Il n’y a pas d’addiction à l’Internet|aux jeux vidéos. Volà un billet que j’ai écrit en 2006 et ma position n’a pas bougé depuis. Elle s’articule principalement autour de deux points :
1. la psychopathologie. Ce que l’on rassemble sous le terme d’addiction aux jeux vidéos ne correspond pas la sémiologie de l’addiction sauf a faire éclater la notion sous le terme d’addiction sans objet (ou sans drogue). En psychologie comme dans les autres disciplines, le principe d’économie est applicable : on n’invente pas de nouvelles hypothèses si le phénomène observé peut s’expliquer avec les théories existantes. Pour le jeu vidéos, c’est clairement le cas. Jouer peut être pris dans une problématique obsessionnelle (la compulsion), dépressive (jouer pour éviter de penser), narcissique (jouer restaurer ou maintenir un idéal) ou même psychotique (jouer pour s’éprouver vivre). Dans tous ces cas de figure, "jouer" est un terme impropre puisque les fonctions du jeu vidéo sont grandement altérées.
2. l’éthique. La notion d’addiction sans objet conduit à faire de tout et n’importe quoi une addiction. On peut ainsi lire dans Les nouvelles addictions que les femmes battues seraient dépendantes de la violence. Les enfants agités qui reçoivent des corrections de leurs parents seraient dans le même cas. Le cadre surmené par une hiérarchie et serait lui dépendant du travail. On en arrive a des positions qui montrent bien que la psychologie peut être un relais disciplinaire tel que l’entendait Michel Foucault dans Surveiller et Punir :
il peut y avoir des addictions meilleures que d’autres. Celles qui sont liées au travail, par exemple. Michael Stora
Gameblog.fr vient de publier un billet faisant état de la position de Keith Baker : Jeu vidéo et addiction : un spécialiste se rétracte. Keith Baker a ouvert en 2006 le premier centre pour les dépendants aux jeux vidéos, la Smith & Jones Centre. Deux ans d’expérience, des centaines de patients pour en arriver à la conlusion qu’il n’y a pas d’addiction aux jeux vidéos
Ces enfants arrivent en montrant quelques vagues symptômes similaires à d’autres addictions, et dépendances chimiques, mais plus nous travaillons avec ces gosses, moins je pense qu’on peut appeler ça de la dépendance. Ce dont beaucoup de ces enfants ont besoin, c’est de leurs parents et de leurs professeurs d’école – c’est un problème social". Jouer excessivement ne serait donc pas un problème psychologique, mais bel et bien social. Keith Bakker
Le papier reprend une interview de Keith Baker donné à BBC News : Compulsive gamers "not addict" . On trouve d’ailleurs en langue anglo-saxonne toute une série de papier sur les bienfaits des jeux vidéos : Computer games drives social ties ou Online Time "googd for teens" que l’on comparera avec le fait que la chine tente toujours de limiter le temps de jeu. Cela me semble tout aussi excessif que de faire des jeux vidéos une drogue. Les jeux vidéos ne sont ni des drogues, ni dans le sens d’une drogue, ni dans le sens d’un médicament. Ce sont des objets sociaux, profondéments enracinés dans la culture, faisant des liens avec la littérature et le cinéma. L’usage que chacun en fait dépend d’une dynamique personnelle.
En France, Thomas Gaon a fait une critique de la notion de dépendance aux jeux vidéos qui va dans ce sens. Elle n’est malheureusement pas disponible et ligne et apparaît mal dans le sommaire puisque l’article est publié sous le titre curieuse « Soigner des jeux vidéo / soigner par les jeux vidéo » avec une double signature : Thomas Gaon et Michael Stora.
L’exemple donné par la BBC
"I liked gaming because people couldn’t see me, they accepted me as my online character – I could be good at something and feel part of a group."
montre bien ce que le jeu vidéo peut avoir d’intégratif. Il montre aussi en creux les difficulté d’acceptation de soi ou la honte qui peuvent conduire au jeu excessif. Ce qui est recherché ce n’est pas alors le plaisir du rush mais l’appaisement de l’intégration dans un groupe ou une guilde. Il est bien évidement d’autres dynamiques : la compulsion, la dépression, l’entrée dans un fonctionnement psychotique, un traumatisme, une séparation peuvent également se traduire par du jeu excessif
Keith Bakker en est arrivé à ce point. Et il précise que si les figures tutélaires des enfants prêtaient plus d’attention a ce que les enfants disent, alors les problèmes d’isolation et de frustration pourraient être traitées à la source. Cela est tout à fait exact. Il en va dans une famille pour les jeux vidéo comme pour toute autre activité : elle peut être support de communication ou support de silence, c’est à dire que les jeux vidéos révèlent des dynamiques familialles plus qu’ils ne les créent.
