1] La page Wikipedia qui lui est consacrée date de septembre 2007 et elle
est ce jour très peu lue.