Sylvain MISSONNIER est un des premiers psychologues français à s’être intéressé à l’utilisation de l’Internet et aux jeux vidéo intéressé. A partir de cette expérience, il a produit une théorie riche et innovante de la périnatalité en développant la notion d’une relation d’objet virtuelle (MISSONNIER, 2007) . Dans “Le tropisme de la polémique et la précarité du débat”, il note qu’en ce qui concerne l’usage des écrans par les bébés, le débat est souvent compliqué par les acteurs eux-même. Les écrans sont présentés de manière contrastée comme étant “bons” ou “mauvais” par des spécialistes qui font tourner la machine médiatique. Il considère qu’un consensus se dégage en différenciant la télévision des écrans non-interactifs et en prenant en compte la qualité de la relation des personnes qui entourent le bébé lorsqu’il est au contact avec les écrans.

Sylvain MISSONNIER propose une alternative intéressante en affirmant que les fonctions d’arrêt, d’occultation, de filtre protecteur, de projection unilatérale ou de médiation interpersonnelle des écrans sont des compagnons culturels de longue date. Cette différenciation permet de comprendre que tous les écrans ne sont pas égaux. En effet, Ils ont des fonctions différentes dans différents contexte relationnels fonction des contextes relationnels.

La situation décrite par Sylvain MISSONNIER correspond à ce que l’on appelle en sociologie une  panique morale. Le terme a été décrit pour la première fois par Stanley COHEN qui a montré que la culture crée des “démons populaires” qui permettent d’expliquer une situation de crise. Ils sont alors décrits dans les médias de manière caricaturale. Des experts se saisissent de la question dans l’espace public. Les politiques entrent dans la discussion en proposant des restrictions pour protéger le public. Les positions des experts se polarisent ce qui intéresse encore davantage les journalistes. Ainsi, les jeux vidéo puis les écrans ont été pointés comme responsables de différents problèmes de santé. Des restrictions légales ont été proposées ou mises en place alors même que la recherche donne des résultats contradictoires. Pour une présentation plus précise de la panique morale, voir Jean-Michel CHAUMONT, 2012.

Sylvain MISSONNIER propose une alternative à cette impasse en affirmant que les  fonctions d’arrêt, d’occultation, de filtre protecteur, de projection unilatérale ou de médiation interpersonnelle des écrans  des compagnons culturels de longue date. Cette différenciation permet de comprendre que tous les écrans ne sont pas égaux. En fonction des contextes relationnels, ils peuvent avoir différentes fonctions pour le bébé. Sylvain MISSONNIER donne une formulation élégante du problème car elle sous entend que les écrans ne sont pas tombés du ciel. Ils sont des objets de culture, produits par une culture dans une culture. Elle met ensuite en avant que les écrans reprennent des fonctions qui bien avant eux. En effet, nous n’avons pas attendu d’avoir des écrans pour vivre dans nos espaces intérieurs de moments d’arrêt, de flou ou de médiation.  Autrement dit, les écrans, comme tous les objets techniques, sont portés par des fonctions psychiques

Il est dommage que ces différentes fonctions n’aient pas été davantage développées. Sylvain MISSONNIER aura sans doute manqué de place. Pour avoir accès à toute la complexité de cet auteur, le lecteur devra donc se tourner vers d’autres textes comme L’enfant au risque du virtuel.

J’aurais aimé que Sylvain MISSONNIER ait sur la questions des écrans un point de vue plus affirmé. En effet, de nombreux éléments de la recherche et l’histoire des média laissent à penser que les effets négatifs et positifs que l’on attribue aux écrans sont exagérés. Par ailleurs, il possible que le débat sur les écrans marque uniquement des différences de génération comme le montrent par exemple Christopher FERGUSON et John COLWELL. Dans ce contexte, ne pas affirmer que les “effets” des écrans sont  au mieux marginaux est contre productif car cela prolonge la panique morale actuelle autour des écrans.

Au final, “Le tropisme de la polémique et la précarité du débat” est une bonne introduction pour le lecteur qui souhaite s’engager dans les questions que les écrans posent au développement des enfants

SOURCES

CHAUMONT, Jean-Michel. Présentation. Entre paniques et croisades: sociologues et claims-makers. Recherches sociologiques et anthropologiques, 2012, vol. 43, no 43-1, p. 1-13.

FERGUSON, Christopher J. et COLWELL, John. Understanding Why Scholars Hold Different Views on the Influences of Video Games on Public Health. Journal of Communication, 2017.

MISSONNIER, Sylvain. Une relation d’objet virtuelle?. Le carnet PSY, 2007, no 7, p. 43-47.

MISSONNIER, Sylvain. Le tropisme de la polémique et la précarité du débat. Spirale, 2017, no 3, p. 16-19.

TISSERON, Serge, MISSONNIER, Sylvain, et STORA, Michael. L’enfant au risque du virtuel. Dunod, 2012.