Hier à Talence, Michael Stora parlait de son sujet de prédilection : les écrans et les ados. La conférence était faite à l’initiative du Service Jeunesse de la Mairie de Talence, du Master de Communication et Génération de l’ISIC et les collèges Victor Louis et Henri Brisson. La conférence a été précédée par la présentation des collégiens étudiants du Master de Communication et Générations d’un travail d’enquête qu’ils ont fait auprès des familles.
Pendant un peu plus d’une heure, Michael Stora a fait part de ses vues sur les jeux vidéos, les messageries instantanées et les blogs de Skyrock. Le propos est celui de Les écrans ça rend accro (1) : les jeux vidéos sont des occasions de restauration narcissique et de maîtrise. Dans l’univers du jeu, le joueur obtient des gratifications qui le soignent des frustrations que la vie ne manque pas de lui apporter. Il y sera grand et puissant alors qu’il n’est que lui même dans l’espace hors-jeu. Il assurera sa maîtrise dans l’espace du jeu alors qu’il se sera senti jouet des puissances parentales.
L’estime de soi est une entrée possilbepour la compréhension des mécanismes psychologiques sous-jacents aux jeux vidéos. L’erreur serait d’en faire la seule clé possible, celle qui ouvrirait toutes les portes. Jouer à un jeu vidéo donne des occasions de restauration narcissique, certes, mais aussi des occasions de jouer avec des angoisses profondes et des fantames érotiques, agressifs ou… narcissiques. Par exemple, jouer avec l’horreur est une façon de jouer avec ce qui en soi est vécu comme horreur. Une seconde erreur est de profiter des boulevards que nous présente la théorie entre le narcissisme et l’image, et, de métaphores faciles en raccourcis séduisants, d’oublier de prendre en compte les usages. Il faut bien prendre en compte, en effet, le fait que le jeu vidéo nous offre de bien grandes occasions de frustration et de désillusion : se faire camper a [W:Strangleronce], échouer pour la 30ieme fois un niveau ne vous met pas vraiment dans la peau d’un héros grand et puissant mais bien vous fait bien plutôt éprouver la détresse de devoir faire face à une situation qui vous dépasse largement.
Il y a beaucoup à discuter sur la conférence de Michael Stora. Entre autres, les points suivants :
Il n’y a pas d’addiction aux jeux vidéos.
On peut retourner la chose dans tous les sens, parler de "propriétés addictives" et autres fariboles, les faits sont là : les jeux vidéos ne sont pas des drogues. L’usage qui en est fait dépend des dynamiques personnelles de chacun. Dans la même heure de jeu et avec le même jeu, un joueur peut tour à tour passer par des moments de créativité et d’invention à des moments de répétition et d’ennui. La gamme d’émotions ressentie par le joueur dépend de son "piano interne" et de sa capacité à en jouer, pas du jeu vidéo.
La passion n’est pas une pathologie
Les psychologues et les psychiatres sont des gens très inventifs : ils ont inventé l’addiction sans objet. La toxicomanie sans la drogue, en quelque sorte. Partant de là, tout est susceptible de devenir une drogue, et donc tout excès est susceptible d’être un objet de soin. C’est ainsi que les femmes battues et autres personnes violentées deviennent des dépendantes de la violence. Dans le domaine des jeux vidéos, tout excès sera immédiatement suspecté d’être une maladie. Cette pathologisation du jeu vidéo a des déterminants sociaux qui sont aussi dénoncés par Olivier Mauco dans GameInSociety. Toute passion qui n’est pas assujetie au travail nécessiterait alors un soin. Psychologie et psychiatrie tombent malheureusement dans le travers que leur reprochait Michel Foucault : être des disciplines de pouvoir.
