En psychologie, une façon de mesurer les émotions est d’enregistrer les manifestations physiologiques qui les accompagnent. Les rythmes cardiaques et respiratoires, la tension artérielle, la réponse cutanée galvanique, ou le diamètre de la pupille ont ainsi pu être utilisés. C’est cette méthode qui a été utilisée par des chercheurs chinois pour examiner les effets des jeux vidéo violents en faisant jouer ou regarder un jeu vidéo non violent. 10 minutes plus tard, les personnes regardent un film violent. On constate que les personnes qui ont regardé ou joué à un jeu vidéo violent ont un rythme cardiaque et une réponse cutanée plus faibles que ceux qui ont regardé ou joué à un jeu vidéo non-violent. Cela démontre pour les auteurs un effet de désensensibilisation des jeux vidéo violent(Li, Rong, and Xu 2009)

On peut objecter que tout cela reste dans le domaine des images, et que dans « la vraie vie » les choses seraient tout à fait différentes. Cette hypothèse a été mise à l’épreuve dans une autre expérience avec le dispositif suivant. Les sujets jouent à un jeu vidéo violent ou un jeu non-violent. Apres le jeu, alors qu’ils remplissent un questionnaire, une bagarre éclate à coté du laboratoire. On constate que ceux qui ont joué à un jeu violent mettent plus de temps intervenir. Ils ont également tendance à considérer que la bagarre est moins sérieuse, et même à etre moins conscients de la dispute que ceux qui ont joué à des jeux vidéo non-violents (Brad J Bushman and Craig A Anderson 2009). Dans une seconde étude, certains participants regardent un film violent et d’autres un film non violent. Après le film, tous voient une jeune femme avec des béquilles manifestement en difficulté. Ceux qui ont regardé le film violent mettent davantage de temps à aider la personne que les autres participants (Brad J Bushman and Craig A Anderson 2009)

La preuve est donc faite que les images violentes, que ce soit les jeux vidéo ou les films, suscitent un abaissent de la tolérance a la violence. Fin de l’histoire.

Mais cela peut aussi être le début d’une autre histoire.

La façon dont les choses sont présentées par l’étude de Anderson et Bushman laisse entendre que la réaction normale et attendue aurait été de venir en aide aux deux personnes. Puisqu’après avoir joué à un jeu vidéo violent, les personnes n’interviennent pas dans la dispute, ou n’apportent pas leur aide à la jeune fille, c’est parce que leurs capacités d’empathie ont été touchées. Ils ont été désensibilisés par la violence des images. Les jeux vidéo violents ont donc des effets destructeurs sur les conduites prosociales.

Essayons de voir le problème sous un angle un peu plus large. Quelles sont les situations dans lesquelles une aide est spontanément apportée à une personne inconnue ? Les psychologues se posent la question depuis le meurtre de Kitty Genovese en 1943 devant des témoins apathiques. Le premiers résultats ont été apportés par Darley et Latane (Darley and Latane 1970) qui montrent que la situation de groupe inhibe les réactions d’aide en diffusant le sentiment de responsabilité. La compréhension du comportement d’aide a été par la suite précisée par d’autres études. Un des résultats est que les personnes ont davantage tendance à intervenir lorsque la situation d’aide est non-ambiguë. Par exemple, si un technicien tombe avec un cri aigu comme s’il avait été électrocuté, les étudiants l’aident dans 100% des cas, qu’ils soient seuls ou accompagnés d’un autre étudiant. Le risque d’être électrocuté, figuré par les câbles électriques trainant par terre, ne les arrête pas. Par contre, si le technicien est invisible, et que les étudiants n’entendent que ses cris, alors la situation devient plus ambigüe. Seuls 36% des étudiants interviennent lorsqu’ils sont seuls, et 50% lorsqu’ils sont deux.

Une série d’expériences a été faite dans le métro pour comprendre l’aide apportée spontanément à un étranger. Dans ces expériences, un comparse des expérimentateurs simule un malaise. Il est aidé dans 80-90% des cas. Lorsqu’il saigne de la bouche, l’aide devient un peu moins fréquente, puisqu’il reçoit un secours de la part d’étrangers dans 60-70% des cas. Si la personne a une tache de naissance sur le visage, elle reçoit également moins d’aide d’une personne sans stigmate. Enfin, une personne saoule reçoit très peu d’aide (20-30%)

Ces quelques expériences montrent que l’histoire complète est bien évidement plus complexe que le schéma stimulus-réponse mis en avant par les tenants de l’hypothèse désensibilisation. . Les conduites prosociales ne se déclenchent jamais automatiquement et elles ne sont pas inhibées par un seul facteur. Elles sont le résultat d’un calcul plus ou moins conscients qui prend en compte plusieurs facteurs concernant les caractéristiques de la personne (les traits de personnalité de la personne, sa suggestibilité, les besoins primaire de protection et d’estime de soi, les besoins relationnels et sociaux, de la victime (stigmates, sexe, âge etc.) et de la situation (ambigüité, urgence, situation groupale…)