J’anime avec Cyrille Le Jamtel l’atelier “Nouvelles technologies” dans le cadre des 5ièmes entretiens francophones de la psychologie. Nous travaillerons sur la manière dont les matières numériques rencontrent les pratiques cliniques du psychologue. Il y a à mon sens beaucoup de nouveaux territoires à explorer.

Voilà un peu plus de 10 ans que l’Internet a rencontré le champ clinique, amenant des psychothérapeutes a inventer de nouveaux dispositifs psychothérapeutiques. Les réseaux sociaux apportent aujourd’hui de nouvelles questions.

La pratique de la psychothérapie est basée sur une dissymétrie : le patient s’ouvre et révèle des aspects de sa vie à une personne dont il ignore pratiquement tout. La visibilité des intérêts, des déplacements, des lectures, des amis, des achats … de l’Internet d’aujourd’hui peut considérablement changer la donne dans au moins deux directions. Les clients peuvent rechercher des informations sur leurs psychothérapeutes et les psychothérapeutes peuvent rechercher des informations sur leurs patients.

La recherche d’information n’est pas seulement le fait des clients. Elle concerne aussi les organismes de formation en psychothérapie puisque certaines n’hésitent pas à « googliser » les candidats. Dans le domaine de l’entreprise, cela pose déjà des problèmes en termes d’atteintes à la vie privée sans qu’il soit garanti que cette méthode soit efficace du point de vue du recrutement. Dans le cadre de la formation des psychothérapeutes, l’atteinte est encore plus grande puisque le contrat de formation n’est plus basé sur une confiance réciproque entre le formateur et le candidat. Que fera le formateur de ce qu’il récolte en ligne ? Comment le faire entrer dans la formation ?

A quel moment cesse-t-on d’être psychothérapeute et commence-t-on à être enquêteur ? Ou s’arrête l’investigation psychothérapeutique et ou commence l’enquêter de police ? Les psychothérapies commencent généralement par le recueil de l’histoire du client et de sa maladie. Il est parfois fait appel à un tiers du fait de la spécificité de la relation. Par exemple,  les parents ou les tuteurs de l’enfant détiennent des informations que l’enfant ne peut transmettre au psychothérapeute. Dans le cadre de pathologies du grand âge, ce sont les enfants du client qui vont aider à reconstruire son parcours de vie. Avec les réseaux sociaux, beaucoup d’informations sont disponibles sur l’Internet. Le niveau de revenu du client peut être reconstruit, tout comme ses gouts et ses déplacements. Certaines de ses pensées deviennent accessibles sur Facebook et Twitter. Jusqu’au s’étend le cabinet du psychothérapeute ? S’arrête-t-il ici et maintenant, dans le temps de la séance ? Ou peut-on l’étendre aux immensités numériques ?

La réponse n’est pas simple. D’un coté, prendre contact avec les traces laissées par le client, c’est aussi être en lien avec sa famille, ses amis, ses collègues. Il n’y a pas d’internaute seul. Une fois en ligne, un individu est pris dans un réseau inextricable de relations. De l’autre, la recherche en ligne peut être utile. La recherche d’informations en ligne peut être mise au service du client. Par exemple, il est possible de reconstruire l’histoire du patient à partir de recherches en lignes. Le compte Flickr de la personne comportera les grands et les petits évènements de sa vie. Il peut être extrêmement intéressant pour une personne de naviguer dans ces souvenirs en compagnie d’un psychothérapeute. Ce travail est déjà fait avec des personnes ayant été prise en charge dans le cadre de l’Aide Sociale à l’Enfance. Lire son “dossier ASE”  avec un psychothérapeute est pour le client l’occasion de remémorations et de reconstruction de son histoire.

Mais si le client refuse toute collaboration ? Que faire, par exemple, dans le cadre d’une Enquête Socio Educative ordonnée par un juge ? Est ce que le psychologue peut « googliser » la personne après que celle-ci lui ait opposé un silence plus ou moins total sur son histoire ? Et que faire dans les situations de crise ? Les psychothérapeutes rencontrent des situations ou les informations trouvées sur l’Internet peuvent être utiles et parfois même vitales : fugues pathologiques, crises suicidaires, accès maniaques… toutes sortes de situations ou le client a besoin d’une aide aussi rapide que possible.

L’internet dessine de nouvelles frontières pour la psychologie clinique et la psychothérapie. Il n’y a pas de réponse simple a un problème complexe. Mais ces questions doivent être suffisamment travaillées par les psychologues pour éviter que l’Internet ne fasse bruyamment irruption dans nos pratiques cliniques