Elisabeth ROSSE emprunte à George PEREC la notion de racontouze pour rendre compte du travail de construction de soi rendu possible par les avatars.

 

Le travail de construction de soi de l’adolescence est aujourd’hui rendu plus difficile par la disparition de cadres d’inscription, l’élongation de la période de l’adolescence, et la déliaison sociale. La dimension narrative de l’identité, la “racontouze”, est une alternative permettant à chacun d’accéder à une vision unifiée de soi

ROSSE examine cette dimension au travers des pratiques des joueurs de jeu de rôle en ligne en commençant par présenter le joueur excessif : comme pour les addictions, ces joueurs ont un dérèglement du biorythme, un isolement social et une délaissement du corps du chair au profit du corps de pixels. Pour ces joueurs, les outils relationnels sont un moyen d’échapper à la complexité des rapports humains et à leur imprévisibilité.

L’avatar permet au adolescents de pratiquer la racontouze, de se raconter dans ses petits gestes anodins. Dans les jeux vidéo, la racontouze s’effectue par l’acte numérique davantage que par la parole. l’histoire du personnage viendrait supplanter celle du joueur. Dans les jeux vidéo, le joueur est d’emblée acteur puisqu’il décide par ses actes du déroulement du récit.

Les joueurs de jeux vidéo construirent un autre Soi qui est a la fois eux-même et un Autre. Les mondes dans lesquels les avatars évoluent sont des nouveaux lieux d’expression des questionnements existentiels. Ce sont des théâtres dans lesquelles les adolescents établissent le contrôle des relations d’objets, des espaces transitionnels qui permettent de transposer et d’affronter sur un espace externalisé les transformations non contrôlées de la puberté. Dans ces espaces temps rien n’est irréversible. Les adolescents fabriquent les singularité du support à Soi et à d’autres. Cela les expose à l’addictivité d’un jeu dissolvant tous les “Je” virtuels ou réel et possible puisque tout est possible. Le jeu retarde ainsi leur entrée dans la maturité

Dans les premiers entretiens avec les joueurs excessifs, ROSSE propose d’écouter l’avatar afin de les aider se raconter.

La “racontouze des avatars” est une belle trouvaille d’Elisabeth ROSSE. On retrouve avec cette notion les description faites par Sherry TURKLE dans les années 1995. Pour cette fine observatrice des mondes numériques, les ordinateurs sont des objets transitionnels parce qu’ils apportent à leurs utilisateurs une fonction de soutien. Cette position a été critiquée notamment par Mickael CIVIN qui montre que le cyberespace peut être utilisé d’une manière créative ou perverse. L’important est donc moins les caractéristiques de l’internet que de l’habileté du joueur à en faire un espace de subjectivation ou de désubjectivation. En d’autres termes, le jeu vidéo n’est pas en soi un espace transitionnel lle jeu vidéo n’est pas un objet transitionnel, mais que ce qui se passe entre le fauteuil et l’écran peut être en lien avec les phénomènes transitionnels.

ROSSE s’inscrit dans la tradition qui fait des jeux vidéo des narrations. Par exemple, PYLER a rapproché les jeux vidéo du monomythe américain en montrant que les héros sont souvent des personnages désintéressés, qui arrivent de nulle part et repartent une fois que l’ordre à été rétabli.   Cette tradition “narratologiste” doit être complétée par une approche “ludologiste” qui met en avant que les jeux vidéo sont avant tout un système de règles avec lesquelles le joueur a plaisir à interagir. Cette dimension est malheureusment absente du texte de ROSSE qui met trop l’accent sur l’aspect narratologique des jeux vidéo

Qu’ils soient des histoires ou un ensemble de règles, les jeux vidéo sont des objets culturels qui offrent à des personnes la possibilité de jouer, c’est à dire d’entrer dans cet espace situé entre la réalité interne et la réalité externe. Avec les jeux vidéo, les joueurs retrouvent les grandes figures du mythe et du conte. Ils peuvent les accorder à leurs propres mythes personnelles. Jouer à un jeu vidéo, c’est trouver et retrouver des éléments de sa propre expérience subjective. Un joueur se reconnaîtra dans un personnage de jeu vidéo. En ce sens il “trouve” dans le jeu une image qui dit qui il est. D’un autre côté, le temps passé à jouer fait du jeu vidéo un espace de dépôt ou l’on peut “retrouver” des éléments de son expérience passée
Comme toujours avec les addictologues, Elisabeth ROSSE défend l’idée d’une addiction aux jeux vidéo. ELle passe du joueur excessif à la “relation addictive” en caractérisant l’addictivité du jeu vidéo au fait que tous les “je” posible y sont dissous. Mais c’est précisément la caractéristique de l’expérience transitionnelle que de dissoudre les limites du Self. Dans l’expérience transitionnelle, la question d’avoir trouvé ou créé l’objet ne se pose plus. Tout est y possible d’une manière fluide et harmonieuse. Au final, si l’on met de côté la tentative de verser le jeu vidéo excessif  dans la corbeille de l’addictologie, La racontouze des avatars d’Elisabeth ROSSE est un texte intéressant parce qu’il apporte une nouvelle notion pour comprendre l’expérience vidéo ludique des joueurs de MMORPG