Un chercheur Inserm, une psychologue et deux psychiatres ((il s’agit de Michel Desmurget, Sabine Duflo, Bruno Harlé et Marie-Aude Geoffray,)) enfilent les perles sur les images violentes dans un article publié sur Lemonde.fr : Grandir avec la violence pour modèle. On y apprend que de manière “indiscutable”, images violentes rendent violents.
Les images violentes agiraient à plusieurs niveaux. Elles désensibiliserait à la souffrance d’autrui, elles augmenteraient le sentiment d’angoisse et d’insécurité et elles exacerberaient l’agressivité.
Il ne fait pas de doute pour les auteurs que les enfants sont dans une situation de grande vulnérabilité face aux images. ils sont au contact plusieurs heures par jour avec des images et ces images ont des contenus violents. Il faut donc protéger les enfants de ces influences néfastes. Les auteurs s’appuient sur un communiqué de l’American Academy of Pediatrics
Il y a pourtant beaucoup à discuter sur cette assertion.
Déclaration conjointe
Le 26 juillet 2000, plusieurs associations américaines ((il s’agit de l’American Medical Association, le American Academy of Pediatrics, l’American Psychiatric Association, l’American Psychological association, l’American Academy of Family Physicians et de l’American Academy of Child and Adolescent Psychiatry)) font une déclaration conjointe sur l’impact de la violence de divertissement sur les enfants.
A partir de plus d’un millier d’études conduites par des institutions et des spécialistes de la santé publique, la déclaration conjointe affirme un lien causal entre la violence dans les média et le comportement agressif de quelques enfants :
“Les conclusions de la communauté scientifique, basée sur 30 années de recherche, est que regarder des images violentes peut conduire à l’augmentation d’attitudes, de valeur et de comportement agressifs, particulièrement pour les enfants,
Les effets de la violence des images sur les enfants est complexe et variable. Certains enfants seront plus affectés que d’autres. Mais alors que la durée, l’intensité, et l’effet de l’impact peut varier, il y a plusieurs effets négatifs mesurables de l’exposition des enfants aux images violente…
Nous n’affirmons en aucune façon que la violence est la seule ni même le plus important des facteurs qui contribuent a l’agressivité, les attitudes anti-sociales et la violence des jeunes.
Nous ne préconisons pas non plus des restrictions sur l’activité créative. Le but de ce document est de décrire, non de prescrire : nous cherchons à dresser une image claire des effets des images violentes. “
La Déclaration Conjointe reste tout a fait mesurée. Elle note la complexité de la situation et en aucun cas ne fait de raccourcis en rapportant une conduite à l’effet des médias. Elle différencie clairement ‘la durée, l’intensité et l’effet de l’impact des images violentes sur les enfants. Enfin, sagement, , elle se refuse à faire une prescription. C’est en effet aux parents de décider des positions éducatives à tenir auprès des enfants.
Durcissement de ton
En 2009, l’American Pediatrics Association publie une autre déclaration. Le ton y est beaucoup plus dur vis à vis des images. Dans sa déclaration l’American Pediatric Association constate la grande exposition des enfants aux média, qu’il s’agisse de la télévision, des jeux vidéo, de la musique. Les contenus sont en grande majorité violents. Les images violentes peuvent contribuer à des conduites agressives, une désensibilisation à la violence, produire des cauchemars ou la peur d’être agressé. l’APA recommande que les enfants soient accompagnés dans leurs usages des médias, que la violence soit présentée de façon moins séduisante et un meilleur usage de la signalétique. C’est sur cette déclaration que s’appuie l’article du Monde.
Rhétoriques de la violence
Le point de vue de l’APA bien que plus récent que la Déclaration Conjointe, a beaucoup plus de défauts. La Déclaration conjointe précisait que les effets des médias violents concernait quelques enfants et étaient variables selon les situations. En d’autre termes, elle reconnait une variabilité qualitative et quantitative des effets des images. L’APA contribue au contraire a faire régner une ambiance d’insécurité en peignant le portrait d’un enfant encerclé d’images violentes qui ont sur lui nécessairement un impact néfaste. Cette rhétorique est basée sur le nombre d’études mises en avant,
Le nombre ne fait pas la preuve
Le premier effet rhétorique est porté par l’effet de masse. 3500 études, 30 années de recherche. Comment ne pas s’incliner devant une telle masse de documents ? Pourtant, il ne faut pas trop se laisser impressionner devant un tel Himalaya. En effet ces études sont très hétéroclites quant à leur ancienneté, leur validité, et même leurs résultats
Que peut il y avoir de commun entre une recherche menée dans les années 70 et une recherche conduite en 2000… Comment ne pas voir que le paysage médiatique, les représentations que l’on a de la violence et les attentes vis à vis de enfants ont changé ? Ce qui était rapporté comme violent dans les années 70 ne le serait pas aujourd’hui. Ce n’est pas que nous sommes devenus de plus en plus insensible a la violence faite à autrui puisque dans le même temps, nous sommes devenus de plus en plus sensibles à certains types de violence. Nous supportons moins la violence faite aux femmes par exemple, alors qu’une gifle donnée à une épouse était alors considérée comme normale non seulement au cinéma mais à la maison. C’est tout le cadre d’interprétation de ce qui est violent et ce qui ne l’est pas qui change avec le temps.
