First Monday a consacré tout un numéro au Web 2.0 : Critical Perspectives on Web 2.0. Le numéro explore les mythes du Web 2.0.

 

Anders Albrechtslund développe dans  Online Social Networking as Participatory Surveillance le concept de surveillance participative. Il rappelle que le cyberspace est un espace de socialisation. Cette socialisation se fait en mêlant l’espace enligne et l’espace hors ligne par les pratiques de geotagging. L’alliance du web et ede la téléphonie mobile a donné naissance au Mobile Social Software qui offre un espace intermédiaire entre le cyberspace et l’espace géographique. Des services comme Plazes ou Qype sont maintenant devenus si banaux que le mode d’emploi n’est même plus explicité

“online social networking is not only online”

La vie sociale de ces sites déborde largement du monde en ligne. Et le monde hors ligne empiéte largement sur le monde en ligne. Aujourd’hui, il n’est plus possible de les distinguer clairement. Par exemple, les membres de Qype.fr créent des réunions dans l’espace géographique alors que le site n’était pas à l’orgine fait pour cela.

 

Amitiés éternelles

Dans un texte célèbre, Dana Boyd (Boyd, 2007a) a donné les caractéristiques de la socialisation en ligne : elle est persistante, questionnable, réplicable et une part de l’audience est invisible (1). La vie sociale en ligne est persistante, parce chaque échange, chaque événement, chaque modification est enregistrée et conservée par les serveurs (2). Elle est questionnable, parce qu’elle peut faire l’objet de requête de la part du moteur de recherche du réseau social ou de moteurs de recherche externes. Elle est réplicable car ce qu’elle peut être déplacée dans des contextes qui n’ont plus rien à voir avec son contexte naturel. Enfin, elle concerne une audience qui est en partie invisible parce qu’elle concerne un public beaucoup plus large que celui auquel il est consciemment adressé. Ces quatre caractérisques font que les réseaux d’amis qui sont construits sur Internet sont “éternel” ou  plus exactement existent au delà du contrôle des personnes concernées. Les interactions sont décontextualisées

 

La fusion de l’espace géographique et du cyberespace produit pour Anders trois séries de phénomènes

1. La vie en ligne nous met en contact avec des éléments de la vie des autres, jusque parfois des éléments qu’ils voudraient voir rester privés. Cela fait du cyberespace un espace rêvé pour toute fureteur  qui cherche à collecter des informations : personnes, entreprises, états ont  rassemblées en un seul lieu des informations qui sont par ailleurs facilement collectables. Anders Albrechtslund fait ici référence a la notion de contener fuyant de David Lyons : les informations fuient de différents secteurs de la société avec comme résultat que des informations de contexte différents se retrouvent mélangées plutôt que maintenues séparément.

2. Une des conséquences de la vie sociale en ligne est la création de paniques morales. La facilité avec laquelle des informations personnelles peuvent être disponibles suscite des craintes récurrentes.La nécessité de protéger les plus jeunes de prédateurs en ligne qui hanteraient les réseaux sociaux est souvent mis en avant. Aux USA, elle a conduit a DOPA act qui interdit les réseaux sociaux dans les espaces publics comme les bibliothéques.

3. Dans le même genre d’idées, il est souvent avancé que ce qui est déposé aujourd’hui en ligne pourrait être nuisible demain. Par exemple, les images déposées sur un compte facebook ou myspace qui étaient pleines de sens au moment des études peuvent devenir au moment de la recherche d’un emploi des inconvénients. Or, du fait même des caractéristiques de ces espaces, une fois qu’un contenu est introduit dans le réseau, plus personne n’en a la maîtrise. Anders Albrechtslund  rapporte les propos de Ivan Tribble qui raconte que l’admission d’un blogger dans une équipe a pour effet de l’insécuriser parce que chacun craint que les affaires internes se retrouvent sur Internet. Il rapporte également comment un blogeur s’est retrouvé dans une situation délicate a cause du compliment d’un autre blogeur qui a ainsi involontairement dévolé qu’il avait menti sur son CV.A cela Dana Boyd répond que la vie en ligne est une histoire de génération et que les employeurs et les recruteurs de demain auront eux aussi passé leur jeunesse sur Facebook et Myspace.

