Le chasseur se tient devant l’hôtel des vents. Ce qui attire immédiatement le regard d’Ocakr, ce n’est pas son set d’armure, mais le familier qui se tient à ses côtés. Un chat, Mais pas n’importe quel chat. Magria, un animal spectral que l’on peut trouver dans le Renouveau au Mont Hyjal. Le nom de cette bête et ses qualités étaient échangés dans la communauté des chasseurs, mais on n’osait à peine y croire. N’était-ce pas une légende ? Un rêve ? Et voila maintenant l’animal devant ses yeux. Immédiatement, l’envie emplit le cœur d’Ocakr ! Il lui fallait capturer Magria ! Il lui fallait cet animal. Jamais il n’avait désiré une chose avec autant de force ! Il passerait le Renouveau au peigne fin, jour et nuit s’il le fallait. Il renoncerait aux champs de bataille et aux instances héroïques. Il ne serait que cela, jusqu’à ce qu’enfin il capture et dompte Magria.

Les mouvements d’envie comme ceux là sont fréquents dans les jeux vidéo. On peut les retrouver dans les FPS comme CoH ou l’on enviera l’équipement du compagnon de combat ou de l’ennemi. On la retrouve aussi dans  les casual games. Dans Farmville ou chaque joueur bâtit une ferme et élève des animaux, il désire le même animal ou bâtiment de la ferme voisine, ou même dans les réseaux sociaux .

L’envie est un sentiment qui a été bien décrit par la psychanalyste Mélanie Klein. Il s’agit d’un sentiment qui s’enracine dans les relations précoces de l’enfant avec sa mère. Il correspond au “sentiment de colère qu’une autre personne possède et jouit de quelque chose de désirable – l’impulsion envieuse étant de l’enlever ou le détruire. Qui plus est, l’envie implique la relation du sujet à une personne seulement et provient de la relation la plus précoce, exclusive à la mère.”

L’envie est différent de l’avidité qui est davantage “une impulsion  impétueuse et insatiable qui excède ce dont le sujet a besoin et ce que l’objet peut et veut donner. Sur le niveau inconscient, l’avidité vise prioritairement à complètement vider, à sucer jusqu’à la moelle et à dévorer le sein : c’est-à-dire que sa visée est l’introjection destructive ; alors que l’envie ne cherche pas seulement à voler de cette manière, mais également de mettre le mauvais, primairement de mauvais excréments et de mauvaises parties de soi, dans la mère, et dans son sein en premier lieu afin de l’avarier et de le détruire. Au sens le plus profond, cela signifie détruire sa créativité.

Les mondes numériques donnent des occasions de vivre l’envie et l’avidité. Ce que certains on appelé “addiction aux jeux vidéo” est un aspect de l’avidité avec laquelle des joueurs  peuvent investir le jeu. Celui ci est vécu comme un sein immense dont il faut vider tous les objets. La voracité, la gloutonnerie et la convoitise sont alors ce qui est éprouvé devant cette abondance. Il faut tous les objets, et il faut les avoir maintenant. Il faut donc acquérir le plus rapidement le dernier set d’armure, les familiers, accomplir toutes les quêtes d’une zone etc. Les objets sur lesquels porte l’avidité peuvent être symboliques pour la personne. Ainsi, l’accumulation de toutes les mascottes d’un jeu peut être symbolique d’un désir d’enfant. Mais la plupart du temps, c’est le registre économique et l’acte d’accumulation qui comptent : il faut juste en avoir plus.

Ces sentiments sont vécus incomplètement parce que le jeu apporte toujours de nouveaux objets à envier et à convoiter. Il fonctionne comme un sein immense qui jamais ne se tarit. En d’autres termes, avec cet objet, il n’est pas possible d’accéder à une position plus mature qui reconnaisse que les choses peuvent avoir une fin. Les objets, intensément désirés, sont désinvestis aussitôt que possédés parce que d’autres objets se présentent déjà et parce qu’ils sont parmi toute une série d’objets identiques. Le joueur oscille entre des mouvements de forte idéalisations et de désidéalisation. Il lui faut cet objet extraordinaire, puis, une fois qu’il le possède, il s’en désintéresse.

Il manque souvent aux mondes en ligne une qualité nécessaire pour vivre des expériences complète : la destructivité. Il faut en effet que les joueurs puissent risquer de détruire les objets qu’ils convoitent ou envient. De ce fait, ils peuvent plus difficilement reconnaitre la perte, le deuil, la culpabilité,  se sentir responsables de leurs actions, de leur force et ou des choses qui sont plus faibles qu’eux.