J’utilise la formule dans le même sens que Brian Sutton-Smith qui dans The Angiguity of Play (1997) met à jour sept rhétoriques sous-jacentes au jeu. Par rhétorique, Brian Sutton-Smith comprend un « discours persuasif ou narration implicite, plus ou moins volontairement adapté par les membres d’un groupe pour persuader les autres de la véracité et de l’intérêt de leurs croyances » (Brian-Sutton Smith, 1997 : 8). Il s’agit donc d’affirmations qui justifient dans une société des idées sur les jeux et qui orientent les recherches qui sont faites à son sujet.
Pour Brian Sutton-Smith, chaque type de jeu appelle un discours particulier. Les jeux des enfants, qui ont le plus retenu l’attention des commentateurs, appellent une rhétorique du progrès. Le jeu est alors décrit dans un processus qui le lie à l’apprentissage, soit qu’il le facilite, soit qu’il en soit l’étape préliminaire. Les jeux de hasard, le sport et les concours, le jeux traditionnels et les cérémonies, la créativité, les performances individuelles, et la bouffonnerie sont respectivement traités par les rhétoriques du destin, du pouvoir, de l’identité, de l’imaginaire, du self, et de la frivolité.
On retrouve ces même rhétoriques dans les discours sur les jeux vidéos
Rhétorique du progrès. Le jeu vidéo est un espace de progrès. Il permet aux enfants de sa familiariser avec les espaces numériques et leurs codes. Il est le lieu de préparation de la vie professionnelle adulte en permettant aux joueur d’acquérir les savoirs faire relationnels qui leur seront utiles plus tard, ou en entrainant des composantes cognitive spécifiques, telles que la capacité à gérer plusieurs situations en même temps. Bref, le jeu vidéo sauvera la monde (McGonigal, J.)
Rhétorique du pouvoir. Les jeux vidéo sont des espaces de violence. Cette violence a des effets néfaste sur la vie des individus et plus particulièrement sur le développement des enfants. La violence des jeux vidéo légitime la violence en général. Elle a un effet désensibilisant et qui conduit les joueurs à faire davantage appel à elle. A contrario, la violence dans les jeux vidéo a un effet cathartique bénéfique pour les joueurs.
Rhétorique de l’identité Les jeux vidéo sont des lieux de création et d’expression d’identités collective. La figure du hardcore gamer, du no-life ou plus banalement du joueur de jeu vidéo en sont quelques exemples. Ces identités se manifestent lors des lan parties, des conventions et des festivals dédiés au jeux vidéo
Rhétorique du self. Le jeu vidéo est une expérience qui peut conduire à des excès qui sont alors pris en charge par la psychiatrie. Le psychiatre doit évaluer si les conduites du joueur sont guidés par un processus morbide ou s’il s’agit d’une manifestation de sa subjectivité. (Matysiak, J.-C. ; Valleur, M.) Dans ce dernier cas, la pratique, même excessive, du jeu vidéo est supposée apporter quelque chose au joueur. On rejoint ici la rhétorique du jeu vidéo comme progrès
Rhétorique de l’imaginaire. Le jeu vidéo est un lieu de fabrique et de recombinaison des identités. Les avatars, les noms et les histoires endossées en ligne permettent de se présenter à soi-même et aux autres d’une façon tout à fait différente de ce que l’on est. Ces modifications peuvent concerner le sexe, l’apparence physique, mais également des traits de caractères ou des comportements (Suler, J. ; Turkle S. ; Tisseron, S.)
Toutes les rhétoriques n’ont pas le même développement. La rhétorique du jeu vidéo comme destin est absente des débats. Cela tient part à l’histoire des idées, d’autre part à leur réception de rhétoriques dans l’espace public et enfin du dispositif considéré : le jeu vidéo fait peu de place au hasard. Il appelle bien plutôt des habilités et des maitrises (jeux de plate forme, FPS, Shoot Em up) et des mise en scène de soi (jeux de rôle) . Historiquement, ce sont les rhétoriques de l’imaginaire et du self qui se sont mises en place en premier, puis la rhétorique du progrès s’est installés autour du serious game. D’une façon générale, concernant le enfants, un consensus s’est autour de l’idée que les jeux vidéo sont une aide à leur développement psychologique et social. Il faudrait ajouter, pour être tout à fait exact, que les jeux vidéo sont une aide au développement des enfants lorsqu’ils sont pratiqués avec modération.
