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Je n’ai pas de souvenir conscient de premiers pas de l’homme sur la lune. Plus tard, lorsque j’en ai vu les images, je n’ai pas été étonné pas plus que je n’ai pas été étonné de la première sortie extra-véhiculaire de la [W:navette spatiale challenger]. Aller dans l’espace m’ apparaissait comme un prolongement des grandes expéditions. Des aventures, certes, mais l’humanité me semblait être faite de cette matière.

J’ai par contre été impressionné par les échanges radios entre l’équipage de Apollo 11 et Houston  et par la reprise en main de son commandant dans les toutes dernières secondes de l’alunissage. La distance d’avec le sol natal, l’approche de nouvelles terres, le contrôle de sa destinée, les questions sur la possibilité d’un retour… il y avait là de quoi mourir toute une mythologie personnelle.

A voir comment les médias se font caisse de résonance pour fêter le quarantième anniversaire de cet événement, je pense ne pas être le seul à y trouver quelques échos.

C’est qu’il y a dans cette aventure toute une série de figures qui reprennent des mythes qui frayent profondément notre identité culturelle. Plus exactement, il y a deux imaginaires qui se rencontrent et s’affrontent. Celui du pilote, héros solaire affrontant les hauteurs. Et puis celui de la Technique. D’un coté l’humain, de l’autre les automatisme, autant dire : l’automate.

 

Victor Scradigli qui fait une ethnographie des pilotes d’essai montre que dans ce qui semble être le temple de la raison technicienne, d’autres forces sont en jeu. La magie et ses bricolages, l’imaginaire et ses logiques, ne sont jamais très loin.

 

Le progrès technique est une belle magie qui “ enchante ” la réalité en promettant la fin du mal. Ainsi la figure du pilote d’essai n’est-elle pas sans rappeler celle du chamane (Scardigli, Maestrutti, Poltorak, 2000). Cette population professionnelle constitue un groupe d’êtres mis à part (exigences extrêmes au recrutement, isolement durant la formation puis dans l’activité quotidienne…). Passés par l’épreuve du feu (ce sont d’anciens pilotes de chasse), ils continuent d’être marqués par le côtoiement quotidien de la mort (même si de nos jours ils courent de moins en moins de risques). L’un de leurs rôles est d’aller tester le comportement d’un nouvel avion, mené à l’extrême limite de son “ domaine de vol ” Le pilote d’essai prend sur lui le danger, il démontre que l’avion inconnu n’est pas porteur de mort. La gestation et la naissance d’un nouveau type d’avion prennent le sens d’un accouchement humain : tel les “ désorceleurs ” observés par J. Favret-Saada (1995), ou le chamane accoucheur de Lévi-Strauss (1958), le pilote d’essai vient écarter les fées malfaisantes qui entourent le berceau de chaque innovation. Et cette épreuve vécue va ensuite lui donner une autorité charismatique pour trancher dans les controverses entre concepteurs et utilisateurs de chaque nouveau dispositif technique. Cette autorité est source de la confiance des équipages dans leur machine. Or, elle relève en partie de la toute-puissance magique (Mauss, 1997), puisque le bureau d’étude introduit inévitablement des “ bugs ” dans la programmation, comme tout travail humain, et qu’une vérification exhaustive est impossible. De même, le logiciel qui “ anime ” l’automate à bord “ va dire à l’équipage ce qu’il a à faire ” face à des évènements en vol anticipés par le bureau d’étude plusieurs années auparavant. Cette intervention est évoquée, par les uns et les autres, comme celle d’un messager surnaturel qui ignore les barrières de l’espace et du temps : il voyage entre ciel et terre ; entre le moment de la conception et, des années après, celui d’un vol réel. Victor Scardigli, Entre automates et magie, notre identité culturelle