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Chaque jour, des millions de personnes se connectent sur un MMO. Il jouent un personnage avec des capacités ou des pouvoirs. ils parcourent le monde pour effectuer des quêtes ou des missions. Il sont alliés aux joueurs de leur faction et ennemis de ceux de la faction adverse. 

Jouer à un MMO, c’est faire bien autre chose que de manipuler des personnages et effectuer des actions. C’est être en contact avec de symboles, des mythes et des archétypes. C’est être au contact avec sa propre vie inconsciente. Cela se fait au travers des histoires qui sont données à jouer ou à voir ainsi qu’au travers des personnages qui sont jouées.

WoW met au contact avec d’anciens modes de pensée et de sociabilité

De la même manière que la pensée enfantine ne disparait jamais totalement chez l’adulte, les modes de pensée construits autour du totémisme et de l’animisme ne sont pas totalement évacués. Il a laissé des traces dans la religion, les mœurs et les psyché individuelles (Freud, 1912). On en trouve des résurgences dans les contes, les mythes et les œuvres de fiction tout comme dans les jeux vidéo. Ceux-ci nous mettent au contact d’un imaginaire et de tropes de pensées habituellement réprimés par notre modernité. La magie, les sorciers, les esprits et les Dieux y ont à nouveau leur place. Le surnaturel ne s’oppose plus à la réalité mais en est une composante. Les mondes des jeux vidéo sont des mondes enchantés.

Deles (2009) montre que l’on retrouve dans World of Warcraft quatre figures anthropologiques qui sont réprimées ou refoulées par la modernité : le totem, le mana, la physique élémentaire et la guilde. Les anciennes notions de totem sont portées par le Chasseur, le Druide et le Chaman. Le premier apprivoise un animal qui devient son « familier ». Les liens de l’un à l’autre sont si étroits que les actions et les vies de l’un et de l’autre sont liés. Chasseur et familier partagent le même sang tout comme l’animal totem est l’ancêtre commun d’un groupe d’hommes. Le lien avec l’ancêtre animal est également exemplarifié par le Druide qui est capable de se changer en une variété d’animaux. Enfin , le Chaman invoque des totems pour protéger, attaquer ou soigner. La seconde figure anthropologique est le mana. Le mana est la puissance spirituelle qui se dégage d’un homme, d’un groupe ou d’un lieu. Dans les sociétés traditionnelles, il est objet d’une crainte respectueuse. World of Warcraft permet de se familiariser avec cette puissance en incarnant des personnages capables de le maitriser ou d’invoquer des démons : « Ainsi chacun peut jouer et rêver à être le chef de la tribu en utilisant de façon constante cette énergie magique qui a pu être jamais, dans l’imaginaire collectif, un rare privilège ». Enfin, la physique de World of Warcraft dépend de la vieille classification des éléments. Les objets sont davantage mus par l’air, l’eau, le feu et la terre que par la gravitation universelle ou le magnétisme. Cette physique met les joueurs au contact avec la pensée sauvage dont on sait depuis Levi Strauss qu’elle n’est pas moins complexe ni efficace que la pensée scientifique. Enfin, au niveau social, les joueurs s’organisent en guildes c’est-à-dire sur le modèle de groupements de marchants, d’artisans et de paysans du Moyen-âge. La guilde assure, au Moyen-âge comme dans World of Warcraft, à chacun d’avoir accès à des richesses et des opportunités qui lui resteraient inaccessible s’il restait seul.

Charges métaphoriques

Pour Benjamin Thiry, World of Warcraft met en scène des personnages qui ont une charge métaphorique « Les joueurs, en interagissant avec ces personnages, se trouvent dès lors impliqués à deux niveaux : celui de la réalisation des quêtes au premier degré (par exemple : tuer tels ou tels monstres) et celui d’un enjeu psychique inconscient relié à la trame historique (par exemple : purifier une zone afin d’en assurer la quiétude) ». A l’occasion de la mise à jour 4.2, le joueur doit aider Thrall dans une succession de quêtes pour éviter la destruction du monde. Le joueur devra l’assister dans son combat contre les élémentaires de l’air, de l’eau, de la terre et du feu. Ces différentes quêtes dont le prétexte à une histoire au fil de laquelle le joueur est confronté à des enjeux psychiques : la toute puissance infantile, la destructivité, la rivalité œdipienne, les défenses primaires par régression et identification à l’environnement, et le retour du refoulé. Pour Benjamin Thiry, « Il est possible de concevoir l’évolution de l’histoire de wow comme un processus dynamique de maturation psychique. »

Thrall héros archétypique

L’histoire de Thrall est celle d’un héro archétypique. Fils de chef, il est enlevé et conduit en esclavage. Il est formé comme gladiateur et combat pour la fortune et le plaisir de son maitre. Contrairement aux autres orcs captifs, il n’a pas renoncé à la liberté. Il redonne fierté et courage à son peuple. Il conduit « la nouvelle horde » vers la liberté et une nouvelle terre sur laquelle il bâtit Orgrimmar. Fin politique, il allie la horde aux Trolls et aux Gobelins. Enfin, il renonce à son rôle de chef, quitte son peuple, et reprend sa formation de Chaman. Il est d’abord séparé de son milieu d’origine.

Fils de chef, il est donc d’une ascendance extraordinaire. Il commence son périple mythologique avec la mort de ses parents lors d’un combat contre une faction orc rivale et sa découverte par un noble humain, Sire Aedelas Blackmoore qui le nomme simplement « esclave » (« Thrall », en langue orc ). Il est traité comme les animaux qu’il doit combattre dans des arènes. Il y reçoit l’aide d’un autre orc qui le forme au maniement des armes, tandis que la fille d’une servante humaine lui apprend la lecture et l’écriture. Des années d’arène ne viennent pas a bout de sa soif de liberté qu’il retrouve après plusieurs tentatives d’évasion. Il est recueilli par le clan des Loups-de-Givre et effectue une formation de chaman auprès de leur chef Drek’Thar. Il triomphe des épreuves qui lui sont imposées et reprend ce qui lui était finalement dû par sa naissance : Drek’Thar a succédé à la tête des Loup-de-givre à la suite de Durotan, qui n’est autre que le père de Thrall ! Chef politique avisé, il allie la horde aux Trolls et aux Gobelins

L’histoire de Thrall suit la trame du monomythe donné par Joseph Campbell : un héros est appelé à l’aventure. Il passe par une succession d’épreuves qui lui apportent des gains matériels mais surtout un approfondissement de la connaissance de soi. Transfiguré, il change par ses actions la nature profonde du monde. Sous Thrall, perce la figure de Moise : comme lui, il est arraché à son lieu de naissance. Comme lui, il perd jusqu’à son nom. Comme lui, il libère son peuple et le conduit vers une nouvelle terre. Thrall combine plusieurs figures : celles du Voyant, du Guerrier, et du Roi.

World of Warcraft est donc un espace de rencontre avec des figures mythologiques. Ces rencontres se font au travers de l’enveloppe narrative du jeu comme le montre Benjamin Thiry. François Lespinasse et Michael Stora avaient pressenti que le jeu vidéo pouvait être rapproché du conte. Ensuite, chaque joueur vit par, avec et au travers son personnage des aventures héroïques qui reprennent les dynamiques des mythes et des contes de fées. Les personnages proposés sont autant de figures archétypiques. Le Chasseur, le Mage, le Guerrier, le Voleur, etc.permettent  de se connecter  aux archétypes correspondants ou à des thèmes  associés: le pacte avec le diable, la séduction (le démoniste), le retour du monde des morts (Chevalier de la Mort)