« [Les objets] sont le moyen privilégié par lequel nous accédons à des représentations de nous même et du monde. » 

Serge Tisseron, Comment l’esprit vient aux objets

 

Le Prince de Sang Mélé contient un objet curieux : l’horcruxe. Il s’agit d’un objet dans le quel il est possible de déposer une partie de son psychisme. Le psychisme de la personne est ainsi protégé mais partage de le destin de son réceptable.   Tant que l’objet est intact, le psychisme reste vivant. La personne peut ainsi atteindre potentiellement l’immortalité.Un autre effet secondaire est que le psychisme de la personne devient instable à chaque dépot. Il s’agit de la plus terrible des magies noires et la création d’un Horcruxe viole les lois de la nature et de la moralité. Parmi les ingrédients de sa création, la mort d’un être humain car “tuer un homme vous déchire l’ame en deux” (Dumbledore). Voldemort est le seul sorcier connu a avoir créé plusieurs horcruxes. L’horcruxe est un objet banal en soi, sauf pour son propriétaire. Il peut être inerte ou animé. La part d’esprit qu’il contient peut à son tour posséder une autre personne si elle se montre trop intéressée par l’objet.

L’opération est réversible, mais au prix de grandes souffrances. Il faut prendre sur soi les souffrances que l’on a fait subir aux autres, éprouver un douloureux et sincère  remords au point de risquer sa vie

 

On trouve de tels objets dans d’autres créations littéraires et jusque sous la plume de … Jean de la Fontaine.

Lise n’était qu’un misérable oison. /Coudre & filer était son exercice; / Non pas le sien, mais celui de ses doigts; / Car que l’esprit eût part à cet office, /Ne le croyez pas; il n’était nul emplois /Où Lise pût avoir l’âme occupée Jean de Lafontaine

Jean de La Fontaine le dit brutalement : « Lise songeait autant que sa poupée ». Il y aurait beaucoup à dire sur ce conte grivois – car bien entendu, il se trouvera un père Bonaventure pour traiter Lise comme une poupée – mais un des angles de compréhension est rendu possible paar les réflexions de S. Tisseron sur les objets. Les objets, c’est la thèse qu’il défend, donnent à penser, c’est-à-dire qu’ils sont une aide à la symbolisation. Cette symbolisation est une symbolisation « en corps », en ce sens qu’elle fait participer l’expérience que nous avons du monde, et ce jusque dans ses recoins sensuels ou douloureux, pour les traduire en représentations qui vont à la fois rappeler et témoigner de cette expérience auprès d’un autre. Ainsi, la manipulation obsessionnelle d’un objet, l’élection d’un vêtement préféré, la mise en valeur d’un bibelot, la rénovation de meubles anciens peuvent témoigner aussi bien d’un mouvement d’introjection, de la réactivation de sensations, d’émotions, de fantasmes narcissiques et sexuels ou encore de la mise en dépôt de fragments d’expérience douloureux. C’est ainsi qu’il faut sans doute redresser l’histoire de Jean de Lafontaine : c’est après avoir été « piquée » par le père Bonaventure, traitée comme une poupée, que Lise en est réduite à ne plus pouvoir penser à quoi que ce soit. Et ce n’est plus que du bout des doigts qu’elle se permet d’être vivante, perdue dans une manipulation d’objets qui rappelle le traitement dont elle a été l’objet.

Jean de Lafontaine et J.K.Rowling décrivent tous les deux les attitudes que nous pouvons avoir face aux objets.

Nous pouvons tous banalement constater, sur nous et sur nos proches, le pouvoir des objets. Nous nous sentons plus beaux et plus forts dans tel vêtement, nous sommes rassuré de sentir notre téléphone dans notre poche, nous conjurons le sort avec des objets. C’est que les objets nous sont intimement liés. De la même façon que les outils puis les machines ont prolongé les fonctions de nos organes, les objets sont le prolongement de nos désirs, qu’ils soient d’emprise, érotiques ou narcissique.

Ce mouvement de projection avait été perçu par des psychanalystes comme Anna Freud et Melanie Klein. La première faisait appel à l’animisme du petit enfant qui a tendance à considérer tout son environnement comme quelque chose de vivant. La seconde interprétait le phénomène en faisant appel à la projection : l’enfant dépose dans l’objet des parties de lui même. Le but est celui de la préservation de soi :  l’enfant se sépare des parties “mauvaises” de son psychisme ou préserve des parties “bonnes” en les déposant dans un objet. Ce dialogue inconscient avec les objets n’est possible que du fait de notre aspiration au non-humain décrit par Harold Searles.

 

 

imageSerge Tisseron a complété le mécanisme en montrant que le rapport que nous avons avec les objets s’inscrit dans une dynamique d’intériorisation des expériences du monde. Le mouvement de projection n’est qu’un premier temps. Il est suivit d’un temps introjectif dans lequel la personne récupère les éléments de soi qui avaient été préalablement déposés dans l’objet. Lorsque ce temps manque, l’expérience d’intériorisation est incomplète et aboutit à une mutillation du self. L’objet n’est plus le lieu d’une dynamique de transformation et d’élargissement du self mais un lieu de stase. Certains de ces objets peuvent être porteurs de secrets. Ils sont transmis de génération en génération, avec l’interdiction inconsciente de les détruire ou de s’en séparer.Certains cadeaux fonctionnement également de cette manière.

 

L’horcruxe montre un autre aspect de ces objets. Ils sont réversibles. Par exemple, un tshirt acheté sur un lieu de vacances va servir comme un tshirt, mais il va servir à retrouver les sensations agréables de cette période de vie. La réversibilité touche aussi la forme de relation que nous avons avec les objets qui peuvent être investis comme objets-mémoire ou objets-oubli (Tisseron, 1999). Mais, retrouver en soi des éléments qui sont longtemps resté à l’abri du fonctionnement psychique général passe nécessairement par des moments douloureux.Il faut en effet accepter les parts que l’on jugeait “mauvaises” ou prendre le risque de voir ses “bonnes” parties modifiées par le temps ou l’action des autres zones du psychisme.

On comprend également pourquoi l’horcruxe peut s’imposer à une personne. La crypte, et le fantôme qu’elle contient (N. Abraham & M. Torok), finit toujours pas suinter. Les désirs déposés dans l’objet demandent à être reconnus et satisfaits. L’impossibilité à se séparer de l’objet signe alors l’anxiété de la personne quant aux qualité du contener : est il suffisamment solide pour contenir ce qui lui a été confié ? Ce qu’il contient est il toujours intact ? visible par d’autres ? L’objet alors dérive vers le fétiche – il est doté de capacités de toute puissance, il est une idole – ou vers des utilisations contraphobiques – il est un consolateur.

 

Intuition : J.K. Rowling a construit toute une histoire autour de ces objets