Les écrans et les ados Michael Stora Talence Hier à Talence, Michael Stora parlait de son sujet de prédilection : les écrans et les ados. La conférence était faite à l’initiative du Service Jeunesse de la Mairie de Talence, du Master de Communication et Génération de l’ISIC et les collèges Victor Louis et Henri Brisson. La conférence a été précédée par la présentation des collégiens étudiants du Master de Communication et Générations d’un travail d’enquête qu’ils ont fait auprès des familles.

Pendant un peu plus d’une heure, Michael Stora a fait part de ses vues sur les jeux vidéos, les messageries instantanées et les blogs de Skyrock. Le propos est celui de Les écrans ça rend accro (1) : les jeux vidéos sont des occasions de restauration narcissique et de maîtrise. Dans l’univers du jeu, le joueur obtient des gratifications qui le soignent des frustrations que la vie ne manque pas de lui apporter. Il y sera grand et puissant alors qu’il n’est que lui même dans l’espace hors-jeu. Il assurera sa maîtrise dans l’espace du jeu alors qu’il se sera senti jouet des puissances parentales.

 

L’estime de soi est une entrée possilbepour la compréhension des mécanismes psychologiques sous-jacents aux jeux vidéos. L’erreur serait d’en faire la seule clé possible, celle  qui ouvrirait toutes les portes. Jouer à un jeu vidéo donne des occasions de restauration narcissique, certes, mais aussi des occasions de jouer avec des angoisses profondes et des fantames érotiques, agressifs ou… narcissiques. Par exemple, jouer avec l’horreur est une façon de jouer avec ce qui en soi est vécu comme horreur.  Une seconde erreur est de profiter des boulevards que nous présente la théorie entre le narcissisme et l’image, et, de métaphores faciles en raccourcis séduisants, d’oublier  de prendre en compte les usages. Il faut bien prendre en compte, en effet, le fait que le jeu vidéo nous offre de bien grandes occasions de frustration et de désillusion : se faire camper a [W:Strangleronce], échouer pour la 30ieme fois un niveau ne vous met pas vraiment dans la peau d’un héros grand et puissant mais bien vous fait bien plutôt éprouver la détresse de devoir faire face à une situation qui vous dépasse largement.

 

Il y a beaucoup à discuter sur la conférence de Michael Stora.  Entre autres, les points suivants :

 

Il n’y a pas d’addiction aux jeux vidéos.

On peut retourner la chose dans tous les sens, parler de "propriétés addictives" et autres fariboles, les faits sont là : les jeux vidéos ne sont pas des drogues. L’usage qui en est fait dépend des dynamiques personnelles de chacun. Dans la même heure de jeu et avec le même jeu, un joueur peut tour à tour passer par des moments de créativité et d’invention à des moments de répétition et d’ennui. La gamme d’émotions ressentie par le joueur dépend de son "piano interne" et de sa capacité à en jouer, pas du jeu vidéo.

La passion n’est pas une pathologie

Les psychologues et les psychiatres sont des gens très inventifs : ils ont inventé l’addiction sans objet. La toxicomanie sans la drogue, en quelque sorte. Partant de là, tout est susceptible de devenir une drogue, et donc tout excès est susceptible d’être un objet de soin. C’est ainsi que les femmes battues et autres personnes violentées deviennent des dépendantes de la violence. Dans le domaine des jeux vidéos, tout excès sera immédiatement suspecté d’être une maladie. Cette pathologisation du jeu vidéo a des déterminants sociaux qui sont aussi dénoncés par Olivier Mauco dans GameInSociety. Toute passion qui n’est pas assujetie au travail nécessiterait alors un soin. Psychologie et psychiatrie tombent malheureusement dans le travers que leur reprochait Michel Foucault : être des disciplines de pouvoir.

 

Les geeks les hardcore gamers et les no-life ne sont pas des entités nosographiques

La culture internet a toujours eu a coeur de nommer les phénomènes qu’elle était en train de créer. Ainsi, les joueurs de jeux vidéos se sont donnés des noms : [W:hardcore gamer], [W:nolife], casual gameurs pour différencier les usages et les investissements que les uns et les autres ont des jeux vidéos. Tout groupe a besoin de ces différenciateurs. Tout groupe s’appuie sur des étiquettes pour nommer et identifier la place des autres et la sienne. Faire de ces étiquettes des entités nosographique est une erreur méthodologique

 

Le jeu vidéo n’est ni un espace potentiel ni un objet transitionnel.

L’espace potentiel et l’objet transitionnel sont deux notions élaborées par le psychanalyste D. W. Winnicott. Voici comment il décrit l’espace potentiel

J’oppose cet espace potentiel (a) au monde du dehors (relié à l’association psychosomatique [psychosomatic partnerschip ]) et (b) à la réalité existante ou du dehors (qui a ses propres dimensions et peut être étudié objectivement et qui, bien qu’elle puisse paraître varier selon l’état de l’individu qui l’observe, reste, en fait, constante. » D.W. Winnicott, Jeu et réalitéC’est à l’intérieur de cet espace potentiel que le jeu peut être expérimenté. Il se situe ni dedans, ni dehors, mais dans l’entre deux : entre l’espace interne de la personne et l’espace de la réalité.

L’objet et les phénomènes transitionnels désignent

l’aire intermédiaire d’expérience qui se situe entre le pouce et l’ours en peluche, entre l’érotisme oral et la véritable relation d’objet, entre l’activité créatrice primaire et la projection de ce qui a déjà été introjecté, entre l’ignorance primaire de la dette et la reconnaissance de celle-ci. D.W. Winnicott, Jeu et réalité

Si l’on part des définitions données par D. W. Winnicott, le jeu vidéo ne saurait être considéré comme un espace potentiel ou un objet transitionnel

 

Voies de recherche pour le futur

Voilà maintenant plus de 10 ans que Kimberley Young a repris la plaisanterie initiale d’Ivan Goldberg pour de transformer un copier collé en une réalité clinique. Voilà plus de dix ans qu’il n’y a pas le moindre début de conscensus des psychologues et des psychiatres sur cette question. Voilà plus de dix ans qu’aucune preuve d’une addiction aux jeux vidéos n’a été apportée. Pourquoi maintenir cette fiction ?

Il nous reste a mieux connaître les mécanismes qui président à l’appareillage du joueur et de la machine, à la façon dont les imaginaires s’embouchent, aux propriétés de la matière numériques et aux processus qui les ordonnent. Il nous reste a mieux comprendre comment et a quelles conditions on peut faire oeuvre de symbolisation avec un jeu vidéo et comment à d’autres moments le même jeux va être mis au service de processus de désymbolisation et de non-pensée. Entre autres, car

il y a plus de choses au ciel et sur la terre, Horatio, que dans toute votre philosophie. Hamlet, Acte I, scène 5

 

(1) Voir le compte-rendu que j’en ai fait sur psyapsy.org