Partout ou des hommes ont été en contact avec ces machines particulières que sont ordinateurs, des jeux vidéo ont été inventés. D’une certaine façon, le premier jeu vidéo est sans doute le test de Turing. Dans son article “Computing Machinery and Intelligence” publié dans Mind, le mathématicien propose le test suivant : une machine et un être humain discutent ensemble. S’il n’est pas possible de déterminer qui est l’humain et qui est la machine, alors le test est réussi.

13 ans plus tard, le programme Eliza de Joseph Weizenbaum permet d’avoir des conversions. Eliza imite un thérapeute rogerien, et reprend une partie des phrases qui lui sont adressées pour répondre à son interlocuteur. Le test est loin d’être réussi, mais le programme amuse tellement les étudiants de Weizenbaum qu’ils peuvent passer des heures à jouer avec

Certains ordinateurs, comme l’immense Nimrod des anglais, ont même été construits uniquement pour jouer au jeu de Nim qui est un très vieux jeu de stratégie. Par exemple, dans le « jeu des allumettes », deux joueurs peuvent prendre à tour de rôle 1, 2 ou 3 allumettes dans un paquet de 12 allumettes. Le joueur qui prend la dernière allumette a perdu. En 1951, le l’ordinateur britannique impose par ses mensurations : de 4 mètres de long, 1,5 mètres de haut et 1,80 mètre de profondeur. C’est un immense cerveau, mais ironiquement, l’essentiel de l’espace est utilisé par des tubes a vide sous vide.  Le journaliste de la BBC, Paul Jenings, le décrit comme « un énorme frigidaire gris… Il est totalement effrayant. Je suppose qu’à la prochaine exhibition il aura de vraies piles d’allumettes et de terribles bras en acier sortiront de la machine pour les attraper » Le Nimrod est un des derniers ordinausore destiné a être remplacé par des machines programmables comme  le TX-O et surtout le PDP-1

Au Bell labs, dans le New Jersey, E. F. Moore et Claude Shannon construisent un ordinateur pour jouer a Hex, un jeu sans solution exacte.

En 1953, Arthur Sammuel, chercheur en intelligence artificielle, fait une démonstration de Checkers, un jeu de dame sur un IBM 701 flambant neuf. Le programme bat le champion du Connecticut, et fait sensation. On imagine déjà les intelligences artificielles remplacer les hommes. On est encore loin du compte même si l’année suivante, le même ordinateur se met à jouer au blackjack

En 1954, c’est un jeu de billard qui est programmé à l’Université de Michigan.

Hutspiel est probablement le premier jeu de simulation militaire. il est programmé par le Research Analysis Corporation (Mc Lean, Virginie). Hutspiel est un wargame opposant les forces de l’OTAN contre celles du Pacte de Varsovie

Sur l’ordinateur MANIAC-1 du Atomic Energy Laboratory (Los Alamos), il est possible de joueur à une version simplifiée deu jeu d’échecs grâce à James Kister, Paul Stein, Stanis?aw Ulam, William Walden, and Mark Wells

C’est encore dans un laboratoire, le Brookhaven National Laboratories, que Tennis for Two est inventé par deux ingénieurs, William Higinbotham et Bob Dvorak. le jeu est présenté de 1958 à 1960 aux visiteurs

En 1962, sur un ordinateur PDP-1, Steve Russell, J. Martin Graetz et Alan Kotok programment un jeu de bataille spatiale qu’ils appellent Spacewar!

A partir des années 1960, le vent de nouveauté qui souffle sur toute la culture américaine atteint également les ordinateurs. Des artistes comme A. Michael Noll (Bell Labs) commencent à les utiliser pour faire de l’art. Ils deviennent un peu plus organiques en hébergeant en leur sein le jeu de la vie du mathématicien John Conway

Aventure (ou Advent), développé par William Crowther, amène le jeu de rôle aux ordinateurs. Le jeu sera décliné en de multiples versions, et donnera naissance aux Multi User Dungeons, puis aux MMORPG.

On peut donc faire deux constats. Le premier est que partout ou il y a eu des ordinateurs, il y a eu des jeux vidéo. Quelques rares machines ont été conçues spécifiquement pour jouer, mais dans ce cas c’était pour démonter la puissance de l’ordinateur, et sa victoire, à plus ou moins brève échéance, sur l’humanité. Mais la plupart des jeux vidéo n’ont pas été conçus dans un but publicitaire. Les premiers jeux vidéo ont été dans leur grande majorité développés pour une seule raison : le  fun. Les programmes ont été écrits pour le plaisir de voir ce que la machine pouvait faire, pour le plaisir d’interagir avec elle, pour donner à l’utilisateur une expérience interactive

Le second constat est que les jeux vidéo ont été inventé malgré l’encadrement ou dans l’indifférence. Dans les années 1950-70, les ordinateurs étaient rares et chers, et utiliser leurs ressources pour jouer était considéré au mieux comme une perte de temps dans tous les centres informatiques. Ils ne sont pas le produit d’un “complexe militaro-industriel”. Il est vrai que les militaires ne sont jamais très loin des ordinateurs dans cette période de l’histoire des Etats-Unis. Par exemple, Higinbotham a travaillé au développement du RADAR, puis dans le cadre du projet Manhattan. Son laboratoire est construit sur une autre base militaire. Russell est membre du TMRC, le club de modélisme qui donne naissance à la culture du hacking. Ce club est situé dans le Bâtiment 26, qui quelques années plus tôt hébergeait les recherches sur … le RADAR ! Il est possible d’échafauder des théories conspirationnistes, mais l’hypothèse la plus simple est que lorsque l’on met des jeunes gens brillants en contact avec la pointe de la technologie, on obtient des résultats inattendus. Les jeux vidéo ne sont pas les enfants du “complexe militaro industriel” Ils en sont même l’opposé puisqu’ils ont contribué à changer le visage des ordinateurs. Avant les jeux vidéo, les ordinateurs étaient pensés comme des menaces (cf. le commentaire du journaliste de la BBC, des rois à venir (Nimrod est le premier roi après le Déluge)), des calculateurs froids, des machines de travail et des outils appartenant à de grands groupes. Apres les jeux vidéo, les ordinateurs deviennent plus chaleureux. Non seulement les utilisateurs leur prêtent des émotions, mais ils reçoivent des émotions grace aux machines. Ce ne sont plus uniquement des machines de travail, mais des objets de plaisir. Enfin, ils ne sont plus les outils d’immenses hierarchies verticales mais travaillés par de petits groupes de paris, égaux entre eux, animés par le même idéal : il est possible de produire de la beauté (et du plaisir) avec ces machines.

  • Turing, AM (1950) Computing machinery and intelligence Mind
  • Daouti, D Alvarez, J. Jessel, JP. Rampnoux, O Origins of Serious Games Ludoscience.com