La nouvelle est tombée dans la soirée : “Les jeux vidéo provoquent de l’agressivité chez les enfants et adolescents”. Dans mon fil Twitter, elle a d’abord été relayée par BFMTV. Je suis maintenant tagué dans des discussion sur Facebook à ce sujet. Plutôt que de répondre à toutes les questions et de participer a toutes les discussions, il me semble plus simple de le faire sur Psy & Geek (-;
Il faut d’abord noter le point positif. il y a pas si longtemps encore, les média français ne s’intéressaient pas aux jeux vidéo. Il fallait des semaines voire des mois avant qu’un média parle d’une étude faite sur ce sujet. Aujourd’hui, la réactivité est presque immédiate. Il suffit qu’une étude soit évoquée sur Science Daily pour qu’on la retrouve sur nos téléviseurs.
Il faut donc féliciter les journalistes pour leur veille sur ce sujet. Malheureusement, cet aspect est largement éclipsé par le traitement fait aux jeux vidéo. Si les journalistes ne peuvent pas faire preuve de bienveillance vis a vis des jeux vidéo, peut être peuvent ils faire preuve d’objectivité ? N’est-ce- pas ce que l’on peut attendre de journalistes ? Or, la brève de BFMTV est un résumé d’une dépéche de l’AFP elle-même traduite d’un billet de ScienceDaily
Curieusement, dans la dépêche de l’AFP, “les jeux vidéo violents” deviennent les jeux vidéo. C’est une manipulation du sens qui est vraiment problématique. En ne rendant pas compte des faits, et uniquement des faits, en se livrant à une généralisation abusive, le journaliste – et avec lui l’AFP – contribue à nourrir un climat de méfiance autour des jeux vidéo. En résumant une dépêche AFP sans vérifier la source, le journaliste de BFMTV n’a pas fait son travail. Depuis Albert Londres, le travail de journaliste a t il tellement changé qu’il se limite maintenant à faire suivre des rumeurs ?
Que dit la recherche ?
La recherche a été menée par Indonésie sur 3000 enfants indonésiens. Elle est signée par 5 auteurs dont deux (Douglas Gentile et Craig Anderson) sont connus pour leurs nombreuses publications sur les effets négatifs des jeux vidéo violents.
Pour les auteurs, les jeux vidéo violents est un apprentissage à la violence. le joueur apprend a être vigilent, à se garder de ses ennemis, et a répondre agressivement. Ces expériences répétées ont pour effet de désensibiliser à la violence.
Les enfants jouant à des jeux violents pensent de plus en plus agressivement. Ils ont également tendance à répondre plus agressivement. La méthode utilisée est celle du questionnaire c’est-à-dire que les conduites n’ont pas été observées directement, mais que l’on a recueilli l’avis des enfants. La théorie sous-jacente est celle de l’apprentissage social. Le psychologue Bandura (1977, 1986) s’appuie sur l’imitation pour rendre compte de l’acquisition, de la modification et du maintien des comportements comportement en situation de groupe. L’imitation des autres est à l’origine de l’acquisition de nouvelles réponses et donc du comportement social. La théorie de l’apprentissage social a été adaptée par les psychologues qui travaillent sur les média. Selon cette théorie, les enfants imitent les modèles donnés par les média (bande-dessinée, télévision, jeux vidéo)
Que peut-ont en conclure ?
La recherche trouve un lien entre une pratique (les jeux vidéo violents) et des comportements. Mais il n’est pas possible de dire que l’un est la cause de l’autre. La corrélation n’est pas une relation de causalité. Il est inexact, même avec cette étude, de conclure que “les jeux vidéo violents produisent des comportements violents”. Il est malhonnête d’écrire que “les jeux vidéo produisent des comportements violents”
Deuxièmement, il existe déjà beaucoup d’études montrant ce type de relation. Pour les psychologues qui travaillent sur cette question, elle n’apporte rien. Nous savons par des études répétées que jouer a des jeux vidéo violents est lié au fait d’avoir des idées, des émotions, et des comportements violents. Nous savons également que la taille de l’effet est modeste, et qu’il n’y a pas de lien entre les jeux vidéo violents et les conduites violentes. En effet, depuis la généralisation des jeux vidéo dans les années 1995 aux USA, on note une baisse de la criminalité juvénile aux USA. Comment comprendre cette baisse avec la généralisation des jeux vidéo ?
Pourquoi publier une étude dont on connait déjà les résultats. La raison semble assez éloigné des standards de la science. Il y a d’abord l’attention médiatique. En quelques heures, le compte-rendu (mal traduit) de l’étude a traversé l’atlantique. Il y a ensuite l’attention académique. Douglas Gentile et Craig Anderson ajoutent une publication à leur CV. Dongdong Li Angeline Khoo, Sara Prot obtiennent un article qui sera sans doute souvent cité.
Le barnum de la psychologie
Il est scandaleux de voir l’AFP trahir volontairement le sens d’un texte qu’elle a traduit. Il est consternant de voir que des journalistes se contente d’un copier-coller. Il est dommage de voir la psychologie se transformer ainsi en un Barnum permanent avec des auteurs qui publient la même étude pour montrer les même choses soit parce qu’ils veulent à tout prix prouver un point de vue idéologique, soit parce qu’ils cèdent aux plaisirs de la médiatisation. La démarche ressemble a celle du Tea Party. Par leurs publications, Douglas Gentile et Craig Anderson maintiennent une tension dans l’espace public. Ils contribuent, avec les journalistes, à construire un lien entre les jeux vidéo violents et les conduites violentes. Il construisent ainsi une chimère. Ils jouent sur le mot violence pour laisser entendre que la violence des écrans la violence tout court, et que les comportements violents qui sont corrélés aux jeux vidéo violents sont ces crimes graves que l’ont voit à la télévision. Rien n’est plus éloigné de ce que l’on sait par les expériences de laboratoire et les études longitudinales : les jeux vidéo violents ne sont pas la cause des conduites violentes et ils ne conduisent pas devant le juge.
Douglas A. Gentile, Dongdong Li Angeline Khoo, Sara Prot, Craig A. Anderson.Mediators and Moderators of Long-term Effects of Violent Video Games on Aggressive BehaviorPractice, Thinking, and Action. JAMA Pediatrics, March 24, 2014 DOI: 10.1001/jamapediatrics.2014.63