Comment les relations entre les hommes et les femmes sont-elles affectées par le cyberespace ? Qu’est ce que l’Internet apporte de neuf et qu’est ce qui se rejoue dans les relations en ligne ? Le psychanalyste Paul-Laurent ASSOUN tente de répondre à ces questions dans L’amour virtuel et son envers inconscient à partir de sa conception du fantasme.

ASSOUN  rappelle tout d’abord la différence entre le virtuel et le réel. Le virtuel n’est pas le faux mais “ce qui permet de faire tenir la réalité, sur le mode de l’illusionnement”. De nombreuses définitions au virutel sont données sans être développées plus avant. Le virtuel est ainsi  ce qui possède les conditions à son actualisation, ce qui existe sans se manifester, et ce qui est de l’ordre de la mise en situation

Le virtuel est ensuite rapproché du fantasme et de l’amour. Pour ASSOUN le fantasme remplit une fonction d’indemnisation et de suppléance et constitue une sorte de “réserve naturelle” dans laquelle le sujet pouvoir au moyen de scénario regagner quelque chose de la jouissance perdue. L’amour permet de vivre le fantasme en accord avec la réalité.

Cette définition permet d’articuler le virtuel et le fantasme. ASSOUN affirme que le virtuel ouvre un “espace de renégociation avec l’objet du fantasme”. Sur Internet, l’autre n’est ni réel, ni anonyme, il est “hétéronyme”. La recherche de “l’ame soeur” sur Internet est le symptome de l’hypermodernité. En ligne, les autres n’ont pas de nom. C’est précisément cette absence de nom, le “dé-nommé”, le “dé-figuré” qui est recherché dans le cyberespace

ASSOUN présente trois figures qui lui semblent caractéristiques des utilisateurs du réseau. L’adolescente part sur le web parce qu’elle est malade des personnes qui l’entourent au quotidien. Elle cherche l’ami inconnu, ou l’amant magnifique : celui qui va donner réponse à l’amour oedidien non satisfait. La femme marié va alors chercher sur Internet un “petit don juan disponible” qui va la consoler de ce que son mari soit devenu un étranger. L’homme obsessionnel va chercher dans le dos de sa femme des satisfactions à son désir sur le réseau.

L’animisme et la toute puissance de la pensée sont communs à ces trois figures. Le virtuel entretien l’illusion de naviguer par delà le temps et l’espace. Sur le réseau, l’autre est quasiment halluciné. L’illusion hypermoderne recouvre l’illusion classique puisque la magie du cyberespace rencontre la magie de l’amour. Le phénomène ne semble pas vraiment nouveau à ASSOUN puisque il est possible de le retrouver dans la passion épistolaire. La massivité du phénomène est ce qui fait sa modernité :  en ligne, chacun a quelque chose à “vendre” ou à “acheter”

La notion d’hétéronymie empruntée que ASSOUN emprunte à Pessoa  est intéressant pour explorer les usages du pseudonyme sur le réseau Internet. GOMES et al. (2009) utilisent la notion pour montrer comment la communication à distance permet une exploration de la subjectivité de chacun De ce point de vue, devenir autre n’est pas nécessairement une impasse. S’autrer Cela peut même être une condition permettant de devenir soi.

Le texte, comme toujours avec ASSOUN, est habilement écrit. On y trouve les formules qui vont attirer l’attention : “l’avenir de cette illusion là” évoque bien évidement L’avenir d’une illusion de Freud, “l’homme sans nom” renvoit au Nom-du-père dont Lacan a voulu faire la clé de voute de la psychose Ce sont des signes de reconnaissance qui permettent permettent au lecteur et à l’auteur de se reconnaitre. On est entre soi puisque l’on reconnait les clins d’oeil. Malheureusement, on reconnait moins l’Internet qu’il décrit. Lorsque l’article est publié en 2010, les réseaux sociaux sont les principaux dispositif. Le Cablegate de Wikileaks est sur tous les journaux. Pinterest et Instagram sont les nouvelles attractions. . Les forums et les chat ont été emportés par la vague du Web 2.0 en 2003 Rien de tout cela n’apparait dans l’article de ASSOUN qui semble parler d’un Internet révolu depuis longtemps

L’écriture en surplomb de l’Internet l sert davantage de faire-valoir aux idées de l’auteur qu’a présenter ce qu’est le cyberespace. De ce fait, ce que les personnes y font et ce qu’elles y trouvent n’est jamais approché. Par ailleurs, ASSOUN ne traite que des aspects négatifs de l’Internet. Il y a tout au long du texte une ironie vis à vis de l’Internet et de personnes qui l’utilisation qui est génante. On sent que du point de vue de l’auteur, l’amour en ligne ne peut qu’être une tromperie. Quand bien même, le cyberespace serait un lieu de fuite et de retraite, en quoi cela est un lieu de fuite et de retraite. Ne pourrait il pas être aussi un lieu de recharge ?

On est étonné de la méconnaissance de  l’auteur sur le sujet qu’il traite. La question de l’identité en ligne a fait l’objet de suffisament de publications pour comprendre qu’il ne s’agit pas d’une fausse identité, ou d’une identité moins réelle que l’identité civile. sur Internet tout le monde a un nom. Mieux encore, le fait de pouvoir se donner un nom et de nommer tous les autres est une des attraits et des problèmes du cyberespace. Le nom que chacun se donne est en lien avec le fonctionnement conscient et inconscient de chacun. Il ne s’agit pas simplement d’une projection au sens de la mise à l’extérieur de soi de quelque chose que la personne ne peut pas reconnaître en elle même. Les apparences prises en ligne font partie du travail de subjectivation qui vise, petit à petit, à étendre les frontières du Self. Cela peut se faire par une projection dans un nom ou un avatar qui va dans un second temps être reconnue par d’autres personnes. Cette reconnaissance permet dans un troisième temps à la personne d’accepter ce qui été précédemment projeté.

L’autre étonnement vient du fait que ASSOUN oppose les relations en ligne et les relations “de proximité” que les utilisateurs de l’Internet fuieraient pour “se mettre en quête d’un être sans visage”. Le fait qu’ASSOUN n’arrive pas à voir des visages sur Internet ne signifie pas que cela soit le cas de tout le monde. Ce n’est pas parce que l’on est errant que l’on est personne.

ASSOUN croise une figure de l’imaginaire occidental qui aurait pu donner lieu à des développements intéressant. Lorsqu’il a fallu nommer les pratiques en ligne, ce sont les vocables de la navigation qui ont été mis en avant. Nous sommes devenus des internautes et nous surfons sur Internet  L’imaginaire liquide de la post-modernité rejoint l’imaginaire des mythes antiques sur lesquels l’occident a construit son identité. Aujourd’hui nous sommes des errants numériques alors qu’hier nous étions des Ulysses. Mais si Ulysse s’appelle Personne, c’est le temps de tromper Cyclope. Jamais il ne perd de vue qu’il est Ulysse, fils de Laerte, de la même façon qu’aucun digiborigène ne se confond totalement avec son identité en ligne

Finalement, après avoir pris la précaution de dire que le virtuel n’est pas l’illusion, ASSOUN développe l’idée contraire. Sur le réseau, l’animisme et la pensée magique sont prédominants. L’autre en ligne est un autre halluciné. L’illusion hypermoderne recouvre l’illusion classique puisque la magie du cyberespace rencontre la magie de l’amour. Cette dérive aurait pu être évitée si l’auteur était parti du cyberespace dans ce qu’il a de plus concret et non pas de sa propre théorie