1 étude valide est mieux que 100 études biaisées
La seconde chose qui doit nous permettre de garder l’esprit clair devant toutes ces études est le fait que le nombre ne dit rien de leur validité. Si l’on en croit Stuart Fishchoff celle ci est même problématique. En 1999, devant l’APA, il était amené à dire “Aussi désagréable que cela soit à dire, je pense qu’il n’y a pas une seule étude [en 50 ans] qui ait une validité externe suffisante”
Pour qu’une recherche soit valide, il faut qu’elle mesure effectivement et réellement l’objet de la recherche pour laquelle elle est conduite. Cette validité se décompose en une validité externe et une validité interne. La validité externe examine la généralisation des résultats : comment ce qui a été mesuré dans le cadre construit de l’expérimentation peut il être généralisé à l’ensemble de la population. Elle répond dont à une question très importante : ce qui est affirmé d’un nombre réduit de personnes peut il être dit de l’ensemble de la population ? Il faut donc préciser les conditions dans lesquelles cette généralisation est possible. Si la validité externe n’est pas suffisante, la conclusion de l’expérience ne peut être tenue pour vraie pour l’ensemble de la population. Il devient impossible de savoir si ce qui est vrai dans le laboratoire est vrai dans les maisons.
Trois choses à savoir à propos de l’effet des images violentes
Helen Smith est une psychologue qui a travaillé avec des enfants dont la violence les a conduit jusqu’au meurtre . Elle dit clairement l’absence de lien entre les comportements violents et les médias: “De mon expérience, pas un seul jeune n’a été violent du fait de l’influence d’un média. “. Mais alors, de quoi parlent toutes ces études qui font un lien entre un comportement violent et des images violentes ? Se pourraient-il que 3500 études se trompent. Peut-on repousser ces 3500 études en leur prêtant des problèmes de validité ?
Ce serait sans doute aussi absurde de que voir dans les images violentes un lien direct avec l’agressivité ou la violence. lorsque l’on parle de la l’impact des images il faut garder à l’esprit au moins trois choses. La première chose est que les images violentes ne fabriquent pas des criminels ni des psychopathes. Les déterminants de la criminalité des jeunes sont sociaux, familiaux, et individuels. C’est à se carrefour que se construit la criminalité et certainement pas du seul fait du contact, même prolongé, avec des images violentes. Cela a été montré par une étude menée auprès d’adolescents criminels par William Belson. Les enfants qui regardaient des films violents commettaient plus de crimes que ce qui en regardaient peu. A première vue, cela cadre avec l’idée d’un effet direct et indiscutable de la violence des images sur la violence agie par les jeunes. Pourtant, la même étude montre que les plus gros consommateurs d’images violentes étaient aussi ceux qui commentaient le moins de crimes !
La seconde chose concerne la durée des effets des images. Ce que les études mettent le plus souvent en évidence, c’est un effet à court terme des médias violents. Le Surgeon Général, qui est un des signataires de la déclaration conjointe, a tenu à préciser que les médias violents ont un effet à court terme. Concrètement, cela veut dire qu’un enfant confronté a des images violentes aura tendance a être plus remuant, agressif ou violent que d’habitude. Mais cela ne signifie nullement qu’il deviendra un adulte violent de par ce seul fait. Cela ne signifie même pas qu’il sera violent ou agressif une semaine plus tard
La troisième chose concerne la distinction entre la violence et l’agressivité. L’agressivité est un instinct partagé par tous les animaux supérieurs. Elle est au service de la vie : il faut de l’agressivité pour se nourrir, se défendre d’un prédateur, ou trouver un partenaire sexuel. Elle est un élan vers quelque chose. La violence est tout à fait différente. Elle peut ne pas être portée par un individu comme lorsque l’on parle de la violence d’une tempête. Elle est alors une force aveugle. Elle peut aussi être un effet de l’agressivité. Elle excède alors l’instinct : aucun animal n’a besoin d’être violent. Seul l’homme a cette capacité même si nous ne nous rendons pas suffisamment compte que par bien des égards nos sociétés sont de moins en moins violentes. la violence est une agressivité non contrôlée : elle dépasse ce que le vivant peut tolérer.
