Virole, Benoît.

Virole, Benoît. “Panorama et enjeux des mondes numériques.” Enfances & Psy 2 (2012): 13-21.

Le psychologue psychanalyste Benoit VIROLE présente  dans “Panorama des enjeux des mondes numériques” un panorama des mondes numériques pour mieux en souligner les enjeux. VIROLE est un bon connaisseur des mondes numérique. Il contribue de manière importante à l’élaboration théorico-clinique des médiations numérique par ses connaissances en psychanalyse, en psychologie clinique et en anthropologie

Dans la première partie du texte VIROLE expose les différents mondes numériques que sont les mondes virtuels, l’Internet, les communications numériques et les réseaux sociaux sont présentés. Dans un second temps, il en tire des conclusions temporaires. Le texte est un très bonne introduction aux questions apportées par les mondes numériques. Si beaucoup de questions restent encore ouvertes, certaines ont déjà trouvé une réponse. Après avoir présenté le texte, je discuterai la question de la catharsis dans les jeux vidéo pour en montrer les limites.

 

Les mondes virtuels sont des “espaces graphiques dynamiques, en deux ou trois dimensions, dans lesquels il est possible de faire évoluer des objets, anthropomorphiques ou non, nommés avatars, au travers des commandes d’une interface numérique (clavier, souris, manettes etc.” L’immersion, définie comme “une attribution transitoire de la réalité à un environnement virtuel dans lequel le sujet performe ses intentions d’action au travers d’un avatar” est le concept central de ces monde. Pour VIROLE, les mondes virtuels permettent de mieux comprendre le phénomène d’attribution de la réalité. Celui est est généré à chaque fois que nous sommes témoins de quelque chose que nous ne pouvons pas prévoir.

Puisque les jeux vidéo sont un cas particulier des mondes virtuels, une partie de la réflexion leur est consacrée. VIROLE considère que l’appétence des adolescents pour les jeux de combat et de guerre est problématique mais qu’elle reflète un refoulé notre culture qui ne sait plus comment aider les jeunes à transformer leur agressivité. Les jeux vidéo sont donc des moyens de canaliser l’agressivité de manière cathartique ou symbolique.  Ils  sont utilisés dans le cadre de remédiations cognitives et les apprentissages car ils permettent de susciter une cognition intégrée en situation. La psychologie dynamique et la psychanalyse gagnerait à s’y intéresser.

 

Parmi les questions posées par les mondes virtuels : est ce que ce que l’on apprend dans le virtuel se généralise au réel ? Peut-on expérimenter une réalité factice sans expérience corporelle ? Peut-on rêver dans un jeu vidéo ?

L’Internet est décrit comme un réseau délocalisé entre des milliers de serveurs indifférents aux frontières. Les acteurs du réseau sont des consommateurs de services et producteurs de contenus numériques. Le réseau modifie le rapport à la connaissance en supprimant les échelons intermédiaires ce qui a pour effet de saper les structures classique de la transmission et de la diffusion de connaissance (école, université, institutions académiques, groupes professionnels)

Les communications numériques (téléphone mobile, SMS, visioconférence, géolocalisation, partage de communications et de documents ) rapproche les hommes en subvertissant les distances, facilitant la production, négligeant les obstacles que son la distance et le temps.. Ces nouveautés ont des avantages mais sont aussi aliéntantes d’abord parce que l’important est moins le contenu du message que le fait d’être présent dans un réseau d’interconnexion. Le second problème concerne la sociabilité car les personnes auraient tendance à investir leurs mobiles plutot que leurs voisins. La vitesse est une autre aliénation car les acteurs doivent maintenant penser et agir vite

Les questions posées par les réseaux sociaux concernent en particulier les normes éducatives : à quel âge avoir un téléphone ? Pour quel usage ? Les téléphones ont ils leur place à l’école ?

Les réseaux sociaux sont décrits comme des espaces conviviaux de présentation de soi et de communication; ils facilitent les contacts avec d’autres sujets à l’aide de moteurs de recherche. Ils permettent la communication de contenus numériques, sont indépendants des localisations nationales et sont devenus pour nombre de jeunes une agora ou ils peuvent se rencontrer et échanger. Les réseaux sociaux sont des espaces de représentation de soi qui suscitent une autoreprésentation qui tentent à réifier la relation à soi et aux autres.

Pour conclure, VIROLE souligne deux points : 1) il n’est plus possible de négliger le nouveau rapport à la connaissance car “la technologie numérique assure des fonctions de mémoire, de traitement voire de raisonnement qui étaient auparavant dévolues à l’esprit humain”. Cependant ce changement n’est pas nouveau car nous avons toujours intégré dans nos outils nos découvertes; 2)  il est difficile d’évaluer l’impact du numérique sur le lien social car les structures sociales sont déterminées par la famille, les clans, les classes sociales, les règles de mariage et d’héritage, les règles de succession, l’histoire collective etc. Les utilisateurs de l’Internet créent des néostructures sociales dans lesquelles les anciennes verticalités sont bouleversées par la logique des pairs
Depuis les années 1970, les jeux vidéo n’ont pas cessé d’évoluer dans leurs formes, dans leurs dispositifs et dans les publics concernés.  Parallèlement à cette évolution, les contenus violents n’ont pas cessés d’augmenter eux-aussi. Les mondes des jeux vidéo sont principalement des mondes du meurtre et de la violence ce qui a amené à se poser la question de leurs effets sur les joueurs en général et sur les jeunes en particulier.