Les geeks les hardcore gamers et les no-life ne sont pas des entités nosographiques
La culture internet a toujours eu a coeur de nommer les phénomènes qu’elle était en train de créer. Ainsi, les joueurs de jeux vidéos se sont donnés des noms : [W:hardcore gamer], [W:nolife], casual gameurs pour différencier les usages et les investissements que les uns et les autres ont des jeux vidéos. Tout groupe a besoin de ces différenciateurs. Tout groupe s’appuie sur des étiquettes pour nommer et identifier la place des autres et la sienne. Faire de ces étiquettes des entités nosographique est une erreur méthodologique
Le jeu vidéo n’est ni un espace potentiel ni un objet transitionnel.
L’espace potentiel et l’objet transitionnel sont deux notions élaborées par le psychanalyste D. W. Winnicott. Voici comment il décrit l’espace potentiel
J’oppose cet espace potentiel (a) au monde du dehors (relié à l’association psychosomatique [psychosomatic partnerschip ]) et (b) à la réalité existante ou du dehors (qui a ses propres dimensions et peut être étudié objectivement et qui, bien qu’elle puisse paraître varier selon l’état de l’individu qui l’observe, reste, en fait, constante. » D.W. Winnicott, Jeu et réalitéC’est à l’intérieur de cet espace potentiel que le jeu peut être expérimenté. Il se situe ni dedans, ni dehors, mais dans l’entre deux : entre l’espace interne de la personne et l’espace de la réalité.
L’objet et les phénomènes transitionnels désignent
l’aire intermédiaire d’expérience qui se situe entre le pouce et l’ours en peluche, entre l’érotisme oral et la véritable relation d’objet, entre l’activité créatrice primaire et la projection de ce qui a déjà été introjecté, entre l’ignorance primaire de la dette et la reconnaissance de celle-ci. D.W. Winnicott, Jeu et réalité
Si l’on part des définitions données par D. W. Winnicott, le jeu vidéo ne saurait être considéré comme un espace potentiel ou un objet transitionnel
Voies de recherche pour le futur
Voilà maintenant plus de 10 ans que Kimberley Young a repris la plaisanterie initiale d’Ivan Goldberg pour de transformer un copier collé en une réalité clinique. Voilà plus de dix ans qu’il n’y a pas le moindre début de conscensus des psychologues et des psychiatres sur cette question. Voilà plus de dix ans qu’aucune preuve d’une addiction aux jeux vidéos n’a été apportée. Pourquoi maintenir cette fiction ?
Il nous reste a mieux connaître les mécanismes qui président à l’appareillage du joueur et de la machine, à la façon dont les imaginaires s’embouchent, aux propriétés de la matière numériques et aux processus qui les ordonnent. Il nous reste a mieux comprendre comment et a quelles conditions on peut faire oeuvre de symbolisation avec un jeu vidéo et comment à d’autres moments le même jeux va être mis au service de processus de désymbolisation et de non-pensée. Entre autres, car
il y a plus de choses au ciel et sur la terre, Horatio, que dans toute votre philosophie. Hamlet, Acte I, scène 5
(1) Voir le compte-rendu que j’en ai fait sur psyapsy.org
Nous n’étions pas des collégiens précédant monsieur Stora mais des étudiants en master communication et générations de Bordeaux III!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Nous avons précédé monsieur Stora en présentant notre enquête, c’est vrai, mais nous ne sommes pas des collégiens mais des étudiants en master 1 Communications et générations!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Bonne veille, Julie ! Merci de pointer la coquille. Je modifie cela.
C’est vrai que Monsieur STORA était brouillon voir soporifique dans son exposé. Entre citation de psy, anecdotes pour l’anecdotes, vidéos inutiles, utilisation à tout va et sans définitions des termes hard-core gamer, casual gamer, no-life… (nullement scientifique comme groupe définition de groupe d’utilisateurs) l’auditoire n’en a pas redemandé au moment des questions : “bon allez chérie on rentre, les gamins sont devant l’écran :p”
bref, un peu dommage de survoler cette univers sans réellement entrer dans le sujet et noyer son auditoire de termes abscons ou pseudo-scientifique alors qu’un discours plus simple, plus concret, plus construit, plus tourné vers son auditoire aurait pu servir un public venu pourtant nombreux.