 

L’insistance du panopticon

Pour rendre compte du fait social en ligne, Anders Albrechtslund  en appelle à Michel Foucaul (1975) : Surveiller et punir : Naissance de la prison. Le panopticon que Michel Foucault reprend de Bentham pour rendre compte de l’intériorisation de la violence étatique par chaque individu est aussi une image constante dans les textes qui analysent l’Internet. On a parlé de panopticon électronique (Lyon, 1994), de superpanopticon (Poster, 1990, 1996) et même d’un au-delà du panopticon (Lyon, 2006). Mais pour Anders Albrechtslund , le panopticon insiste et il est un cadre de référence solide pour l’analyse de la vie sociale en ligne.

Pour mémoire, Jeremy Bentham avait imaginé un dispositif de surveillance circulaire dans lequel un gardien pouvait surveiller un multitude de prisonniers. Michel Foucault a fait de ce dispositif est caractéristique du passage de la force et de la violence publique dans la sphère privée.

« Le schéma panoptique est une intensificateur pour n’importe quel appareil de pouvoir : il en assure l’économie (en matériel, en personnel, en temps) ; il assure l’efficacité par son caractère préventif, son fonctionnement continu et ses mécanismes automatiques. » FOUCAULT M., Surveiller et punir, Gallimard,   p. 240

Avec Internet, le panoptisme trouve un dispositif ad-hoc Ainsi, Marc Andrejvevic a pu parler de surveillance latérale. Ce ne sont plus des agents de l’état qui sont chargé de la surveillance des biens et des personnes, mais l’homme banal qui surveille l’homme banal. Par exemple, c’est banalement que nous entendons des hauts parleurs nous distiller des conseils de prudence et nous inviter à signaler tout objet suspects dans les halls de gare ou d’aéroports

De ce point de vue, nous sommes entrés avec Internet dans une société disciplinaire totale.

Anders Albrechtslund  introduit un point de vue nouveau en rappellant que le terme de surveiller a aussi le sens de “veiller sur”. La surveillance est pour lui participative : c’est une pratique qui participe aussi de la construction de la sujectivité et du sens dans le(s) monde(s) dans le(s)quel(s) nous vivons. là ou le panoptisme foucaldien réduirait, voire détruirait les subjectivités, le panoptisme participatif contribuerait à construire nos subjectivités

 Michel Foucault n’avait pas manqué de voir que le panoptisme était aussi un dispositif de surveillance de pair à pair. Il remarque que dans la construction de Bentham, si le surveillant central peut observer tous les prisonniers sans qu’aucun ne se sente surveillé, lui aussi peut faire l’objet d’une surveillance par tout autre personne qui n’est pas prisonnière et à son insu : le panopticon fonctionne dans les deux sens.  Avec Intenet, les choses fonctionnent un peu différement. Il ne s’agit plus d’un qui surveille beaucoup (Bentham), ni de l’intériorisation des disciplines par chacun (Foucault), mais de beaucoup qui surveillent beaucoup. Notre surveillance s’étend au dela des personnes puisque nous avons des systèmes de veille RSS et de notification par mail lorsqu’un objet apparaît, lorsqu’un message est posté ou une réponse apportée. A cela, il faut ajouter la contribution volontaire de chacun au dispositif de surveillance.

