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Je serai au Lycée des Graves le mardi 26 mai 2009  à 20 heures pour parler des jeux vidéos. Le public sera composé majoritairement de parents, dont certains seront des professeurs. Mon objectif pour cette intervention est double : apporter des éléments de réflexion sur les mondes numériques, leur histoire, leurs cultures et montrer que ces matières numériques sont aussi des matières à penser.

Peut être est ce que ce blogue peut être un illustration de ce que je veux montrer puisque l’intervention s’appuie sur des billets qui ont été publiés ici. Le cyberespace, ou plus modestement cette partie du cyberespace, est donc bien un espace de dépôt. Ce dépôt fonctionne comme une mémoire augmentée des commentaires qui ont pu être laissés sur chaque billet et des billets qui lui ont donné naissance.

Au niveau de ma thèse, je suis en plein dans la rédaction de ce que les américains appellent early ages ((je n’ai pas de traduction qui me satisfasse pour ce terme, aussi si vous avez des idées …)) aussi commencerai-je par le cri de Steward Brand "Tout cela nous le devons aux hippies" thèse qui a été si brillamment démontrée par John Markoff dans What the dormouse said. D’évidence, lorsque l’on regarde l’histoire du réseau, celui-ci ne pouvait pas ne pas être inventé. Tout, de la production des machines à celle des logiciels, en passant par les hommes de cette période et leurs contestations, leurs idéologies, leurs cultures… tout cela ne pouvait que conduire à la production d’un espace où la parole et ce qui la véhiculait était aussi éloigné que possible d’un pouvoir central.

Quelques Histoires du cyberespace, de l’invention du mail par Ray Tomlinson aux événements légendairescomme La mort de celui qui ne pouvait mourir en passant par les méfaits d’un Mr Bungle relaté par Jullian Dibbel dans A rape in the cyberpsace permettront de montrer cette culture en train de se faire. Qu’avons nous avec le mail de Tomlinson ? Un "hack", un bricolage fait presque dans la clandestinité. Ce n’est pas la première fois que les digiborigènes inventaient le mail. Les systèmes de temps partagé comme CTSS ou MULTICS connaissaient le mail et même la messagerie instantanée. Tomlison et son invention viennent juste au bon moment : le mail se répand comme une traînée de poudre. Aujourd’hui on parlerait de processus viral. Mr Bungle nous amène vers des registres plus sombres du cyberespace. Les  premiers digiborigènes ne sont pas les bons sauvages rousseauistes de contrées paradisiaques. L’emprise, la haine, la violence leur sont communes et banales.

Le lien avec les jeux vidéos ? Ce sont les computers bums du MIT qui ont inventé les premiers jeux vidéo en utilisant des ordinateurs aussi hauts que des frigidaires ((aussi coûteux que des maisons))  – mais juste dix ans auparavant, entrer dans la machine n’était pas une métaphore -  pour faire autre chose. Spacewar! ou Adventure ont été ces autres choses d’ou sont sortie toute cette industrie du jeu vidéo. Aujourd’hui, un jeu vidéo se vent à des millions de copies après des mois de développement. Les croisements avec les autres domaines de la culture sont nombreux : les héros de films s’animent sous nos doigts, et certains jeux vidéos finissent par se retrouver sur nos écrans de cinéma ou en bande dessinée. Certains personnages de MMO – vous avez dit Leeroy Jenkins ? – deviennent même des cartes à jouer ! Comment peut on encore parler de virtuel ?

Les premiers psychologues qui se sont intéressés aux jeux vidéos se sont surtout axés sur ses excès. Hélas, de la même façon que le mail de Tomlinson comportait un péché originel, les psychologues ont commencé à faire fausse route. Kimberley Young prend une plaisanterie pour argent comptant et relaye l’idée d’une addiction aux jeux vidéos. En France, cette idée est reprise par Michael Stora et par Marc Valleur. Le problème est que l’on part d’une métaphore séduisante (le jeu vidéo est comme une drogue)… et que l’on en reste là. Si l’on veut faire une psychopathologie du jeu vidéo, pourquoi en rester à ceux qui jouent trop ? Ne peut on pas aussi s’ intéresser à ceux qui ne peuvent pas jouer, à ceux qui jouent mal et à ceux qui jouent bizarrement ?

Si c’est pas de l’addiction, alors qu’est ce que c’est ? It is the socialisation, stupid ! Nous avons avec l’internet une façon spécifique d’être en relation avec les autres et avec soi même. Nous n’avons pas fini de l’explorer car elle se construit encore sous nos yeux. Ce que l’on peut constater, c’est une accélération vertigineuse ses changements. Il n’y a qu’a comparer l’évolution du web et celle de Twitter pour s’en convaincre. Cela nous confronte a une difficulté, car d’évidence, nos capacités à penser sont dépassées par les mondes numériques.

Les jeux vidéos sont un monde qui est composé de continents. Les joueurs en ont fait la cartographie en décrivant Les types de jeu vidéo. Si aujourd’hui la typologie semble stabilisée, il faut se souvenir des discussions que l’on pouvait suivre dans les années 80-90 dans la presse spécialisée et qui tentaient de déterminer si tel jeu était un jeu de baston, d’aventure, de point and clic ou que sais-je encore. Ces discussions n’avaient rien à envier à celles des salons littéraires en termes de complexité, de passion ou de connaissances nécessaires à la conversation

Jouer avec un jeu vidéo, c’est d’abord jouer. Les fonctions du jeu se trouvent donc pleinement dans les jeux vidéos. Mais c’est aussi jouer autrement et avec autre chose. On peut poser la main sur un train électrique mais pas sur ceux de Railroad Tycoon. Il y a donc des fonctions du jeu vidéo qui jouent avec la proximité du jeu vidéo avec l’imaginaire et le rêve. Cela permet de jouer avec quelques angoisses et même de jouer avec l’horreur.

Matière à penser, avais-je dit. Dans l’histoire de l’humanité, nous avons le papier et le tissu qui nous ont été des matières à penser. Toutes les civilisations se sont baties avec l’une ou l’autre de ces matières. Toutes ont utilisé ces matières pour figurer des processus psychologiques. Le papier comme le tissu sont des surfaces d’inscription et des contenants. Tous sont deux renvoient à l’espace social – la parure, le texte de loi – et à l’espace intime – le journal, le sous-vêtement. Les matières numériques fonctionnent de la même façon. Ils ont aussi une façon qui leur est propre : ils sont partageables sans perte

 

Ah oui ! Il faut répondre à la question A quoi joue-t-on lorsque l’on joue aux jeux vidéos ? Le mieux est de venir à la conférence pour que l’on en parle ensemble. Et si vous ne pouvez pas venir, alors cela veut dire qu’il faut vraiment que l’on passe à la Conférence 2.0 !

 

 

Il y a une litteracy des jeux vidéo et des mondes numériques. L’école a un grand rôle a jouer dans la transmission de ces savoirs. Et elle peut, elle doit, le jouer en mêlant les matières numériques à d’autres matières scolaires.