J’ai participé à l’émission Le téléphone sonne : “Smartphones et réseaux sociaux: les nouvelles addictions” et j’ai été assez surpris de constater qu’il y avait encore un discours culpabilisant et pathologisant sur les objets numériques.
J’ai pu entendre du docteur Willam Olivenstein Lowenstein que l’effet de ces objets était comme la cocaïne. Que les mondes numériques étaient des mondes de la stimulation perpétuelle et de la vitesse. Que 5% des jeunes joueurs de jeux vidéo développaient une addiction.
Si j’étais américain, je dirais que c’est de la “bullshit psychiatry”. En français, on pourrait dire “psychiatrie de bazar”
Il n’y a pas d’addiction aux objets numériques. C’est aussi simple que cela. Des années de recherche sur l’addiction aux jeux vidéo n’ont pas permis de former un consensus sur cette pathologie annoncée comme “une nouvelle maladie” depuis maintenant 17 ans (Young, 1996)
La première clinique pour “dépendance aux jeux video” a été ouverte en Hollande en 2006 par le Smith and Jones Centre, un centre de traitement pour les toxicomanes. La section pour les gamers a fermé en 2008 avec le constat que les jeux vidéo n’étaient pas une addiction. En Grande Bretagne, le centre Broadway Lodge qui traite des personnes présentant des addictions a ouvert une section pour les gamers en 2009. La même année, aux USA, ReStart devient le premier centre de traitement pour les “dépendants à l’Internet”. En Chine et en Corée du Sud, ces cliniques sont des camps d’entrainement paramilitaires dans lesquels les participants sont humiliés. Les traitements sont si rudes qu’il y a même eu un mort ! Mis à part ces deux pays, et l’établissement américain, il n’y a pas de centre de traitement “d’addiction aux jeux vidéo”
Il n’y a pas d’addiction aux objets numériques. C’est aussi simple que cela. Un jeu vidéo n’est pas une drogue Faut il rappeler les effets de la cocaïne, puisque c’est elle qui a été donnée en exemple dans l’émission ? Comment peut-on comparer les effets d’un psychostimulant aussi puissant que la cocaïne avec ce qui est vécu dans un jeu vidéo ? Comment peut-on comparer cela à du temps passé devant son écran qu’il s’agisse d’un écran de jeu ou d’un réseau social.
Il n’y a pas d’addiction aux objets numériques, c’est aussi simple que cela. Comment expliquer une addiction qui ne serait réservée qu’au enfants, aux adolescents et aux jeunes adultes ? Quelle barrière invisible empêcherait l’addiction de se développer chez les adultes et les vieux ?Pourquoi l’addiction aux jeux vidéo s’arrêterait elle comme par magie au seuil de la maturité ?
Il n’y a pas d’addiction aux objets numériques, c’est aussi simple que cela. Si l’on prend le chiffre de 5% qui est avancé généralement, cela ferait plus d’un million (1,25, exactement) de personnes qui souffriraient de cette affection uniquement aux USA. Pour donner un ordre d’idée, la grippe qui touche chaque année entre 5 et 20% d’américains est suive avec attention par les services de santé du pays. Comment l’addiction aux jeux vidéo pourrait elle ne pas être repérée massivement par les professionnels de la santé ?
Il n’y a pas d’addiction aux objets numériques. C’est aussi simple que cela. La “stimulation perpétuelle” n’existe que dans l’esprit de ceux qui découvrent les mondes numériques. L’ennui existe même sur Twitter, même sur Facebook, même sur Call of Duty. Si Internet va trop vite, c’est sans doute que vous êtes trop vieux pour cela ou trop fatigué. Mettez vous sur le coté, prenez la voie lente, utilisez le mail, et laissez Twitter à ceux qui sont plus agiles.
Il n’y a pas d’addiction aux objets numériques. C’est aussi simple que cela. Il est du devoir éthique de tout psychothérapeute de se tenir informé de l’état de la science et des recommandation des sociétés savantes. En ce qui concerne l’addiction à l’Internet et aux jeux vidéo, la question a été tranchée. “L’addiction à l’Internet et aux jeux vidéo” n’est à ce jour dans aucune classification des maladies mentales. Par ailleurs, l’académie de médecine recommande depuis mars 2012 d’utiliser l’expression “pratiques excessives” et l’abandon de l’expression “addiction aux jeux vidéo”
Dans l’article ou Kimberley Young invente l’addiction à l’Internet, les personnes dépendantes passaient 8 heures par semaine devant un écran. On estime aujourd’hui qu’un enfant entre 8 et 18 ans passe en moyenne 7 heures et demi par jour devant un écran. (Source : Kaiser Family Foundation). Un enfant qui aujourd’hui une utilisation normale des écrans serait donc considéré en 1996 comme un cas gravissime d’addiction nécessitant la mise en place de soins et d’une éducation spécialisée.