Que les enfants soient agités après avoir été en contact avec des images violentes n’est d’ailleurs pas un problème. Un enfant qui reste de marbre alors qu’il est en contact avec des contenus violents devrait davantage inquiéter. L’agitation des enfants est le signe qu’ils sont capable de résonner affectivement avec les personnages qu’ils voient à l’écran. Cela peut être difficile à gérer pour les parents mais ce n’est nullement un trait pathologique.
D’une façon générale, les enfants confrontés à des images violentes ne deviennent pas violents mais… agressifs ! Cela montre bien un premier niveau de filtrage et d’élaboration des contenus qui leur sont soumis. La difficulté est que bien souvent les adultes pensent que l’enfant est dans une simple imitation en miroir alors qu’il est déjà en train de construire quelque chose. Et bien souvent, les adultes oublient cette chose simple : un enfant est un enfant.
Un enfant, par définition, n’a pas les même moyens qu’un adulte pour traduire ses états affectifs. Il aura d’autant plus tendance à avoir recours au mouvement qu’un adulte. L’enfant aura tendance à se lever, gesticuler, voire même à quitter la salle. Devant des scènes violentes, il les rejouera devant le poste de télévision en s’identifiant le plus souvent à l’agresseur. Cette agitation est une façon pour l’enfant de partager avec ses proches ses émotions et de mieux les intégrer.
On objectera sans doute qu’il est tout à fait inutile de soumettre des enfants à de telles images. Ne peut on pas les éduquer sans cela ? C’est d’ailleurs ce qui a été fait avec une expérience dans laquelle toute image a été supprimée. Les enfants sont devenus de l’avis de leurs parents beaucoup plus calmes. Peut-on en conclure que ce ne sont pas seulement les images violentes qui ont un effet délétère sur les enfants ? Ou peut-on aussi penser que les enfants et leurs parents ont eu davantage de temps à passer ensemble et que dans ce cas, leurs besoins relationnels ont été mieux satisfaits ? Chacun jugera s’il souhaite ou non supprimer toute image de l’environnement de son enfant. Certains parents éduquent d’ailleurs leurs enfants de cette façon en évitant d’avoir un téléviseur. Mais on reconnaitra par ailleurs que des enfants élevés dans des familles avec téléviseurs vont bien et que des enfants élevés sans téléviseurs peuvent avoir des conduites agressives.
Les enfants aiment les images violentes
Enfin, il est une chose qu’il faut prendre en compte : les enfants aiment les images violentes. Ils aiment voir Optimus Prime déchiqueter des Decepticons. Ils adorent la méchanceté gratuite de Cliff C. Montgomery Burns. Ils sont aux anges lorsque Freezer montre toute sa perversion. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. Les gravures de Gustave Doré ont encore toute leur force. On sait le sort que le Loup va faire subir à Mère Grand. Le tabouret renversé dit bien la violence du Loup tout à sa hâte d’escalader et le lit et Mère Grand. Et pour qui en douterait encore, le regard terrifié de Mère Grand est sans ambigüité. Même le visiteur de Lascaux ne peut ressentir s’empêcher de ressentir la violence des scènes de chasse.
Les enfants ont besoin de ces représentations violentes parce qu’ils vivent dans un monde qui leur fait violence. Il vivent dans un environnement fait pour les adultes. Ils sont entourés de géants aux pouvoirs immenses. Les représentations violentes données par la culture leur donne une image de ces rapports de force, et des raisons d’espérer et le rêver : le petit triomphe du grand, le faible bat le fort, le vif saisit le mort. Plus le méchant est méchant, plus ses actes sont conduits par sa seule méchanceté, plus le triomphe sur celui ci est grand. C’est pourquoi il ne faut pas s’inquiéter des Uber méchants apportés par les images des comics ou du cinéma. Les enfants aiment les images violentes pour une seconde raison. Il ne s’agit plus cette fois de la maitrise de leur statut de petite personne mais du fait que les images violentes permettent de situer ailleurs l’agressivité et la violence qui peuvent les habiter. Ce ne sont pas eux qui désirent massacrer tout le monde : c’est Freezer qui veut être le Maitre du Monde. En ce sens les images violentes donnent des opportunités de dégagement (coping) aux enfants.
En conclusion, de la même façon que les images n’ont pas nécessairement un effet négatif sur les enfants, elles n’ont pas nécessairement un effet positif sur eux. L’effet des images est a comprendre en fonction de la relation qu’ils nouent avec celle-ci et de la façon dont les parents accompagnent les enfants. Les images violentes peuvent consoler ou servir à symboliser une situation. Mais elles peuvent tout aussi bien être utilisées pour ne pas penser.Dans ce cas, elles servent de prêt à porter qui compense une insécurité interne.
Phrase inachevée : “C’est d’ailleurs ce qui a été fait avec une expérience dans laquelle toute image.”
