Xavier Delaporte et moi avions un peu discuté avec l’émission des thèmes qui pourraient être abordés durant l’émission lors d’un entretien préliminaire . Il m’avait alors demandé si l’Internet pouvait être considéré comme une personne. Pouvait-on dire du réseau qu’il avait un  Ça ? un Moi ? Un Surmoi ?

Dans les années 20, Sigmund Freud a effectué un “reboot” de sa théorie. Des difficultés rencontrées pendant les cures psychanalytiques, les discussions (parfois tendus) avec quelques disciples l’amènent a proposer une nouvelle théorie des pulsion, une prise en compte du narcissisme, et une nouvelle topique de l’appareil psychique. Avant Le Moi et le Ca, pour la psychanalyse, l’appareil psychique était composé d’un système Perception-Conscience et d’un Inconscient. En 1923, propose une organisation tripartite : d’un coté l’Inconscient, qu’il nomme Ca en reprenant l’expression utilisée par Groddeck. De l’autre le Moi comprend la vie consciente et les investissements narcissiques. Enfin, le Surmoi est une instance inconsciente qui contient les principes moraux

Si l’on devait superposer l’Internet et cette topique, le premier mouvement serait sans doute de le rapprocher de l’Inconscient. Après tout, l’énorme l’énorme offre pornographique du réseau ressemble à un catalogue des perversions. Elle y sont toutes, des plus banales aux plus exotiques. On pourrait penser que l’Internet est également le lieu de toutes les satisfactions. on y joue. On s’y amuse. Et on peut même y trouver la satisfaction du travail bien fait.

Mais après tout, on pourrait dire cela aussi d’une bibliothèque.

Lorsque je pense au réseau, j’ai souvent en mémoire une histoire de fantastique lue il y a quelques années. Elle se passe en Italie, dans un village un peu reculé. Chaque année, le village produit un géant. Il ne s’agit pas d’un de ces géants que l’on trouve dans les carnavals. Le géant que ce village fabrique est une géant de chair. Il vaudrait mieux écrire : de chairs. Car ce sont les membres du village qui, en se montant les uns sur les autres, produisent ce géant dont la volonté est la somme de toutes les volontés du village. Autant dire qu’il ne sait pas trop où aller, ni même que faire, ou tout simplement qu’éprouver.  Une foule, voilà ce qu’avec talent l’auteur décrivait. Et je pense que les groupements que l’on observe sur le réseau sont souvent de cet ordre : une foule, qui s’impose aux individus – combien se sont inscrits à un service à la suite de la notification “X s’est inscrit au service Y” – et qui 

Voilà donc pour moi une image du réseau : des corps, des désirs, jetés dans un  pèle-mêle qui n’est qu’apparent. Car ces mélanges et ces désordres sont organisés de façon aussi rigoureuse qu’inconsciente. Antonio Cassilli a montré comment le corps n’est pas, contrairement à ce que l’on a pu dire, absent du cyberespace. Il y est même omniprésent au travers des stigmates de présence que l’on trouve autour d’un profil par exemple. La dernière connexion, le nombre de messages, l’ancienneté, l’avatar, le nom utilisé en sont quelques exemples.

L’arrobase en est une autre. Il est, avec son enroulement caractéristique anti-horaire, une image dynamique. Geneviève Lombard a montré que cette image du nombril s’organise autour de deux pôles. Le premier est la (ré)affirmation de soi comme maitre de son propre Soi. Ce sont des espaces subjectivation. Le second pôle fait une place à l’autre. Reprenant et soulignant Ronsard  – “ton paradis, où mon plaisir se niche“ elle montre comment, le web repose la question du double – il faut faire avec l’avec de l’autre, ses désirs, ses jouissances – et la séduction originaire.

J’aime bien l’expression de Xavier Delaporte : L’inconscient du Web. A la veille de soutenir ma thèse sur “Les psychodynamiques des groupes sur le réseau Internet”, je me demande si je n’ai pas été un peu inconscient. Porter la psychanalyse jusque dans le cyberespace ! Heureusement, je ne suis pas seul. Sylvain Missonnier, Michael Civin, Geneviève Lombard et Serge Tisseron ont répondu à la question de Sherry Turkle : il est bel et bien possible de porter un regard psychanalytique sur les matières numériques.

L’expression me fait penser à quelque chose d’autre, que j’avais sur le moment mis de coté, tout en notant qu’elle m’était familière. Dans ses premières versions, le site de Geneviève Lombard s’appelait icsweb.

Comme disait Freud, “les souvenirs oubliés ne sont pas perdus”