Silent Hill survival horror - un point de vue psychologique

Des membres épars, une tête coupée, une main détachée du bras, comme dans un conte de Hoffmann, des pieds qui dansent tout seuls comme dans le livre de A. Schaeffer cité plus haut, voilà ce qui, cri soi, a quelque chose de tout particulièrement étrangement inquiétant, surtout quand il leur est attribué, ainsi que dans ce dernier exemple, une activité indépendante. C’est, nous le savons déjà, de la relation au complexe de castration que provient cette impression particulière. Bien des gens décerneraient la couronne de l’inquiétante étrangeté à l’idée d’être enterrés vivants en état de léthargie. La psychanalyse nous l’a pourtant appris : cet effrayant fantasme n’est que la transformation d’un autre qui n’avait. à l’origine rien d’effrayant, mais était au contraire accompagné d’une certaine volupté, à savoir le fantasme de la vie dans le corps maternel. S. Freud, L’inquiétante étrangeté, 1919

Les survival horror games sont des jeux vidéos dans lesquels la vie du joueur est si attaquée qu’il ne s’agit plus que de survivre à l’intérieur d’un monde malveillant. Ces jeux dérivent des films d’horreurs. Leur trame narrative est généralement la suivante : un groupe de héros explore un environnement qui se révèle rapidement extrêmement dangereux. Le groupe est peu à peu décimé, et souvent, le personnage le moins bien armé reste le seul survivant. La plupart du temps, il s’agit d’une femme et le film atteint son climax lorsque la survivante rencontre enfin l’ agresseur. Ce thème a été repéré par  Carol J. Clover dans son livre  Men, Women and Chain Saws: Gender in the Modern Horror Film. L’entrée Wikipedia Final Girl résume bien ses positions.

Il serait intéressant de faire le parallèle avec le tableau des structures du conte que nous a laissé Vladimir Propp : 1. une phase initiale dans laquelle l’ordre du monde est troublé et ou le héros cherche des renseignements. Parfois, il est trompé. 2. Une seconde séquence dans laquelle un méfait se produit. On fait appel au héros qui met en place les actes de réparation. 3. Une seconde séquence dans laquelle le héros vient finalement a bout de l’ imposteur.

A partir de là, il est possible de donner quelques différences entre les contes et les films/jeux vidéo d’ horreur

a. Le temps de l’action n’est pas le même. Dans les contes, le trouble est actuel, alors que dans les films/jeux vidéos d’horreur, il est souvent rejeté dans un passé très lointain, voir même dans un autre espace temps.

b. les films/jeu vidéos mettent en cause l’intégrité physique et psychique des protagonistes. On y meurt de la façon la plus atroce qui soit, et il n’est pas une mutilation ou un supplice qui n’ai été abordé : dépecage, morcellement, évicération, empalement, fractures, arrachements

c. dans les contes, le trouble dans l’ordre du monde est actuel. Il est toujours passé dans les films/jeux vidéo d’horreur. Alors que dans les contes, le héros règle une difficulté qui lui est personnelle, dans les films et les jeux vidéos d’horreur, le héros règle une situation dont il hérite. Il a plus à faire avec les fantômes et les revenants des générations passées qu’avec un problème personnel. Ce thème est particulièrement important : l’horreur cesse lorsque le fantôme trouve du repos.

d. Les dynamiques psychologiques sont aussi différentes. Le conte ne met jamais en cause la continuité du sentiment d’exister. Le temps y exerce ses effets d’une façon banale : il y a un avant et un après; les choses prennent un certain temps pour être faites. Dans les films/jeux vidéo d’horreur, les identités se mêlent et se partagent. Un corps peut être habité par plusieurs entités. Une entité peut habiter plusieurs corps. La différence entre l’animé et l’inanimé s’estompe et par parfois disparaît.

e. L’unité narrative dans les contes n’est jamais rompue. Elle l’est presque systématiquement dans les films/jeux vidéo d’horreur : le héros ne sait pas pourquoi il est attaqué, ni même ce qu’il a à faire. Sa seule préoccupation est sa survie c’est-à-dire la conservation de son intégrité corporelle et psychologique

f. Il n’y a rien à gagner dans les films/jeu vidéo d’horreur. On évite juste de perdre sa vie. Les contes ouvrent sur un plus, un gain, à partir de ce qui a été préalablement perdu : “ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants”

g. La contagion – des idées, des maladies, de la mort – est au centre des films/jeux vidéos d’horreur alors que la transmission – de la vie, des traditions – est au coeur des contes

Jouer avec l’horreur

Mais pourquoi aller voir ou jouer avec des horreurs ? D’abord parce que la peur fait partie des [W:émotions] de base . Comme telle, elle est précieuse à éprouver. Ensuite, parce que le jeu offre un cadre ou éprouver et maîtriser des angoisses particulièrement fortes. Elles peuvent être éprouvées en toute sécurité, puisqu’elles le sont dans le cadre du jeu. Enfin, parce que les massacres qui accompagnent ces jeux sont des sources de plaisir actifs et passifs.

Perte des limites, attaque du sentiment de contiuité d’exister, angoisses paroxystiques, pertes des différences entre l’animé et l’inanimé, l’humain et le non-humain, voilà le genre d’angoisse que l’on peut retrouver dans les jeux vidéo d’horreur. Cela permet au joueur de remettre sur le métier des angoisses certes profondes, mais communes à tout le genre humain.

Il en est un qui me semble très spécifique aux jeux vidéos d’horreur : l’angoisse agonistique. Le joueur est confronté a un environnement qui le harcèle sans répit et qui lui donne des ressources avec parcimonie : les items de soin, les munitions et les armes sont rares. La pile de la lampe torche vacille, faiblit, et s’éteind. L’arme fait un clic sinistre. Parfois c’est la radio qui devient inutilisable. Tous ces éléments de gameplay replace le joueur dans la situation d’un nourirsson dont les moyens de communication et de défense sont non seulement faibles mais en constante diminution. Ainsi, le joueur éprouve ce que le psychanalyste D. W. Winnicott a appelé “expériences agonistiques” : confronté a des failles dans son environnement, l’enfant est incapable de donner sens et de subjectiver son expérience. Un des destins possibles de cette expérience est que l’enfant se coupe de son expérience vitale. Il est par la suite confronté a un paradoxe puisqu’une expérience a été vécue, a laissé des traces, mais n’a pas été suffisamment appropriée pour être intériorisée

Ce que dit Winnicott de la crainte de l’effondrement est particulièrement éclairant ici : certains patients craignent un effondrement qui a déjà eu lieu et ont besoin que le thérapeute leur disent que l’effondrement a déjà eu lieu. Jouer à ce type de jeu vidéo est une manière de mettre au passé les agonies primitives, en les jouant et rejouant dans le cadre sécurisé qu’offre l’espace de jeu. Pour autant, cela ne suffit pas a ce  que la symbolisation de ces expériences soit faite : il faut que s’y ajoute une mise en mot pour un autre ,investi comme valeureux, de ce qui a été joué.

C’est d’ailleurs pour cela qu’il est important de laisser les enfants parler de leurs jeux vidéos, et même, pour ceux qui n’en parlent pas, de les inciter à le faire. Cela est valable pour tous les jeux, qu’il s’agisse des survival games ou de jeux apparemment anodins : leur mise en mots augmente les chances de faire de l’expérience vidéo ludique quelque chose de dynamique et de transformateur. Le silence qui leur est opposé risque de la transformer en quelque chose de sclérosant et rigide