…violente a été supprimé ?
Ya une contradiction dans ce qui est écrit ici, comment une étude peut montrer quelque chose ET l’inverse ?
“Les enfants qui regardaient des films violents commettaient plus de crimes que ce qui en regardaient peu. […] Pourtant, la même étude montre que les plus gros consommateurs d’images violentes étaient aussi ceux qui commentaient le moins de crimes !”
@JP Explication simple : si vous passez 40 heures devant votre télévision, vous avez moins de d’opportinités d’être dans la rue et donc de commettre des délits. Explication complexe : nous sommes devant quelque chose de similaire à la distribution de Pareto.
Entièrement d’accord avec votre article ci-dessus, que je partage sur Facebook. Merci de cette contribution,
FB.
Bha pourtant IAM disait :
“Mais en parler au journal tous les soirs, ça devient banal
Ca s’imprime dans la rétine comme situation normale,
Et si petit frère veut faire parler de lui
Il réitère ce qu’il a vu avant 8 heures et demie !” :(
Plus sérieusement, vous avez fait un développement très intéressant et je suis de votre avis. Bonne continuation…~
Avec un up particulier pour le passage de psy évolutionniste à la fin d’ailleurs ;)
Oui mais JP a raison. La phrase, telle qu’elle est écrite se contredit. est ce que vous voulez dire que parmi les gens qui commettent des crimes, la proportion de gens exposés aux images violentes est moindre que la proportion de gens exposés aux images violentes dans la population non criminelle ?
L’idée de répondre point par point à ce bel exercice de rhétorique nous a traversé l’esprit mais nous a découragé… Alors, nous nous limiterons à quelques éléments qui nous paraissent suffisants:
Pour discréditer 3500 études (et donc un grand nombre de chercheurs) sur un prétendu problème de validité externe, nous trouvons un peu léger de s’appuyer sur une seule phrase de ce professeur de “Media Studies” californien, Stuart Fischoff, en proie à d’évidents conflits d’intérêt (membre de la société américaine des écrivains de scénarii de films!).
Quant à Helen Smith, nous ne savons pas qui de vos lecteurs ira vérifier vos assertions (elle aussi, en une phrase bien sentie balaierait des milliers de travaux), mais nous renvoyons qui le souhaite à la conclusion de son intéressant travail sur la prévention des actes violents dans les campus (Violence on Campus: Practical recommendations for Legal Educators, téléchargeable gratuitement dans son intégralité).
La traduction est de nous (p.17 de l’article): “Les jeunes gens, de nos jours, apprennent des comportements de colère dysfonctionnels par les modèles identificatoires agressifs qu’ils trouvent à la télévision, dans les films, les jeu vidéos et autres média populaires. Ces modèles n’expriment pas de remords pour leurs comportements agressifs et ne reçoivent habituellement pas de punition, même pour des actes d’une violence incroyable. Les résultats de ce bombardement incessant par les media ont été documentés dans une récente étude longitudinale de l’Université du Michigan.” (elle détaille ensuite les conclusions de cette étude qui ne confirment pas vos impressions optimistes !)
Bref, il est aisé de faire dire à d’obscurs spécialistes américains des choses qu’ils ne disent pas ou qu’ils ne pensent pas forcément, en les citant de façon floue… Mais de là à discréditer 3500 études, c’est osé!
Ce que nous aimerions vraiment maintenant, pour sortir de l’impasse et mieux comprendre nos éventuelles erreurs, c’est que Mr Leroux nous explique où sont les biais, par exemple, sur les 3 études récentes suivantes, prises dans des grandes revues scientifiques à comité de lecture, et que chacun peut trouver en ligne. Que vous nous expliquiez ce qui cloche dans la méthodologie, la sélection des sujets, le traitement des données. Que vous nous disiez où sont les a priori susceptibles d’invalider les conclusions présentées. Nous souhaitons qu’en amorçant une discussion plus rigoureuse, nous puissions avancer sur autre chose que du sable sortir des arguments de comptoirs…
Cordialement,
Bruno Harlé, Pédopsychiatre hospitalier et Michel Desmurget, Directeur de recherche en Neurosciences à l’INSERM.
Television Viewing and Aggressive Behavior During Adolescence and Adulthood
http://faculty.palomar.edu/pjacoby/Television%20Viewing%20and%20Aggressive%20Behavior.pdf
Effects of Reducing Children’s Television and Video Game Use on Aggressive Behavior : a randomized controlled trial
http://www.bvsde.paho.org/bvsacd/cd32/tele.pdf
Violent Television Viewing During Preschool Is Associated With Antisocial Behavior During School Age
http://www.alana.org.br/banco_arquivos/arquivos/docs/biblioteca/pesquisas/Violent%20Television%20-%20Pediatrics.pdf