Créée le 17 Mars 1969, L’Organisation des Psychanalystes de Langue Française est la quatrième association de psychanalyse crée en France, d’ou son nom de Quatrième Groupe. Elle a aussi été la première à avoir un site en ligne grâce au travail de Geneviève Lombard. Le Quatrième Groupe édite un Bulletin, pour lequel il m’a été demandé d’ écrire quelque chose a propos de l’Internet qui puisse parler à des personnes s’intéressant à la psychanalyse. C’est ce texte qui m’est venu.

 

Le web n’est plus le web. Il a muté. Il est devenu plus puissant, plus rapide, plus massif, plus interactif, plus global, plus local. Il est devenu le lieu de la superlativité. Les chiffres qui tentent de le qualifier donnent le vertige : « Nous savions que c’était grand » dit Google après avoir tenté un comptage liens du Web : 26 millions de pages en 1998, un milliard en 2000 et mille milliards liens en juillet 2008 ((http://googleblog.blogspot.com/2008/07/we-knew-web-was-big.html)). Pour un espace qui est né en 1989 du désir d’un homme de proposer à ses collègues du CERN un dispositif d’organisation de l’information, la croissance a été rapide. D’immenses mouvements le parcourent. Certains restent contenus à l’internet, d’autres débordent dans d’autres médias ou même dans l’espace géographique. Ainsi, les attaques anonymes sur les serveurs de la scientologie en janvier 2008 ont donné également lieu à des manifestations in situ. Celles-ci étaient filmées et mises en ligne sur des sites de partage de vidéo pratiquement en temps réel.

Youtube, Facebook, Digg, Twitter sont quelques unes des locomotives du Web 2.0 comme on a pris l’habitude de l’appeler depuis l’article de Tim O’Reilly, « What is Web 2.0 » ((http://www.oreillynet.com/pub/a/oreilly/tim/news/2005/09/30/what-is-web-20.html))(sept. 2005))). Le temps est aux bouillonnements : les nouvelles applications appellent de nouveaux usages et de nouvelles façons d’être avec soi et avec les autres. Les règles de civilité sur ce qu’il est bon de faire en ligne sont établies, discutées et adoptées. La façon de se présenter fait également l’objet de négociations et de discussions. Des tours de main sont trouvés, annoncés et partagés. La langue bruisse de cette agitation : il faut de nouveaux mots pour dire les nouveaux usages. Sur le web, le forgeur inconnu travaille sans relâche.((les temps changent ils ? Le Twictionary donne les auteurs originaux des forgeries))

Le web est un aspect de l’océan numérique dans lequel nous baignons. Les écrans, qui nous accompagnent dans nos vies quotidiennes, en sont un autre aspect. Par eux, nous sommes informés d’événements heureux ou malheureux, ou même de ces événements banaux qui font le jour après jour d’une vie. La trace de ces événements peut être conservée, transmise à d’autres ou détruite. Par exemple, parmi les personnes proches de victimes du Tsunami de décembre 2004, beaucoup ont longtemps conservé les SMS qu’elles avaient reçu d’elles. La photo de l’être cher est maintenant aussi dans les téléphones, souvent en écran d’accueil : l’image collée à l’oreille à chaque appel rapproche alors de l’aimé. Ces traces peuvent aussi être transférées à d’autres dans des fins de partage ou d’agression. Le numérique transforme nos objets, du téléphone à l’ordinateur, du lecteur mp3 à la télévision en caves et greniers, avec leurs trésors, leurs fantômes et leurs revenants.

En changeant, le web nous a changés. Il nous change par le contact facilité avec un contenu de plus en plus abondant. Il nous change par le contact répété avec ce que Francis Pisani a appelé les multitudes. Il nous change parce nous y documentons nos vies. « L’homme est un document comme les autres » dit Oliver Ertzscheid, retrouvant là la vieille tradition qui fait de l’homme un livre. Sur Internet, l’écriture reste encore reine : quelque soit le contenu transporté (texte, vidéo, image, son) il est soutenu par un code qui permet la liaison avec d’autres contenu via des hyperliens. Le contenu est également décrit, ce qui permet son exportation dans d’autres dispositifs d’écriture indépendamment de sa forme. Par exemple, une vidéo YouTube peut être lue in situ ou ailleurs ; les photos vues sur Flickr et Facebook, la chronique radio de tel journaliste lue sur le site de la radio ou téléchargée sur un ordinateur pour être écoutée ou réécoutée plus tard.

Internet est le domaine des grands chiffres. 150 millions de comptes sur Facebook((http://www.facebook.com/press/info.php?statistics)), 7 milliards de pages vues par jour sur l’encyclopédie en ligne Wikipédia ((voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Statistiques)) 10 millions de comptes du jeu massivement multijoueur World of Warcraft… Ces multitudes sont une bonne indication du travail psychique que chaque internaute doit fournir en ligne : partout, plus d’un autre avec qui se lier et plus d’un autre avec qui éviter d’être en relation. Partout, plus d’une information qu’il faut source, hiérarchisé, trier. Partout, plus d’une occasion pour donner du sens, ou le perdre !

Si Internet est un espace sans lieu, hétérotopique (M. Foucault), un non-lieu (M. Augé), c’est aussi un espace qui est en lien avec nos autres espaces qu’ils soit collectifs, personnels ou privés. Il porte les plus grands espoirs comme les plus grandes menaces. Il est un des espaces clé de la culture du temps présent, et à ce titre, mérite d’être exploré par des psychanalystes