Psychanalyste et professeur de psychologie clinique, Sylvain MISSONNIER fait partie des personnes qui ont porté en France une réflexion positive sur le virtuel. Il a traduit Psychanalyse de l’Internet de Michael CIVIN qui reste à ce jour un des meilleurs livres sur le sujet. Il a publié récemment Psychologie des Ecrans avec Xanthie VLACHOPOULOU.
L’article de Sylvain MISSONNIER “Sexualité, affect et monde virtuel : au-delà de l’épreuve de réalité” est organisé en trois parties. L’introduction interprète le virtuel dans la métapsychologie freudienne. Elle est suivie par un long cas clinique dans lequel deux mondes virtuels, World of Warcraft et Second Life, ont joué un rôle important. Enfin, une conclusion rapproche virtualisation et mentalisation pour expliquer le processus de transformation observé pendant la psychothérapie.
MISSONNIER ouvre sa reflexion en rappelant que le virtuel est ce qui est “en puissance” en même temps que la “caractéristique distinctive”. Comme potentiel, le virtuel est à opposer à la mise en acte. Sur un plan métapsychologique, le virtuel “met en scène le désir de création et son guide, la représentation de but (Freud, 1900) qui substitue la présence de l’hallucinatoire de la réalité psychique à l’absence actuelle”. Il définit le virtuel comme “une construction mentale de l’observateur immergé physiquement dans des simulations sensorielles interactives en 3D ou 4D (des artefacts technologiques) qui leurent sa perception”. La réalité virtuelle est ainsi un simulacre de la perception du corps.
Cette réalité virtuelle est l’héritière du dessin, de la peinture, de la photographie, de la radio… de tout ce que l’homme a inventé pour combler l’absence et arrêter le temps. Elle est proche du rêve qui privilégie l’hallucinatoire au perceptif (Faure-Pragier, 2003). En ce sens, elle est un moyen de retrouver la jouissance de la sexualité infantile en rééditant la perception interactive d’un “moi-corps”. La réalité virtuelle induit des expériences “d’hallucinations motrices” propres aux formes primaires de la symbolisation
Le cas d’un jeune homme, John est ensuite abordé. Il s’agit d’un jeune homme en difficulté personnelle avec lequel une psychothérapie analytique à raison d’une séance par semaine est engagée. Le récit des parties de World of Warcraft (WoW) et de Second Life vont servir de médiation à la psychothérapie. Alors qu’il est dynamique et plein de vie lorsqu’il parle de WoW, il est éteint lorsqu’il parle de son enfance ou de son travail. Dans WoW comme au travail, il est celui qui prend les coups. Au travail, il est souvent pris à partie tandis que dans WoW sa fonction de guerrier l’amène être “tank” c’est à dire à être celui qui prend les coups. Au cours de la thérapie, il joue ensuite Paladin puis à Second Life. Ces changements sont interprétés comme le signe d’une diminution du clivage. Le Paladin est un guerrier qui peut soigner tandis que Second Life permet de se rapprocher des situation de la vie quotidienne. Pour MISSONNIER ces deux jeux vidéo permettent à John de trouver de nouvelles positions par rapport conséquences de l’absence pour les autres et pour lui-même. Ces situations nouvelles travaillées dans la psychothérapie contribuent à la stabilité de son identité.
Comment expliquer le progrès noté en psychothérapie. MISSONNIER s’appuie sur DAVID (1992) qui rapproche virtualisation et mentalisation. Pour DAVID, le rêve et le fantasme sont des ressources de la virtualisation au travers de la reviviscence et de l’anticipation. Le processus peut se perdre dans la recherche d’une satisfaction dissociée de la satisfaction physiologique. De la même manière, les usages de la “réalité virtuelle” peuvent être portés par la sublimation ou la répétition morbide.
MISSONNIER montre bien comment les pratiques en lignes dépendent des positions subjectives des joueurs. Ce n’est pas tant que les mondes numériques sont des espaces de projection mais plus fondamentalement qu’ils offrent des possibilités de répéter les crise dans lesquelles les joueurs ont été pris ainsi que l’espoir de trouver de nouvelles solutions. L’exemple de DAVID, le sacrifié au travail comme dans World of Warcraft montre comment, dans la vie quotidienne comme dans le jeu, le masochisme est un gardien de la vie. DAVID a érotisé les agression dont il est l’objet. Il retourne, par un jeu subtil de provocations, les agressions dont il est l’objet en . Cela est patent dans WoW ou les tanks ont un pouvoir spécial appelé “Provocation” qui leur permet de focaliser l’agressivité des adversaires sur leur personne. Il est possible qu’au travail aussi, par identification projective, il arrive a ce que l’autre le place dans la situation d’être agressé.
Le lien que MISSONNIER fait entre le virtuel et le corps est intéressant car il va à contre courant des intuitions premières. Il semble évident que le virtuel nécessite une mise à l’écart du corps. MISSONNIER montre au contraire comment le corps est affecté dans le virtuel et qu’il l’est d’autant plus que l’autre n’est pas là en corps. Le lien entre le virtuel et le corps a été développé par Benoit VIROLE a partir de la théorie de W. R. BION. Pour Virole, la caractéristique des dispositifs informatiques est qu’ils impliquent une très faible dépense motrice. La faiblesse de l’écart entre la préconception et la réalisation est source d’un plaisir considérable
Le fait que le virtuel soit un héritier des techniques de l’image, de Lascaux au cinéma des frères Lumière est une autre piste de travail. Toutes ces techniques permettent de re-présenter dans une image un objet qui est absent. Pour reprendre le titre d’un livre de MISSONNIER, le virtuel est la présence de l’absent. Ce rapprochement ne doit pas masquer ce qui différencie les images virtuelles et les images matérielles. Elles peuvent être produites en grande quantité, son partageable avec quelques personnes ou avec des multitudes, sont modifiables en temps réel et son superposables à la réalité tangible. L’exemple de Pokémon Go! montre bien comment les images virtuelles affectent l’espace tangible, sont connectées aux mémoires et aux imaginaires individuels et collectifs tout en étant massivement sociales