cementery by ~mariellavioletta on deviantART

“A force de trainer sur les champs de bataille, est ce que les adolescents ne vont pas perdre le sens de la mort ?”  me demandait récemment une personne inquiète.

La très grande majorité des jeux vidéo sont des jeux guerriers. Dans le top 10 des jeux les plus vendus l’année dernière, les trois premiers sont des jeux de guerre. Récemment, Modern Warfare a été le jeu vidéo le plus vendu le jour de son lancement. Les joueurs de jeu vidéo jouent préférentiellement des FPS et deviennent au fil des parties des experts dans du AK-47, du Glock, du pistolet mitrailleur UZI, ou du M-14.

Jouer avec ce dont on ne peut pas parler.

La passion que nous avons comme gamers des jeux de guerre est une mesure de la violence de nos sociétés. Ce n’est que récemment que l’Europe connait une période de paix. Les siècles précédents ont transformé les terres européennes en champs de bataille avec une mention spéciale pour le  20ième siècle qui a envoyé à la guerre les pères puis les fils dans des conflits qui dont dépassé tout ce que l’on connaissait jusqu’alors en termes de violence et de peuples impliqués.

La guerre provoque toujours des traumatismes chez ceux qui l’on vécue. Ces traumatismes sont si importants qu’ils affectent la vie familiale. La famille se donne alors pour tâche inconsciente la transformation en éléments psychiques partageables les traumatismes vécus d’un de leurs membres. Les enfants sont particulièrement appelés à cette place de psychothérapeute car ils ont besoin d’être au contact avec des parents dont le fonctionnement psychique est le meilleur possible. Certaines familles mettent plusieurs générations pour pouvoir évoquer les faits d’armes ou la conduite pendant un temps de guerre d’un de leurs membres.

Les jeux de guerre nous permettent de traiter les effets des violences passées que nous avons vécu individuellement ou collectivement. Dans leur très grande majorité, les FPS ont pour champ d’opération la Seconde Guerre Mondiale. Les images, les opérations jouées et rejouées, permettent de se mettre en contact avec ce qui est encore. C’est une chose que d’entendre parler du 6 juin 1944, c’est autre chose que de débarquer sur Bloody Omaha dans Battlefield 1942, de sentir les paquets de mer passer dans la barge, de regarder se compagnons d’armes, et de les voir disparaitre une seconde après que la rampe ait été abaissée. Parcourir la centaine de mètres de la plage sous les tirs croisés des MG-42 allemandes fait vivre d’intenses sentiments d’impuissance, de colère, et de terreur. Le jeu vidéo permet saisir à la fois l’héroïsme banal du soldat et la banalité de la violence des combats. Il donne un autre accès à l’Histoire parce qu’il permet de s’approcher en émotions et en pensées de ce qui a été vécu ce jour là. Les même mécanismes peuvent être engagés avec un jeu de Stratégie Temps Réel dans lequel le joueur doit faire des choix qui sont fait : sacrifier une unité ou une position pour espérer gagner sur un autre plan

Avant les jeux vidéo, c’était le cinéma qui permettait de se rapprocher de ces moments. Des films comme Le Jour J ou Un pont trop loin plongeaient les téléspectateurs dans les grands moments de la guerre. Mais ils avaient l’inconvénient de présenter un aspect trop idéalisé des positions américaines. Les séries télévisées comme Band of Brothers se veulent être des témoignages plus justes. L’histoires est racontée du point de vue de vétérans de la 101e aéroportée. Les jeux vidéo font un pas supplémentaire : la personne n’est plus spectatrice mais actrice d’un spectacle qu’elle contribue à re-créer.

Jouer avec ce que l’on ne peut pas vivre.

Le second élément intéressant de ces jeux est qu’ils permettent de jouer avec la mort. Dans un FPS, le joueur est sans cesse en contact avec la mort. Il peut la donner avec des armes diverses et variées. Mais il court sans cesse le risque d’une mort brutale. Il peut être tué par le tir d’un sniper, recevoir une grenade ou tomber sous les coups de l’artillerie adverse. Bref, il s’agit dans ces jeux de tuer l’autre et de tuer soi.

