Via Martin Lessard, l’histoire des 31 jours du dragon
2007. HP sort un nouveau modèle d’ordinateur portable. Les ventes ne sont pas au rendez vous. Ils confie à une agence de communicatio, Buzz Corps, le soin de mieux faire connaitre leur produit. L’agence choisi la voie des nuages. 31 bloggeurs high tech sont choisis en fonction du ranking Google, du nombre de liens de leurs blogs et des recommandations des autres bloggeurs pour la campagne les 31 jours du Dragon. Le buzz se répand comme une traînée de poudre, et HP se montre satisfait d’une hausse des ventes de 80% sur un produit datant pourtant déjà une année (source : JM Le Ray via Martin Lessard). Comme d’habitude sur Internet, les chiffres et leur mécanique donnent le vertige : 84% d’augmentation des ventes, 10.000 vidéos sur youtube, 380.000 liens faisant référence à la machine… Tout cela a partir de 31 blogs.
Ces mécaniques sont étudiés par des chercheurs en sciences sociale depuis le début du siècle dernier. Jacob Moreno, connu pour avoir intenté le psychodrame, a également mis au point des sociogrammes, c’est à dire des shémas sur lesquels étaient représenté les liens affectifs qui existent dans un groupe. Stanley Milgram d’abord connu pour son expérience de psychologie sociale mettant en évidence la soumission a l’autorité est maintenant connu pour avoir mis en évidence que des individus pris au hasard dans la population américaine sont séparés par six degrés de séparation. Enfin, plus près de nous Marc Granovertter a montré la force des liens faibles (SWT theory) dans le cadre de la recherche d’un emploi.
Un réseau social est un cas particulier d’un graphe mathématique : des sommets sont mis en relations a l’aide de liens. Les sommets peuvent être des pages web, des personnes, des comptes d’un site de réseau social. Les liens sont des relations : rendre visite à, parler à, prêter de l’argent, faire un lien un vers un site etc. Ces liens peuvent être symétriques ou non. A partir d’un graphe, il est possible de calculer la cohésion du réseau, d’extraire des sous réseau (les composants et les cliques), d’identifier des acteurs particuliers (les hubs qui connectent des sous ensemble, les acteurs centraux et périphériques)
Un exemple canonique permettra sans doute d’être plus précis. Il est tiré de Exploratory Social Network Analytisis with Pajek (1). Les employés d’une petite entreprise se mettent en grêve lorsqu’ils apprennent un plan de restructuration. Pour débloquer la situation, les patrons font appel a des tiers pour mieux expliquer le plan de restructuration. Un sociogramme de l’entreprise est dressé avec comme variable : qui parle de la grêve à qui. Il permet de repérer les acteurs important du réseau de l’entreprise et de débloquer la situation
Il est facile à partir du graphe de déterminer quels sont les personnes qui jouent le rôle d’interface entre plusieurs sous-groupes et quels sont les personnes qui ont le plus d’influence sur le réseau. Dans cet exemple, les personnes ont été volontaires puisque le graphe n’a pu être dessiné qu’a partir des réponses qu’elles ont données a des questions qui leur ont été posées
Sur Internet, notre participation va jusqu’a donner des réponses à des questions qui ne nous sont pas posées. Et sur Internet, il ne nous est plus possible d’avoir une intution correcte de la place que nous occupons dans le réseau, alors que nous savons généralement nous situer dans nos réseaux familiaux ou de travail.
Avec Buzz Corps, pour ce que l’on en sait nous sommes encore dans l’artisanat, puisque l’agence de communication s’est fiée a des données brutes comme le Google rank ou le fait d’être cité par d’autres bloggeurs. Je ne doute pas que le moment viendra ou certains crawleront nos réseaux sociaux et la blogosphère pour en extraire les points précis sur lesquels il faut agir pour avoir une influence. Il est par exemple facile de crawler 100.000 blogs, d’en dresser le graphe, d’en extraire le 100 personnes les plus importantes en prenant par exemple comme critères :
- celles qui sont des portails entre différentes communautés (hubs)
- celles qui sont les plus centrales (degree centrality, closeness centrability)
- celles qui sont les plus influentes
- celles qui sont les plus reçoivent le plus d’information (degrees)
Une action sur ces 100 personnes bien ciblées aura un effet important sur le réseau
Les outils existent déjà. Pour une grande part, nous les avons créé nous même comme les diggs-like par lequels nous collectons et rassemblons l’information. Pour le reste, des outils comme navicrawler pour récolter les données et Pajek pour les traiter sont amplement suffisants.
Je ne suis pas complétement naïf : je sais que le graphe social ne se superpose pas parfaitement à la réalité sociale : que quelqu’un soit en position d’être un portail entre deux réseaux ne veut pas dire qu’il fera effectivement passer l’information. Si nous sommes tous à 7 poignées de mains de Georges Bush, pour reprendre la formule consacrée, cela ne veut pas dire que le 6ieme laissera la porte ouverte précisément parce que cette position ouvre sur des enjeux de pouvoir.
Pour l’instant, nous en sommes a quelques coups de sonde. Mais que se passera t il lorsqu’il ne s’agira plus de vendre des PC mais des idées ? Que se passera t il lorsque des leaders politiques émergeront de la blogosphère, qu’ils en connaîtront les codes et les ficelles et qu’ils s’appuieront sur les grands nombres des nuages pour conquérir le pouvoir ? Je ne parle pas des tentatives timides qui ont vu une ministre française faire un tour sur Facebook ou un ancien ministre passer vendre des tableaux blancs numériques sur Seesmic, ni même des 100.000 followers du compte Barak Obama sur twitter. Je parle d’une action concertée et réfléchie de quelques uns sur la blogosphère.
Par le passé, deux régimes politiques ont mené explicitement des actions de propagande : le fascisme et le communisme. Tous deux nous ont conduit dans des impasses tragiques : guerres, camps de concentration, camps d’extermination, ruine économique. Le libéralisme, qui se présentait comme une alternative, montre de plus en plus ses défauts : augmentation des inégalités entre les pays et à l’intérieur des pays, financiarisation des services publics, attaques systématique des liens sociaux, gaspillage des ressources… Le siècle est encore jeune, et déjà le bilan est accablant !
Dans un contexte ou les idéologies sont en faillite, il est plus que nécessaire de prêter la plus grande attention à ce qui est en train émerger. Certes de nouveaux modèles sont en construction, mais rien de garanti que du point de vue humain ils soient un progrès par rapport a ceux qui les ont précédé. L’Internet, parce qu’il est masse, intéressera nécessairement les politiques et c’est aussi tout nécessairement que cet espace fomentera des idéologies poliques.
Pourtant, nous y comportons comme des enfants dans le jardin d’Eden alors le le fuit de l’arbre de la connaissance a été consommé. Le temps n’est plus a célébrer ensemble de la blogosphère et à s’émerveiller de sa puissance. Le temps est n’est plus à chanter les hymnes originaires, les We Are The Web et autres The Machine Is Us/ing US. Le temps n’est plus à se réjouir des 31 jours du dragon.
Faire un lien vers un autre blog, faire suivre un mail, partager un événement sur Facebook, ajouter un favori dans Youtube ne sont pas des actes anodins. Ce sont des actes politiques.
(1) Les données proviennent d’une enquête dont les résultats ont été publiés dans J. H. Michael, “Labor dispute reconciliation in a forest products manufacturing facility” In : Forest Products Journal 47 (1997), 41-5