Il y a sans doute un enseignement à tirer de cela. Sans doute pouvons nous nous rappeler que les maladies, et particulièrement les maladies psychiatriques, sont en grande partie des constructions sociales. Le problème de la psychiatrie et de la psychologie est qu’elles sont ce que Foucault appelait des disciplines. Elles sont promptes à se mettre au service du pouvoir pour renfermer, ordonner, classer et normaliser. Il n’est donc pas étonnant qu’elles aient été appelées pour scruter ce qui semblait si nouveau : des personnes jouent en interagissant avec des images sur des écrans. Peut-être que “l’addiction aux jeux vidéo” rejoindra la drapétomanie, cette folie qui conduisait les esclaves noirs à fuir leur condition, ou les “sauteurs du Maine” dans le cabinet de curiosité de l’histoire de la psychiatrie. Peut-être que la prochaine version du DSM comportera une nouvelle maladie que l’on appellera “l’addiction à l’Internet”. Mais nous vivons aujourd’hui, et aujourd’hui, il n’est pas de telle maladie.
Bonjour Yann,
je suis docteur en psychologie et psychologue clinicien et ai déjà eu l’occasion de t’entendre (avec A Lazartigues à Rennes) et de te lire (“En métapsychologie” in Adolescence N°79.)
Quelques remarques : ce n’est pas le Dr Olievenstein avec lequel tu as discuté mais sauf erreur de ma part, le Dr Lowenstein. J’ai écouté l’émission et je trouve qu’il a dit beaucoup de choses censées. Je trouve tes propos excessifs sur sa “bullshit psychiatry”. Je travaille en addictologie depuis de nombreuses années et, de même que certains collègues, nous recevons des personnes en grande souffrance dans leur usage de l’internet, qui y consacrent la plupart de leur énergie et qui aimeraient que cela change et sollicitent de l’aide pour cela. Ces cas ne sont statistiquement pas très nombreux mais ils existent et la comparaison avec les autres formes d’addiction tient à mon avis parfaitement la route. J’ai travaillé longtemps aussi en « toxicomanie ». No life, NERD ou Hikikomori sont souvent dans une démarche mortifère et nous accompagnons ceux qui sollicitent une reprise en main de leur vie. Pour la plupart cet usage tente vainement de masquer ou anesthésier des souffrances plus anciennes dans des parcours de vie difficiles, comme pour les autres addictions.
Ce problème n’est cependant à mes yeux pas le problème majeur concernant les usages d’internet. Beaucoup sont en effet dans un usage soit excessif soit nocif tout en ayant une vie bien remplie qui n’a rien à voir avec celle d’un no-life. Où commencent l’excès et le nocif ? C’est une question difficile qu’il ne faut pas éluder cher confrère ! Je n’y répondrai pas ici mais suis prêt à en discuter. Tu cites l’enquête de 2010 de la Kaiser Family Foundation où effectivement il est constaté qu’en moyenne un jeune entre 8 et 18 ans passe 7H38 par jour devant des écrans, aujourd’hui, en 2013, on doit avoir passé les 8h00 par jour. Tu appelles cela une utilisation normale (en insistant sur normale) : oui, c’est devenu la norme états unienne et nous ne sommes pas loin derrière. Mais un jour étant composé de 24h00, cela fait un tiers du temps : sur quoi sont prises ces huit heures par rapport à ce qui se faisait il y a à peine vingt ans? Et quels effets sur le fonctionnement psychologique et social? Je ne sais si cela est bien ou mal mais je crois que ces questions méritent pour le moins une réflexion approfondie pour savoir si ce qui est devenu la norme est un progrès ou non et s’il conviendrait de qualifier cela d’excès…
En résumé je trouve que contrairement à ce que tu dis ce n’est pas “aussi simple”. Ceci juste pour alimenter le débat s’il peut rester serein. Même si je ne partage pas ton avis sur certaines questions, j’apprécie tes interventions vivifiantes, qui passent très bien auprès des jeunes (je conseille d’ailleurs parfois ton blog depuis que je l’ai découvert) et dédramatisent l’essentiel auprès des moins jeunes et c’est pour cela que je me permets ces commentaires que tu sauras, je l’espère, apprécier à leur juste valeur…
Philippe Decan
Bonjour,
J’aurais une petite question pour vous… En lisant l’article, il y a une chose en particulier qui m’a quelque peu froissée. Vous dites qu’il n’y a pas d’addiction aux jeux vidéos parce qu’il ne peut pas y avoir d’addiction à des objets, parce que le jeu vidéo n’est pas une drogue ?
Mais qu’en est il du sexe ? Outre l’alcool et la drogue, la dépendance au sexe est également très répandue (bien que je ne sache pas si il s’agit d’une addiction reconnue par les médecins). Or il ne s’agit pas d’une substance ingérée ou d’un produit miracle. On peut donc devenir addict à autre chose que des produits. Et le sexe stimule les uns tout comme les jeux vidéos peuvent en stimuler d’autres.
Merci de m’éclairer !
Alex
On confond trop addiction et séduction selon moi. Je suis excessive pour qui ? à partir de quand ? je ne le sais pas tant que personne ne m’en fait la remarque…de quel droit d’ailleurs.
Je suis séduite quand je suis sous WoW (par les rencontres que j’y fait, mon propre personnage, les dernières MAJ…), pareil lorsque que je m’intéresse de près, de manière quasi obsessionnelle à Lionel Duroy ;) Toujours “En quête” dans les univers que je traverse.
Voilà c’était mon point de vue et je n’attend pas que quiconque le partage.
Or Pâle
http://lionel-duroy-un-jour-je-te-lirai.blogspot.fr/