Le jeu vidéo se coule ainsi dans l’ancienne rhétorique du jeu comme élément essentiel du développement des individus. Elle s’enracine dans des observations et des évidences premières issues de la biologie. Les jeux des juvéniles, qu’il s’agisse d’animaux domestiques, sauvages, ou encore de petits d’hommes leur est une manière essentielle de s’adapter et de se développer. Le chaton et le lionceau affutent leurs comportement de prédateurs pendant des jeux de chasse et d’affut, et le petit d’homme se préparer à jouer son rôle dans la société en jouant au papa ou à la maman. Ces évidences sont par ailleurs appuyées par un raisonnement darwinnien : si les animaux s’adonnent à un comportement aussi coûteux en temps et en énergie que le jeu, c’est qu’il doit bien avoir une valeur importante. Malheureusement, les observations récentes des éthologues ne confirment pas ce point de vue. D’abord parce que un petit animal que l’on a empêché de jouer ne sont pas désavantagés dans leurs comportements de prédation une fois devenus adultes. Ensuite parce que le coût en temps et en énergie n’est pas si élevé qu’on l’imaginait.
On a beaucoup mis l’accent sur le fait que les joueurs avaient une meilleure représentation de l’espace et une meilleure coordination occulo-motrice que les autres. Mais cette amélioration a aussi été notée dans les années 1960 chez les plus gros consommateurs de télévision. Il ne semble pas qu’il y ait là un effet spécifique du jeu vidéo, mais bien plutôt un effet de discours qui l’installe comme facteur de progrès. La rhétorique de la santé croise ici la rhétorique du self, ce qui concourt à mettre en place une sanitarisation du jeu vidéo. On a ainsi pu entendre qu’il faudrait mettre dans les MMORPG des psychologues qui interviendraient en cas de connexion prolongées, c’est-à-dire d’une possible addiction au jeu vidéo.
Les jeux vidéo sont donc pris dans des faisceaux de discours qui organisent leur pratique et les recherches dont ils sont l’objet. Celles-ci ont plus souvent comme but de convaincre d’une idée – les jeux vidéo sont violents, créatifs, des apprentissages…- que d’établir des faits. On retrouve ici l’idée de Michel de Certeau pour qui « « Des récits marchent devant les pratiques sociales pour leur ouvrir un champ »
Les jeux vidéos ont toujours eu des portes paroles contre, mais là comme il s’introduit de plus en plus dans nos vies, on assiste à des débats mouvementés
Bonjour,
En réaction à cet article, et à l’interview lue sur le site du nouvel obs, je dirais que, à mon sens, les “problèmes” liés (soi-disant) au(x) jeu(x) sont surtout liés à l’image qu’en donne les “biens pensants” et les médias. C’est l’expression du problème qui crée le problème. Ce qui rejoint votre conclusion sur l’organisation de la recherche.
Malheureusement, et c’est bien là où est le cœur du problème, les comportements, et mœurs lié aux multimédias ont bien évolué ces 20 dernières années. N’en déplaise à certains, “exit” l’image du “geek no life boutonneux”, et bien malin celui qui pourra donné aujourd’hui une définition du “geek”:
– Est-ce le joueur invétéré?
– Est-ce la midinette accrochée à facebook qui met sont réveil à 3h du matin pour récolter ses légumes sur farmville?
– Est-ce le politique, ou le journaliste, qui ne vit que par tweets?
– Est-ce le papa accro aux parties de poker?
-…
Plutôt que d’intégrer ces notions, les débats restent ancrées sur des idées reçues datant de l’époque “Mortal Combat” et “Counter Strike”…
Peur d’évoluer? … Typiquement Français, typiquement humain.
Cordialement.
@Matthieu Vos remarques sont tout à fait justes. J’ajouterais que le travail de David Peyron permet de comprendre un peu mieux ce que la société organise sous le terme de “geek”
Il tient un blog : http://kitsunegari.over-blog.com/