Elisabeth ROSSE-BRILLAUD et Irène CODINA tentent de de faire du jeu vidéo excessif une addiction comportementale comparable à l’addiction au jeu d’argent et de hasard dans leur article “Internet : un amplificateur pour les addictions comportementale” publié dans la revue Psychotrope en 2009. Elles présentent une rapide typologie des joueurs de jeux vidéo et des joueurs de jeux d’argent et de hasard et des cyberdependants sexuels reçus en consultation au Centre Médical Marmottan (Paris) puis donnent des indications de traitement pour les différentes situations.

Les résultats sont résumés dans le tableau suivant :

Pour les adolescents, la “réalité virtuelle” offre un cadre rassurant dans lequel ils peuvent fuir une réalité vécue comme inquiétante et peu maîtrisable, de ne plus avoir à se préoccuper de son corps ou de ne plus faire face à des difficultés familiales. Pour les joueurs de jeux d’argent et de hasard, le jeu offre une compensation dans une période de transition. Enfin pour les personnes qui sont présentent une “cyberdépendance sexuelle, les auteurs repèrent une incertitude par rapport à l’identité, un sentiment de dévalorisation et une dépression antérieur

L’objet des auteurs est de montrer que l’Internet est un facteur aggravant des addictions comportementales pour les jeux d’argent et de hasard et pour les jeux vidéo. Il n’est pas atteint du fait de la méthode utilisée

Tout d’abord, l’article manque de définitions. Que ce soit pour les jeux de hasard et d’argent, la cyberpornographie ou les jeux vidéo, les auteurs ne donnent pas au lecteur une définition de l’addiction. Celle-ci fonctionne donc comme une catégorie vague qui regroupe des conduites excessives, passionnelles et addictives. Or, cette distinction est essentielle car seule l’addiction relève d’un traitement psychologique  approprié. L’excès ou la passion de sont pas des pathologies. Sans définition claire, les auteurs risquent de pathologiser des personnes qui n’ont pas de traitement.

Si les auteurs s’attachent a décrire comment l’Internet peut être un amplificateur pour les addictions comportementales, elles n’en apportent pas la preuve.  Il aurait en effet fallu comparer les joueurs d’argent et de hasard et les joueurs de jeux vidéo à des joueurs qui n’ont pas Internet. Il aurait aussi fallu donner une évaluation de l’intensité de leurs troubles. Ainsi, il aurait été possible de donner une estimation du poids de l’Internet dans les troubles considérés. Sans cette comparaison, aucune conclusion valable n’est possible

Il est aussi difficile de comprendre comme les jeux d’argent et de hasard pourraient être une compensation “dans une période de transition ontogénétique” alors même que l’étude décrit des personnes pour qui cette transition ne se fait pas puisqu’il s’agit de jeunes adultes qui vivent encore chez leurs parents parce qu’ils ne sont pas encore capables d’être indépendants

Il est dommage que les auteurs n’abordent pas les différences fondamentales entre les jeux d’argent et de hasard et les jeux vidéo. Il n’est pas possible de s’endetter considérablement en jouant avec un jeu de rôle en ligne. L’emballement imaginaire qui saisit les joueurs de jeux d’argent et de hasard dès qu’ils gagnent une somme d’argent n’existe pas chez les joueurs de jeux vidéo. Il n’y a aucune chance à devenir millionnaire en jouant à World of Warcraft

La partie sur la “cyberdépendance sexuelle” pêche par un flou problématique car les auteurs ne peuvent pas dire avec précision le nombre de cas présentés. Les 25 cas “environ” sont caractérisés par un sentiment de dépendance, l’existence d’une autre addiction, la nécessité de regarder des scènes de plus en plus et pour certain un syndrome de manque. Pour ces hommes, l’Internet a augmenté la pratique de la pornographie. Mais là encore, il est impossible d’avoir une idée de la grandeur de cette augmentation. S’agit il d’une agumentation de la fréquence du comportement ? de sa durée ? de son intensité ? des problèmes qui en découlent ? Le lecteur n’obtient aucune réponse à ces questions qui sont pourtant essentielles pour évaluer un trouble

Les indications de traitement données à la fin du texte souffrent du manque de précision clinique des auteurs. En effet, si un lieu de pause semble parfois “utile et nécessaire”, les auteurs donnent aucune indication : quand est il utile et nécessaire de proposer un séjour de rupture ? Sur le plan, le fait que les auteurs ne donnent pas d’indication de psychothérapie laisse penser qu’elles considèrent que “l’addiction aux jeux vidéo” relève d’une prise en charge éducative et sociale et non d’une psychothérapie. Cela a été la conclusion de nombreux auteurs (par ex : VALLEUR, 2004) qui considèrent que l’addiction aux jeux vidéo n’est pas fondée scientifiquement

Le fait que les auteurs ne prennent pas en compte les positions différentes des leurs est une grande faiblesse de l’article. Dans un article scientifique, les auteurs doivent prendre en compte tous les arguments d’une questions pour les discuter. Ils réfutent les points de vue opposés en apportant de preuves qui montrent en quoi leur position est la meilleure. Sans ce travail d’argumentation, l’article perd de sa force de démonstration. L’apport d’une preuve suffisante, qui est le but de tout article scientifique, régresse au niveau d’une simple opinion. Pourtant les auteurs n’avaient pas a aller loin pour discuter leur position. Marc VALLEUR, médecin psychiatre dans le même service, écrivait dès 2004  dans Les nouvelles addictions :  « Disons-le clairement, nous n’avons pas connaissance de dépendance ou d’addiction aux jeux vidéo parmi les enfants, mais certains abus, certaines pratiques frénétiques témoignent d’un malaise et souvent d’un dysfonctionnement au sein du cercle familial. »

 

 
En conclusion, parce que les auteurs ne donnent pas de définition claire du trouble étudié et parce que la méthode qu’elles utilisent ne permet pas de faire de comparaison, la thèse qu’elles avancent n’est pas fondée sur une preuve suffisante. L’étude échoue à montrer 1) que le jeu vidéo peut constituer une addiction comportementale et 2) que l’Internet est un amplificateur pour les addictions comportementales. L’article est une bonne illustration de la tentative de certains addictologues de ramener les jeux vidéo dans le panier de l’addictologie. Mais comme tous les excès ne sont pas des addictions, les auteurs sont contraints, volontairement ou non, à de grandes approximations.