Nous avons une sociabilité intime : tous nos actes, même ceux qui nous semblent les plus naturels, comme marcher, manger ou se torcher, sont des actes sociaux. Ils sont construit collectivement, et ne prennent sens que dans une communauté ((Cf. les techniques du corps de Marcel Mauss)). Nous pouvons verser l’extimité au titre des “techniques de soi” de Michel Foucault au sens qu’il s’agit bien là de techniques par lesquels nous effectuons “seul ou avec d’autres, des opérations sur [notre] corps, [notre] âme, [nos] pensées” (Foucault M.)
Les blogues et les réseaux sociaux sont souvent compris comme des dispositifs où cette extimité se donnerait à voir. Le coté “journal intime” de certains blogues, le babillage sur Twitter et sur Facebook, l’exposition de soi que l’on peu y noter que ce soit au travers d’images ou de textes en seraient quelques exemples. C’est un point de vue que l’on peut retrouver sous le clavier de Serge Tisseron qui note dans Nouveaux réseaux : des désirs vieux comme le monde que les réseaux sociaux permettent de se cacher et de se montrer et donc sont des lieux d’expression de l’intime et de l’extime.
Pour bien comprendre ce qui se passe avec les nuages, il faut prendre en compte ce qu’ils ont de spécifique.Il est évident que parler ce n’est pas écrire, et écrire sur une feuille de papier ce n’est pas écrire avec un ordinateur :
“Toute technique s’accompagne […] d’une posture psychique qu’elle induit et qui influe, à son tour, sur le contenu du message […] la pensée se construit dans le va et vient entre les contraintes imposées par la machine, les échappées libératoires qu’elle permet et le projet du texte qui s’en trouve modifié à chaque instant. Ainsi, elle se construit différemment selon qu’on parle, qu’on écrit sur du papier ou qu’on tape sur un clavier devant un écran d’ordinateur” Serge Tisseron, L’intimité surexposée, 2001.
La parole, l’écrit et l’écriture électroniques produisent donc des postures différentes. Toujours selon Serge Tisseron, la parole est d’abord retrouvailles avec le sonore originel, l’écrit est en rapport avec les matières scolaires. L’un et l’autre sous sous le régime du surmoi mais différemment. La parole est liée au surmoi maternel – c’est elle qui autorise la prise. de parole – tandis que l’écrit est lié au surmoi paternel qui veille au respect des normes (la bonne forme des lettres et des mots). Parce qu’il est toujours possible de reprendre ce qui a été écrit, l’écriture électronique est beaucoup plus libre des exigences surmoiques. On le voit avec l’apparition de ces chimères que sont les souriards mais aussi avec l’oralité écrite que de nombreux observateurs ont noté a propos des communications médiatisées par un ordinateur.
Cette liberté tient à la matérialité du support et aux qualités de l’encre numérique. La page blanche peut s’effacer sans laisser la moindre trace de repentir. Par ailleurs, les lettres sont toujours bien formées, elles s’ordonnent parfaitement sur la ligne, et il est possible d’en modifier facilement la taille et la forme. Sur une feuille de papier, ce que la main écrit est sous la surveillance de l’œil. Ce que la main dessine est comparé à une forme idéale, et le plaisir est en lien avec la proximité de l’idéal. Avec un ordinateur, la bonne formation des lettres est prise en charge par le dispositif.
Parce qu’ils offrent cette fluidité du numérique et qu’ils sont des ouvertures vers l’autre, les blogues sont de bons candidats pour être des supports de l’extimité. Il y est en effet facile de publier du contenu, qu’il s’agisse d’images ou de textes, ou les deux à la fois, et il y est facile d’y recueillir des commentaires qui vont en retour modifier les représentations de soi qui ont été à l’origine de la mise en ligne du contenu.
Un blogue est différent d’un carnet intime car il est d’emblée tourné vers les autres. Il nécessite un travail d’explicitation qui n’est pas nécessaire au carnet intime puisque l’on s’écrit à soi-même. Il est également différent du journal car un journal ne contient pas des éléments intimes ou personnels. Mais il est des journaux et des carnets intimes qui utilisent le blogue !
Il faut aussi se souvenir qu’un blogue est un média. Ce qui est important est donc la forme de relation que la personne entretien avec ce média. Un blogue peut être utilisé comme n’importe quel autre outil en ligne mais il peu aussi être mis au service d’une dynamique psychique. Ainsi, un blogue peut tout aussi bien être au service d’un travail de mémoire ou d’oubli; il peut témoigner d’un désir d’appartenance a un groupe social… ou être le lieu d’expression de l’extimité. Il peut aussi servir … à bloguer !
Sébastien Rouquette a remarquablement bien repéré les différentes utilisations extimes que l’on peut avoir du blogue : revendiquer sa “vraie” nature, faire valider sa vie, donner son avis et écrire. Chaque utilisation valorise une identité avoir une personnalité propre, témoin, essayiste ou auteur) et soutient un type de désir (reconnaissance, réconfort, débattre, désir d’être suivi)
On retrouve bien ici les deux mouvements de l’extimité : être reconnu comme ayant une identité propre et faire valider sa vie correspondent au mouvement centrifuge qui va de soi vers l’autre tandis que créer des espaces de débat et de rencontre correspond au mouvement centripète de l’extimité.