Le psychiatre Marc VALLEUR et la psychologue Elisabeth ROSSE s’appuient sur leur expérience commune au Centre Marmottan (PARIS) pour faire l’hypothèse d’une addiction aux jeux vidéo constituée par une perte de sens progressive. Cette hypothèse échoue trois fois à être prouvée. Les auteurs n’apportent pas des éléments cliniques convainquants. Il n’arrivent pas a articuler cette hypothèse à la théorie à laquelle ils se référent. Enfin, des preuves expérimentales vont dans le sens opposé de ce qu’ils affirment

Pour les auteurs, le processus spécifique de l’addiction aux jeux vidéo est constitué par le passage du jeu vidéo comme support à la rêverie ou à l’imagination au jeu vidéo comme support à la rêvasserie. Le jeu vidéo est alors utilisé pour faire le vide ou construire une bulle dans laquelle la personne s’isole du reste du monde. Cette fonction de refuge leur semble être caractéristique d’un type d’addiction particulier

Les auteurs opposent ces addictions refuges à des addictions ordaliques  dans lesquelles la personne risque réellement sa vie. Avec les jeux vidéo, cette dimension ordalique est absente. Les jeux vidéo sont utilisés par les personnes pour se protéger d’une situation compliquée en cherchant à à  satisfaire d’une manière cathartique  des fantasmes ou des désirs violents ou risqués. Après avoir utilsé le jeu vidéo comme un refuge, la personne peut dériver vers l’addiction. Le jeu ne joue alors plus sa fonction de substitution à des conflits ou à la réalisation de désirs

L’article est intéressant parce qu’il expose différentes situations cliniques. Il montre comment le jeu vidéo peut être utilisé comme point d’appuis à la subjectivation ou au contraire il peut être un moyen pour ne pas penser ou ne rien éprouver. L’appuis des auteurs sur Serge TISSERON est tout à fait bienvenu. Serge TISSERON a en effet montré que le monde des images peut être utilisé contre le monde. De la même manière qu’une mère peut être emportée dans ses rêveries par le plaisir des interactions passées avec son bébé ou utiliser ces mêmes ressources pour s’échapper de la relation, une personne peut utiliser le jeu vidéo comme un appuis à sa vie imaginaire et fantasmatique ou pour éviter d’y être confronté. Plutôt que de rêver ou d’imaginer, la personne rêvasse.

Pour Serge TISSERON, les caractéristiques de la rêvasserie correspond au jeu vidéo pathologique. Les deux activités absorbent de l’énergie sans participer à l’engagement au monde ou à la vie psychique du sujet; font perdre du temps; sont soutenus par un désir de toute puissance infantile; excite tout en mettant le corps dans un état d’immobilité motrice presque totale. Mais en aucun cas, Serge TISSERON ne fait du jeu pathologique une addiction.

Alors que Serge TISSERON s’est appuyé sur la différence entre rêver/imaginer et rêvasser pour faire la différence entre le jeu vidéo normal et le jeu vidéo pathologique, Marc VALLEUR et Elisabeth ROSSE font un pas de plus en tentant de spécifier cette pathologie en une addiction. Mais les éléments de preuve qu’ils apportent sont peu convainquants.

Il est possible que la désymbolisation et la désubjectivation accompagnent les addictions. Mais cela ne signifie par pour autant que toute désymbolisation ou désubjectivation soit le signe d’une processus addictif. Par exemple, les grands traumatismes provoquent une forte désubjectivation. La personne se sent comme jeté hors du monde au moment de l’événement traumatique. Dans un second temps, elle vit le moment traumatique dans des flashs ou elle est comme suspendue dans le temps. Il est pourtant difficile de dire que cette personne a une addiction au traumatisme.

Malheureusement c’est dans cette voie que les auteurs s’engagent lorsqu’ils parlent des enfants violés qui deviennent par la suite “addicts” à la prostitution. Il y a beaucoup de voies qui mènent a la prostitution, et parmis les prostitués il y a une proportion de personnes qui ont été agressées sexuellements. Mais parler d’addiction à la prostitution c’est confondre la répétition et l’addiction. Il y a de la répétition dans l’addiction, mais toutes les répétitions ne sont pas des addictions ! La répétition est une des voies d’aménagement des traumatismes parce qu’elle permet à la personne ; ce retournement est recherché parce qu’il est subjectivant. Là ou la personne était “objet de  quelque chose” elle devient “sujet de quelque chose”

Le second point faible de l’argument des auteurs est qu’il repose sur la “trop grande efficacité de la fonction cathartique du jeu [vidéo] a l’intérieur duquel s’épuise un potentiel d’agressivité”. Cette fonction cathartique a largement été débattue . ANDERSON trouve que les jeux vidéo violents ont tendance à augmenter les comportements violents. L’augmentation est d’autan plus importante que la personne a des traits agressifs. Il montre aussi que les jeux vidéo violents ont tendance à augmenter les pensées violentes. Il n’y a donc pas pour ANDERSON d’effet carthartique des jeux vidéo. L’idée de Marc VALLEUR et Elisabeth ROSSE selon laquelle les jeux vidéo violents seraient une “bulle” dans laquelle les personnes déchargeraient leur agressivité n’est donc pas fondée expérimentalement.

Par ailleurs, l’hypothèse de la bulle cathartique des jeux vidéo a l’inconvénient de trop centrer la dynamique du jeu sur la violence et l’agressivité. Pour Brandon, le cas présenté comme exemple d’une addiction au jeu vidéo,  le fait que le cadre de l’action corresponde  à son histoire familiale qui nourrit bien plus l’intérêt du joueur que la violence ou l’agressivité.

En conclusion, Marc VALLEUR et Elisabeth ROSSE apportent a la discussion des éléments intéressants qui montrent que des personnes peuvent utiliser les jeu vidéo à des fins de subjectivation ou de désubjectivation. Ils n’apportent pas de preuve que cette désubjectivation soit une addiction parce que les éléments cliniques qu’ils apportent ne sont pas spécifiques de l’addiction, qu’ils n’articulent pas leur conception de l’addiction à la théorie à laquelle ils se réfèrent et parce que des preuves expérimentales vont dans le sens opposé de ce qu’ils affirment

SOURCE

Anderson, C. A., & Dill, K. E. (2000). Video games and aggressive thoughts, feelings, and behavior in the laboratory and in life. Journal of personality and social psychology, 78(4), 772.