Alors que le TDAH se manifeste principalement par des difficultés de concentration, d’impulsivité et de régulation émotionnelle, les jeux vidéo, en particulier lorsqu’ils sont utilisés dans un cadre thérapeutique, offrent des perspectives prometteuses pour pallier certains de ces défis. Contrairement aux perceptions négatives associées à l’utilisation des jeux, les recherches actuelles révèlent que les jeux vidéo peuvent contribuer au développement de compétences symboliques, sociales et empathiques, des éléments essentiels pour les individus atteints de TDAH. Les paragraphes suivants examinent comment les jeux vidéo, par leur capacité à captiver et structurer l’attention, à faciliter l’expression émotionnelle et à favoriser les interactions sociales, peuvent être intégrés dans des approches thérapeutiques novatrices pour le TDAH.

La capacité symbolique

Les capacités symboliques sont la capacité de comprendre et d’utiliser des symboles pour représenter des idées, des concepts et des objets. Elles sont nécessairement activées par les jeux vidép puisque leur utilisation et leur apprentissage implique nécessairement un certain niveau de compréhension symbolique. Par exemple, la compréhension des règles du jeu, l’interprétation des symboles visuels et la manipulation d’objets virtuels font appel à des capacités symboliques.

L’idée que les jeux vidéo activent les capacités symboliques trouve un soutien empirique, notamment dans des études comme celle de Bediou et al. (2018), qui démontrent également leurs effets concrets sur les compétences attentionnelles. Les jeux d’action, qui nécessitent une prise de décision rapide et une gestion simultanée de nombreuses informations visuelles et auditives, semblent avoir un effet bénéfique sur la flexibilité cognitive et l’attention des joueurs. Cette étude souligne le potentiel des jeux vidéo d’action pour améliorer les capacités attentionnelles, offrant ainsi une base solide pour leur utilisation dans des contextes thérapeutiques ou éducatifs (Bediou et al., 2018) Le fait qu’il s’agisse d’une méta-analyse renforce la force de ces conclusions, car elle repose sur une synthèse rigoureuse de nombreuses recherches, confirmant ainsi que les jeux vidéo, en particulier ceux d’action, ont un impact mesurable et positif sur la flexibilité cognitive et l’attention.

La métareprésentation
Les jeux vidéo pourraient indirectement renforcer la théorie de l’esprit, parce qu’il a été observé que certains d’entre eux améliorent les fonctions exécutives, notamment l’attention et la mémoire de travail (Cardoso-Leite & Bavelier, 2014), Étant donné que la théorie de l’esprit est étroitement liée aux fonctions exécutives, cette amélioration cognitive pourrait se traduire par un effet positif sur la théorie de l’esprit.

Par ailleurs, les interactions sociales sont très présentes dans les jeux vidéo. Elles sont même un composant essentiel des MMORPG. Il est logique de penser que la participation aux interactions en ligne pourrait stimuler le développement de la théorie de l’esprit en offrant aux joueurs des opportunités de comprendre les perspectives et les intentions des autres.

Le travaux de Symeonidou et ses collègues portant sur la théorie de l’esprit chez les adolescents utilisant les réseaux sociaux vont dans ce sens. Les chercheuses ont exploré l’interaction entre les réseaux sociaux en ligne et le développement des réseaux sociaux numériques tels que Facebook, Twitter, Instagram et Snapchat. L’étude a porté sur 409 adolescents français âgés de 13 à 18 ans. Les participants ont répondu à des questionnaires évaluant la qualité et la quantité de leurs amitiés hors ligne, leurs habitudes d’utilisation des réseaux sociaux et leur théorie de l’esprit. L’effet de la théorie de l’esprit sur le matérialisme a également été étudié. L’analyse des résultats montre une relation entre la fréquence d’utilisation des réseaux sociaux numériques et de bons scores aux test mesurant la théorie de l’esprit

Les chercheurs expliquent la corrélation entre l’utilisation des réseaux sociaux en ligne et le développement de la théorie de l’esprit par le fait que les interactions sur ces plateformes exigent fréquemment de décoder des signaux sociaux et émotionnels souvent absents des échanges physiques (comme le ton de la voix ou les expressions faciales). Ainsi, les adolescents utilisateurs des réseaux sociaux sont plus exposés à des situations où ils doivent imaginer ou interpréter les états mentaux des autres, ce qui stimule leurs compétences en théorie de l’esprit. Les échanges sociaux en ligne renforcent aussi la capacité de prise de perspective en confrontant les utilisateurs à des points de vue variés et souvent inconnus, ce qui enrichit leur compréhension des différences interpersonnelles.