Un avis subjectif.
Vraiment très intéressant ce billet… Et merci pour la phrase “La passion n’est pas une pathologie”, ça j’aime vraiment beaucoup ! :)
Merci yann de continuer à porter autant d’interêt à mon travail! Je tiens à préciser que les organisateurs m’ont demander une conférence dite “grand public”. Je ne savais donc pas que Yann Leroux serait là! Ainsi, tu es intervenus a deux reprises et j’avoue que tes remarques m’ont plus qu’étonné. faire un lien entre la cyberdépendance et les femmes battues et évoquer que les nolife seraient des psychotiques m’ont fait froid dans le dos!
Je suis heureux que cela te fasse froid dans le dos. Lire dans “Les nouvelles addiction” que les femmes battues souffraient d’une addiction a la violence m’a fait aussi cet effet.
Ce qui me fait aussi froid dans le dos, c’est de voir que tu tente de faire d’étiquettes que les joueurs se sont construit : no-life, hardcore gamer… des catégories psychopathologiques. Le no life est un no life. Point. Il peut être par ailleurs toxicomane, dépressif, psychotique, obsessionnel, ou hystérique ou tout ce que l’on voudra.
Tu devais bien te douter que je serais la. Talence est près de Bordeaux, n’est ce pas ? Je trouve que c’est important que ces questions, ces désaccords, puissent être discutés sur la place publique. Il y avait d’ailleurs dans le public d’autres personnes qui t’ont posé des questions très pertinentes.
Je suis tout a fait disposé a discuter de cela aussi dans des espaces de “spécialistes”
Je suis avant tout un clinicien et depuis 6 ans, je reçois des ados, des jeunes gens, des adultes qui viennent ou envoyés par leurs parents ou eux mêmes évoquant un soucis de dépendance. Je pense que le seul cas que tu ais étudié, soit celui de Yann Leroux.Dire que la seule dérive que je perçois dans ce plaisir que je partage aussi qu’est le loisir numérique est la dépendance est aussi une manière de chasser d’autres peurs, plus graves, comme celle de la violence, des cybeprédateurs, etc.. et d’aider des parents à paradoxalement s’interesser même si cela crée une inquiétude qui est celle de l’exigence que chaque parents devraient avoir vis à vis de leurs capacités a fixer des limites car c’est là où se site le vrai problème. Je pensais que tu l’avais compris mais tu continues à jouer le jeu de certains qui ont plus de pouvoir que toi!
Nous pouvons donc discuter de clinicien à clinicien. Et comme clinicien, je sais que nous sommes tous prompts a mettre des étiquettes sur ce que nous vivons. Banalement, un non médecin qui lit un ouvrage de médecine se trouve toujours quelques symptômes inquiétants. De la même façon une personne qui sort d’un livre de Michael Stora se trouvera sans doute des symptômes de dépendance. Et lorsque cette personne se trouve devant M. Stora, c’est tout aussi naturellement qu’elle se dira “dépendante”. Ce que tu notes, comme clinicien, c’est avant tout des effets de transfert que tu as contribué a installer.
Je note que tu maintient l’idée d’une addiction aux jeux vidéos. Cela permettra des discussions argumentées. Si le vrai problème est la difficulté des parents a fixer des limites, pourquoi utiliser le terme de dépendance ou d’addiction aux jeux vidéos ?
Tu vois, c’est là qu’est le problème : en un paragraphe, tu dis une chose (la dépendance) et son contraire (il n’y a pas de dépendance)
P. S. Sur la “cyberprédation”, il y a aussi pas mal d’idées toutes faites.
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Match nul de mon côté…
Un point pour Monsieur leroux dans la mesure où il esévidemment passionnant de débattre sur la place pubique et que les plus grandes avancées reposent justement dans les dissensus et non derrière les consensus. Vos échanges sont pour nous, les externes de la place pubique, passionnants à entendre, et il serait dommage que cela reste dans les arcanes de vos cabinets.