Il faut bien reconnaître que les mondes en ligne ont des affinités avec les totalitarisme. La tentation totalitaire se lit lorsque l’on apprend que des terroristes sont recherchés jusque dans World of Warcraft, ou lorsque la loi LOPSI 2 de transformer les FAI en espions de leurs clients, de permettre l’utilisation de chevaux de Troie ou encore d’empêcher l’anonymat sur Internet. Les caractéristiques que donne Dana Boyd de la vie en ligne (persistante, questionnable, réplicable et une part de l’audience est invisible) sont aussi des briques idéales pour la construction d’un monde totalitaire. Je n’ai pas l’optimisme d’Anders Albrechtslund car on voit ici et là des tentatives des états ou des grands groupes pour réduire les mondes numériques. Par exemple, le fait que l’Estonie ait fait appel à l’ONU et à l’EU en prétendant que son cyberespace était attaqué tente de faire de l’Internet un espace territorial. A l’autre bout du spectre, le fait que si peu de personnes quittent twitter malgré les dysfonctionnement de ce service est une nouveauté notable. Jusqu’a présent, rien, ou presque ne nous retenait. Les digiborigénes passaient d’un service à l’autre sans aucun état d’ame. Notre attachement a Twitter montre que certaines adhérances sont en train de se construire dans le cyberespace. Enfin, nous avons construit de grands domaines comme Facebook, MySpace ou Google dans lesquels nous concentrons beaucoup de nos vies sociales en . La conséquence est que l’Internet devient de moins en moins un “non-lieu” au sens de Marc Augé et de plus en plus un autre lieu : lieu de valorisation des espaces géographiques, sociaux ou individuels.

 

Braconner pour échapper à la surveillance.

Les mondes numériques sont des mondes du 0 et du 1. Leur logique est toujours in fine binaire et à ce titre ils se prêtent parfaitement au dispositif disciplinaire tel que le définit Foucault :

[un] espace clos, découpé, surveillé en tous ses points, où les individus sont insérés en une place fixe, où les moindres mouvements sont contrôlés, où tous les événements sont enregistrés, où un travail ininterrompu d’écriture relie le centre et la périphérie, où le pouvoir s’exerce sans partage selon une figure hiérarchique continue, où chaque individu est constamment repéré, examiné et distribué entre les vivants, les malades et les morts – tout cela constitue un modèle compact du dispositif disciplinaire. Michel Foucault, Surveiller et Punir

 

De ce point de vue, les porosités des différents espaces dont parle David Lyon me semblent davantage être des “tactiques” (Michel de Certeau, l’Invention du quotidien) par lesquelles chacun tente d’échapper à la place fixe ou le regard panoptique tente de l’enfermer.

j’appelle tactique l’action calculée que détermine l’absence d’un propre. Alors aucune élimination de l’extériorité ne lui fournit la condition d’une autonomie. La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. Aussi doit-elle jouer avec le terrain qui lui est imposé tel que l’organise la loi d’une force étrangère. Elle n’a pas le moyen de se tenir en elle-même, à distance, dans une position de retrait, de prévision et de rassemblement de soi : elle est mouvement « à l’intérieur du champ de vision de l’ennemi » comme le disait von Bülow, et dans l’espace contrôlé par lui. Elle n’a donc pas la possibilité de se donner un projet global ni de totaliser l’adversaire dans un espace distinct, visible et objectivable. Elle fait du coup par coup. Elle profite des « occasions » et en dépend, sans base ou stocker des bénéfices, augmenter un propre et prévoir des sorties. Ce qu’elle gagne ne se garde pas. Ce non-lieu lui permet sans doute la mobilité, mais dans une docilité aux aléas du temps, pour saisir au vol les possibilités qu’offre un instant. Il lui faut utiliser, vigilante, les failles que les conjonctures particulières ouvrent dans la surveillance du pouvoir propriétaire. Elle y braconne. Elle y crée des surprises. Il lui est possible d’être là ou on ne l’attend pas. Elle est ruse » Michel de Certeau, L’invention du quotidien p. 61

La ou l’Internet nous promet la conservation “à jamais” de nos traces, de nos liens, de nos “amitiés”, là ou il nous promet la recherche précise, l’absence de contrôle sur ce que nous produisons/déposons et l’incertitude des destinataires, nous  produisons des tactiques, des ruses, nous utilisons les occasions qui nous sont données ; nous faisons “autre chose avec la même chose” : nous avons fait de Usenet une zone de téléchargement, du weblog un dispositf d’écriture collectif qui a donné la blogosphère, Usenet a été transformé en zone de téléchargements… Ces pratiques, même si elles dépassent parfois la bornes de la légalité, créent “de l’ombre et de l’équivoque” dans un espace qui au départ ne le permettait pas. Ce sont les pendants en ligne des “figures cheminatoires” que Michel de Certeau dressait pour l’espace géographique