Il faudrait cependant éviter de faire des parents l’alpha et l’oméga de cette question. Pour comprendre ce ce qui se passe lorsque nous jouons à un jeu vidéo, il nous faut un modèle qui prenne en compte à la fois le narcissisme (le jeu vidéo, les relations à l’objet (le jeu vidéo comme emprise, contrôle, passion….) et les relations à l’environnement (le jeu vidéo comme étayage; le jeu vidéo comme isolement). C’est dans cette voie que travaille Serge Tisseron qui a proposé le modèle de la dyade numérique.
L’article de Thomas Gaon critique effectivement cette notion d’addiction et renvoie à une lutte doctrinale entre psy, qui utilise le jeu vidéo pour se positionner sur le thème plus large des addictions sans drogue.
Il n’est pas coécrit avec Michael Stora, mais ils’agissait pour une revue de science po, de montrer les sages multiples des du jeu vidéo par les psy. D’où le titre guérir des JV / soigner par les JV.
Mon article dans la même revue montre le rôle de la construction journalistique de cette notion, et les rapports de forces sociologiques entre journalistes et le positionnement des experts.
Promis, je négocie les droits de libre distribution et le met en ligne.
Olivier
Ce n’est pas une querelle doctrinale de psy ! Le dire comme cela, c’est laisser entrendre que tout ça finalement, ce ne sont que des mots. Non.
Si la notion est “journalistique” les psychologues et les psychothérapeutes n’ont rien a en faire.
Hmmm, pas seulement, mais c’était pour être moins hardcore et dire que c’est un enjeu économique (financement des infrastructures de l’addiction classique par une entrée plus vendeuse – le JV) ainsi qu’une politique de la peur et de contrôle social, lié à l’idéologie bourgeoise (cf. Weber, l’éthique protestante du capitalisme).
D’ailleurs, ça me fait penser à la place du public, comment il doit se comporter. Richard Sennett dans The fall of public man, démontre bien le passage d’une réception participative, violente, et bruyante des spectateurs de théâtre, à une réception intériorisée, dans le silence, par la modification sociologique du public (pénétration des Bourgeois post-révolution française)
Finalement, on doit jouer au jeu vidéo comme on regarde le dernier Godard, avec une certaine prostration/. Donc fatalement, par delà la méconnaissance du sujet, on n’accepte pas une attitude active/bruyante/passionnée. Avec en plus en toile de fond, l’idéologie (au sens premier) kantienne du sujet rationnel en public, et par extension en privé (et là ça fait peur)
Enjeu économique, politique de la peur et du contrôle social : voilà qui sa place à l’addiction aux jeux vidéos. Merci d’avoir clarifié ce point. Rester dans le “softcore” n’est pas, à mon avis, une solution.
Je pense avoir compris ce qui a été dit ici, cependant je suis assez surpris que l’on parle majoritairement des cas d’enfants dépendant aux jeux vidéo.
Bien que cela soit une mode et que commercialement parlant on représente le joueur comme un jeu homme adolescent de 16 à 25 ans, il me semble que, en France, les statistiques aient montrées que le profil du joueur type étant le plus connectés sur Internet étaient la femme au foyer entre 30 et 50 ans.
Aussi bizarre que je vais vous paraitre, je ne connais pas de serial Gameuse pour illustrer mon propos. Cependant à l’inverse, des joueurs hommes de 50 ans, accros aux jeux à y passer 6h par jour, tout en ayant une vie familiale et professionnelle, j’en connais.
L’article n’en faisant pas mention explicitement, peut-on ignorer une certaine forme de dépendance sans drogue de ces gens faces aux jeux. En tant que néophyte en matière de psychologie, peut-être pourrait-on employer l’expression “jouer de manière compulsive” qui pour moi revient à une forme de dépendance ? (mais là, sémiologiquement parlant, j’étale mon ignorance ^^)
Bref, parmi la centaine de patients de la Smith & Jones Centre, y’a t-il eu un échantillon représentatif d’adultes ? de femmes ? d’hommes ?
Comme il me semble que ce site est très sérieux et qu’il saura retrouver les informations nécessaire pour étayer son argumentation :
Quid des rumeurs colportés sur le net indiquant des morts par déshydratations suite à un enchainement trop réguliers d’heures devant son PC ?
En vous remerciant de m’avoir lu.
Kéké