A partir des résultats des travaux de Symeonidou il est possible d’extrapoler que les jeux vidéo peuvent contribuer au développement de la théorie de l’esprit. Dans les jeux vidéo multijoueurs, les joueurs doivent souvent coopérer, anticiper les actions des autres, et adapter leurs stratégies en fonction des intentions de leurs coéquipiers ou adversaires. Cela ressemble aux interactions sur les réseaux sociaux où il faut interpréter les intentions sans toujours avoir des indices directs (comme le ton de la voix ou le langage corporel). Les joueurs développent ainsi leur capacité à « lire » les intentions et émotions des autres uniquement à partir des actions et des comportements en jeu, ce qui stimule leur théorie de l’esprit.

L’empathie

Les personnes atteintes de TDAH sont souvent confrontées à des difficultés de concentration et de régulation de l’impulsivité. Les jeux vidéo, par leurs mécaniques interactives et immersives, captivent l’attention en créant un environnement de stimulation constante. Selon Beyens et al. (2018), l’exposition aux jeux vidéo peut moduler des réponses cognitives et émotionnelles chez les enfants et adolescents avec des comportements liés au TDAH. Par exemple, les jeux qui nécessitent une concentration sur des tâches spécifiques aident les joueurs à renforcer leur attention dans un cadre structuré, améliorant leur capacité à gérer des distractions externes et interne

Les jeux vidéo ne sont pas uniquement une activité solitaire. Les environnements multijoueurs, comme les MMORPG, permettent des interactions sociales riches où les joueurs peuvent développer leur empathie. Harrington et O’Connell (2016) ont observé que les jeux prosociaux favorisent des comportements empathiques, surtout lorsque les joueurs sont amenés à coopérer et à atteindre des objectifs communs. En outre, l’utilisation de l’avatar dans ces jeux engage le joueur dans un processus d’auto-empathie virtuelle, où il peut ressentir et explorer des émotions par l’intermédiaire de son personnage. Ce processus est particulièrement pertinent pour les enfants atteints de TDAH, qui présentent souvent des difficultés à interpréter les indices sociaux et à développer des compétences d’empathie?

Les jeux vidéo peuvent également servir de mécanismes pour canaliser l’énergie et la frustration, deux aspects particulièrement significatifs chez les personnes atteintes de TDAH. D’après une étude de Harrington et O’Connell (2016), bien que certains types de jeux puissent causer de l’agressivité à court terme en raison de leur difficulté, ils offrent aussi des opportunités de gestion du stress à long terme, permettant ainsi aux individus de mieux réguler leurs émotions. Les jeux vidéo deviennent alors un moyen d’évasion constructive, où les joueurs peuvent exprimer leurs émotions dans un cadre virtuel sécurisé et les expérimenter sans les répercussions immédiates du monde réel.

Certains jeux vidéo, principalement ceux dotés de récits profonds et de personnages complexes, sont conçus pour provoquer de l’empathie envers des situations et personnages fictifs. Le processus de « fusion narrativo-émotionnelle » se produit lorsque les joueurs s’identifient fortement à leur avatar, l’utilisant comme un miroir pour explorer leurs émotions, leurs désirs et leurs valeurs (Tordo, 2010). Cette identification permet une compréhension plus nuancée de soi et peut sensibiliser le joueur aux perspectives des autres, même dans un contexte fictif. Cela est particulièrement utile pour les individus atteints de TDAH, qui bénéficient d’une immersion structurée et encadrée pour explorer les relations sociales et l’empathie?