Quels sont les effets des jeux vidéo violents sur les joueurs ? Pour répondre à cette question, l vieille notion de catharsis du monde grec antique a été avancée. Étymologiquement, catharsis signifie “purger”. EMPEDOCLE l’utilise dans le sens d’une purification religieuse, PLATON pour parler de la purification de l’esprit par la philosophie tandis qu’il a le sens d’une évacuation d’humeurs mobide chez HIPPOCRATE. Mais c’est surtout le sens que lui donne ARISTOTE dans sa Poétique qui passera à la postérité. Pour ARISTOTE, la catharsis est liée à la tragédie en ce sens qu’elle permet la purgation des émotions comme la pitié et la crainte par l’imitation de personnages en action.
Parce que les jeux vidéo sont des média interactifs, les joueurs y vivraient plus facilement encore qu’au théâtre un effet cathartique. C’est cet effet que VIROLE postule en affirmant que les adolescents trouvent dans les jeux vidéo des moyens de canaliser leur agressivité de manière cathartique ou symbolique. Cette hypothèse a été mise à l’épreuve dans plusieurs recherches

L’effet cathartique des jeux vidéo a été retrouvé KUTNER et OLSON (2008)  qui montrent que 62% des joueurs de jeux vidéo violent se sentent plus détendus après une partie et 45% d’entre eux affirment que cela leur a permis de “faire sortir leur colère”. Les jeux vidéo violent seraient donc une arène dans laquelle les personnes pourraient efficacement ventiler leur agressivité envers d’autres personnes. Cette agressivité peut prendre des formes qui ne sont pas autorisées puisque les jeux vidéo permettent de tuer avec des armes blanches, des armes à feu, des lance-flames,  des chars de combats, des avions. Même des jeux qui au départ ne sont pas fait pour exprimer l’agressivité peuvent être utilisés à cette fin.  Par exemple, dans les Sims, de nombreuses personnes rapportent avoir tué en affirmant un Sim, en le noyant ou en l’empêchant d’aller aux toilettes. Cependant, la méthode utilisée par KUTNER et OLSON souffre de biais qui affectent sa validité tout d’abord parce les personnes qui répondent à un questionnaire peuvent de pas être représentatifs de la population étudiée mais surtout parce nous avons tous tendance à nous présenter sous notre meilleur jour ainsi qu’à notre tendance a être influencés par différents facteurs lorsque nous répondons à une question à ne pas répondre directement aux questions posées ce qui affecte la fiabilité et la validité des mesures.

Le dispositif expérimental utilisé par GRAYBILL, KIRSCH et ESSELMAN (1985) pour vérifier l’hypothèse cathartique évite ces problèmes. Des élèves de CE, CM1 et sixième identifiés comme agressifs ou non agressifs par les autres élèves ont joué à un jeu vidéo violent (boxe) et à un jeu vidéo non violent (basket). Après le temps de jeu, tous les enfant ont passé le test de Rosenzweig qui permet d’établir les réactions d’une personne à une situation de frustration ou de conflit.. Dans leurs réponses au test, le enfants qui ont joué au jeu non violent ont tendance à davantage utiliser la projection et le déni. Ces deux mécanismes modifient la réalité extérieure en diminuant la responsabilité de la personne. Pour les auteurs, cela signifie qu’après avoir joué à un jeu vidéo violent, les enfants arrivent plus facilement a exprimer leur agressivité d’une manière socialement acceptable.

Des études plus récentes vont également dans le sens de l’hypothèse de la catharsis. GITTER et al (2013) ont mis en place deux études. Dans la première, deux version d’un jeu vidéo violent ont été utilisés dans des contextes différents. Le premier est un contexte prosocial dans lequel le joueur protège un autre personnage. Le second contexte est décrit comme “moralement ambigue” car il s’agit de tuer le plus de zombies possibles. Un jeu vidéo non violent est utilisé comme contrôle. Avant de jouer, les participants sont testé dans une compétition afin de solliciter l’agressivité. Les auteurs trouvent une réduction significative de l’agression dans le contexte prosocial/

Dans la seconde étude, les auteurs trouvent une augmentation des pensées prosociales pour les joueurs de la condition “prosociale” par rapport a ceux de la situation “moralement ambigue”. Le contexte est donc un élément important à prendre en compte. Lorsque les motivations des joueurs sont prosociales, les jeux vidéo violents donnent lieu a moins d’agressivité. Les auteurs ont fait une autre découverte. La situation moralement ambigus produit des pensées prosociales en nombre plus important que le jeu vidéo non violent. Puisque les joueurs ont précédemment eu leur agressivité activée, ce résultat va dans le sens de l’hypothèse cathartique.

Les résultats de ces deux études permettent d’apporter une précision a l’affirmation de VIROLE selon laquelle les jeux vidéo violent apportent des occasions de ventiler leur agressivité de manière cathartique ou symbolique. L’hypothèse cathartique est vérifiée mais de manière limitée. Les effets de la violence dépendent largement du contexte du jeu car ce n’est pas la même chose que de tuer pour protéger ou tuer pour son propre plaisir. Enfin, il reste à préciser les effets des jeux vidéo sur les comportements puisque les études présentées ici ne concernent que les pensées des joueurs.

 

 

SOURCES

Virole, Benoît. Du bon usage des jeux vidéo et autres aventures virtuelles. Hachette littératures, 2003..