Ultima Online mapNaguère monde prospère du cyberespace, Britannia s’enfonce doucement dans la mémoire des gamers. Les cartes disent un monde largement ouvert sur les mers avec des noms de régions faisant rêver  “Wrong”, “Justice”, “Compassion” ou “Shame”. Elles accueillaient  accueillaient les héros souhaitant faire la longue et difficile quête qui les rapprocherait de l’Avatar. Chacun, en fonction de ses compétences, embrassait une profession. Ce que le hasard avait donné en termes de force, de dextérité, ou d’intelligence, ou de résistance se transformait en guerrier, voleur, ou mage.

Le monde de Britannia est un monde enchanté, peuplé d’orcs, d’elfes, de gobelins, et de bobitts. La faune est tout aussi exotique. A coté des bêtes sauvages, on trouve de de puissantes créatures comme des dragons, des fourmis lions ou des élémentaires de terre.

Nul être de Britannia était mieux aimé que Lord British. Lord British était l’avatar de Richard Garriott, un habitant de la Terre qui avait trouvé un moyen de rejoindre le royaume enchanté de Britannia. Il y avait défait les forces mauvaises qui menaçaient le royaume et il régnait depuis sur toute chose et être de Britannnia avec la sagesse qu’on lui connaissait.

Si Richard Garriott était né en Angleterre, les origines de Lord British sont toutes autres.

Richard Garriot était alors un jeune garçon. Ses parents l’avaient inscrit à un camp d’été de l’Université d’Oklahoma. Pour l’adolescent, ce n’était pas nécessairement une bonne nouvelle.  Il devait passer l’été à programmer en Fortran, et même s’il aimait les ordinateurs, il ne trouvait pas que cela valait la peine d’y consacrer un plein été.  Mais son astronaute de père, un moment détenteur du plus long séjour sur la station orbitale Skylab, avait fait des ordinateurs une véritable religion. Les parents du jeune Richard  ne manquaient jamais une occasion d’encourager son gout pour les ordinateurs

– “Tu as dit “Hello” ? Personne du coin ne dit “hello” (…) tu dois venir de Grande-Bretagne, alors nous t’appellerons British” lui lance un autre garçon

Richard Garriott portera ce nom pendant tout l’été. Pendant le camp, il découvre également un nouveau jeu. Autour d’un enfant qui raconte un scénario et décrit des paysages, un groupe de joueur joue à un jeu apparemment sans règles ou il s’agit de vivre des aventures dans un environnement semblable à celui du Seigneur des Anneaux. Des groupes explorent des landes mystérieuses, ou pénètrent les profondeurs de sombres donjons. Certains cherchent la renommée, d’autres la richesses, d’autres enfin ne sont là que par vengeance.  Il découvre ainsi Donjons et Dragons le jeu de rôle inventé par Dave Arneson et Gary Gigax en 1972 à partir de l’univers de Tolkien et des jeux de guerre joués par des personnes aussi différentes que des officiers prussiens et l’auteur de science fiction H. G. Wells

C’est là, dans les parties de Donjons et Dragons, que Richard Garriott se transforme en Lord British. Lorsque des années plus tard, il écrit le premier Ultima, il fait une place à Lord Bristih dans la mythologie du jeu.

L’histoire d’Utilma raconte que la première incarnation de Richard Garriott était  Cantabrigian British, en référence à Cambridge, sa sa ville de naissance, . Après avoir combattu et vaincu un sorcier, il est acclamé comme “Champion de la Lumière Blanche” et le titre de “Lord British, Protecteur de Akalabeth” lui est donné. Dès lors, dans tous les Ultima, à l’exception de Ultima VIII, Lord British sera présent. On le retrouvera même dans la bêta de Tabula Rasa ou les joueurs devront tuer un certain Général British…

.Un homme qui transforme une partie de sa maison en un musée imaginaire de Britannia est un homme dont on peut penser qu’il est habité par le jeu mais aussi par les lueurs du passé. Si Richard Garriott est si attaché à son titre de Lord Britain au point de le porter de jeu en jeu, c’est sans doute que la séparation d’avec sa Grande Bretagne natale fait écho avec quelque chose d’important. Cette perte est pour partie niée dans la création de Britannia, mais d’un autre coté, Britannia porte des éléments dynamiques : Lord Britain est le héros  qui sauve le pays d’un grand danger et qui reçoit en récompense le gouvernement. le pays. L’histoire d’Œdipe n’est pas si différente.

tu seras un gamer, mon enfant

L’histoire de Lord British est exemplaire car elle montre bien comment l’univers du jeu vidéo peut être un objet de subjectivation. Les joueurs de jeux vidéo ne sont  pas tous des Richard Garriot mais tous sont tous des Lord Britain. En effet, comme lui, tous les joueurs de jeux vidéo naissent au moins trois. Ils naissent une première fois comme incarnation du désir de leurs parents. Ils naissent une seconde fois lorsqu’ils se connectent dans l’espace du jeu. Enfin, ils naissent une troisième fois par le nom qu’ils se donnent dans l’espace de jeu. Ce nom est toujours très investi. il est chargé de souvenirs, de désirs, ou d’idéaux. Il encrypte une partie de la vie psychique du joueur. Il est le garant de sa permanence où qu’il se trouve dans le cyberespace. Se donner un nom est toujours une opération importante, car elle place imaginairement le joueur dans la même position que ses parents. Il devient à lui même son propre parent

Le nom est le premier cri dans le cyberespace espace. La transition est si brutale qu’elle appelle impérieusement un signifiant pour nommer la transformation qui s’est opérée. “Qui est tu ?” “Je suis Rastofire, Kraco ou Djinn” répond le joueur.

Le nom permet d’être appelé par l’autre, c’est à dire d’être reconnu. il ouvre aux conversations et aux désignations. Il dit “tu es ceci ou cela” c’est à dire qu’il met fin aux rêveries infinies sur l’identité. Il signale le passage par le stade du miroir qui assigne une image à une identité. Il éloigne des confusions et différencie.

Le nom a des vertus mémorielles. Se rappeler de Beldeche, c’est convoquer à sa mémoire les gestes et les paroles échangées avec lui. C’est se souvenir des lieux habituels des rencontres . C’est appeler d’autres noms.

Contrairement au nom de famille et au prénom, le nom de joueur n’est pas quelque chose que l’on hérite mais quelque chose que l’on se donne. Il est marqué non pas de l’inconscient  de l’Autre mais de l’inconscient de la personne. Il en porte le chiffre. Cela n’est pas nécessairement un fardeau. Mais c’est toujours une possibilité de se re-présenter quelque chose de soi. Passer du temps à jouer, c’est toujours passer du temps à être face à son nom.