Tuer l’autre est un évènement assez banal dans les productions psychiques. Nous mettons l’autre à mort dans nos pensées conscientes – que l’on pense à l’encoléré “qu’il crève” – et dans nos pensées inconscientes. Nos rêves sont pleins de situations dans lesquelles l’autres est tué de mille et une façons différentes. On retrouve cet aspect dans productions imaginaires collectives comme les contes de fées dans lesquels il  arrive régulièrement que quelqu’un meure dans des circonstances atroces. La marâtre de Cendrillon dance avec des souliers rougis au feu jusqu’a ce que mort s’en suive. Le loup meurt régulièrement d’une mot brutale : il est  éviscéré, noyé dans un puis, ébouillanté.

Les rêves, les mythes, les jeux vidéo sont des productions imagées dans lesquelles les désirs de mort peuvent être figurés. Mais, il y a une différence entre les mises à mort dans les contes et dans les mythes, et les mises à mort dans les jeux vidéo. Dans les contes et les mythes, la mise à mort, aussi cruelle puisse-t-elle être, est toujours au service d’un processus civilisateur. Dans les jeux vidéo, la mise à mort peut être gratuite et n’avoir pas d’autre sens que le plaisir donné à la destruction et à la violence.

Lorsqu’un joueur quitte le rail narratif donné par le jeu et tue de façon répétée, c’est qu’il suit des motivations éminemment personnelles. La mort dans le jeu devient un jeu en soi parce que le joueur tente d’élaborer des positions inconscientes. Il peut mettre ainsi en scène des fantasmes dans lesquels la seule issue à un conflit est la violence faite à l’autre. Il peut aussi rejouer des situations qui ont été traumatisantes pour lui. La mort donnée brutalement à l’autre peut alors figurer l’effet vécu d’une annonce brutale ou d’un changement de situation qui n’a pas été préparé.

Sur les champs de bataille, l’autre étant le plus souvent un semblable à un uniforme près, la mort donnée à l’autre est aussi la mort donnée à soi même. Il peut s’agir de l’équivalent d’un fantasme suicidaire mais c’est plus banalement l’équivalent de la séparation de parts de soi qui sont vécues comme inutile. Mourir à soi même sur le champ de bataille, c’est mourir à son enfance (et naitre à l’âgé adulte) ou laisser mourir de vieilles angoisses. Les situations de mort violentes, qu’elle concernent l’autre ou soi-même sont alors autant d’occasions de vivre dans ce présent ce qui a été insuffisamment éprouvé par le passé (Winnicott, 1974)

Quels sont les effets de ces morts violentes sur les psychismes ?

La question est assez difficile car les attitudes par rapport a la violence se construisent dans les interactions réelles et fantasmatiques avec les parents. D’un autre coté, on ne peut mésestimer l’effet des images tant elles sont omniprésentes. D’une façon générale, l’effet d’une image dépend du type de relation que la personne a noué avec elle. Certaines personnes vont vers les images pour éprouver quelque choses ou s’éprouver, tandis que d’autres les regardent de loin. La même image seront donc perçue et construite  différemment selon la position subjective de la personne.

L’effet des images de mort violente est différent selon les modalité défensives mises en place par le joueur par rapport à la violence et au conflit en général.

Trois situations peuvent se présenter (Tisseron, 2011). Dans le premier cas, la personne a tendance à chercher des solutions dans le monde extérieur. Les solutions trouvées aux conflits vont du coping au passage à l’acte c’est à dire à un aménagement de la réalité externe. Les personnes de ce type auront tendance à utiliser les jeux vidéo comme lieux de décharge de leurs tensions internes. Le principal effet est un soulagement de la tension et l’’élaboration subjective reste faible.

Dans le second cas, la violence est intégrée comme inévitable. La personne ne voit aucune solution possible si ce n’est se mettre sous la protection d’une autorité. Dans le premier cas, comme dans le second, le risque est que la violence soit banalisée et soit finalement intégrée comme modalité satisfaisante de résolution de conflits. Enfin, dans le dernier cas, la violence des images est une occasion de reconnaitre sa propre violence et sa propre ambivalence. La haine et la violence manifestées dans le jeu peuvent céder le pas à des mécanismes réparateurs à partir desquels le sentiment esthétique va pouvoir émerger.

Ainsi, la mort violente dans les jeux vidéo, qu’elle soit donnée ou vécue, lorsqu’elle est préférentiellement investie par le joueur, est toujours à relier à des motivations inconscientes. Le jeu avec les images de mort violente permet de travailler, et dans le meilleur des cas, d’élaborer, des positions en relation avec la mort, l’agressivité ou la violence.