Néanmoins, un point pour Mr Stora dans la mesure où il intègre pour cette soirée avec grande justesse, la notion de “grand public” qui fait que je doute que beaucoup de personnes aient vraiment pu, eu les moyens de participer à ces échanges…..Beaucoup de mes étudiants se sont sentis intimidés par le tournant que prenait vos “mots” et ont démissionné, je n’ose imaginer ce que cela a pu donner côté enseignant.
Il eut fallu pour croiser les deux pespectives, préparer les choses différemment, organiser un débat, une confrontation de points de vue( du fond d’autant plus riche que croisé et discuté), ET pensée avec une accessibilité permanente pour les novices que nous sommes( une forme toujours attentive, respect ultime selon moi, du public).
En bref nous méritons un débat, nous méritons d’entendre autre chose que les thèses médiatisées à la va vite et au plus spectaculaire car nous sommes non seulement curieux et concernés mais également aptes, si tant est que l’on nous en donne les clés, à comprendre des enjeux et des controverses, capables de nous faire, à l’issue, notre petite idée/position car comme toujours quand les preuves “scientifiques ” ne sont pas là il nous reste nos propres morale et culture… CEPENDANT il est un art savoir nous y faire participer !!!
Je reste en tout cas sur ma faim pour ce qui est de la question toute simple qui me travaille : Qu’est-ce qui peut expliquer un tant soi peu côté psy-clinico-psychia cette attraction, attirance, passion, intérêt, attachement,séduction qu’ont TOUS les ado avec leurs écrans, que ceux-ci soient régulés ou pas par les adultes, “excessifs” ou pas dans leurs usages ? J’explore et entrevois les pistes mutations culturelles et communicationnelles (histoires de nouvelles générations,de nouveaux outils pour de nouvelles cultures), croisées à des mutations adolescentes (correspondance entre des outils participatifs, synergiques et favorisant l’expression, et des métamorphoses adolescentes-corps et identité). Façon de dire rien de neuf sous le soleil….Mais de votre côté, comment cernez-vous cette irresistible attirance de fait par tout ce qui ressemble à de l’image animée qui cause et ce dès le plus jeune âge.
Il faut faire la part de l’idéologie : tous les adolescents ne sont pas attirés par les écrans. J’en connais quelques uns qui ne jouent pas avec des jeux vidéos, et d’autres qui jouent simplement pour être en contact avec les copains. Le pouvoir d’attraction des images n’est donc pas le même pour tous, comme on pouvait d’ailleurs s’y attendre.
L’idéologie serait de penser qu’il y a d’un coté les “natives” et de l’autre les “migrants”. Nous sommes tous des émigrés dans les terres digitales : nous avons tous a nous approprier les outils. On ne nait pas digiborigene. On le devient.
Le débat avec Michael Stora aura sans doute lieu. Il l’appelle d’ailleurs de ses voeux. Dommage qu’il n’y ait pas pensé en venant à Talence.
Cela dit, je suis de ceux qui pensent que l’on peut compter sur l’intelligence du public et même de ce public que l’on dit “grand”. Voilà les termes du débat : l’addiction aux jeux vidéos, c’est un marché ou une réalité clinique ? Du point de vue de la réalité clinique, je n’ai jamais vu un consensus des spécialistes sur la question. Kimberley Young qui fait un lobbying constant auprès des psychiatres américains pour voir l’Internet Addiction Disorder reconnu s’est vue désavouée : pas d’IAD dans le Diagnostic Standard Manual avant 2012. L’étude sur laquelle Young se base est un simple sondage. On cherche encore les propriétés addictogénes des jeux vidéos. L’addiction sans drogue est une extension telle de la notion que l’on en vient a lire que les femmes battues sont dépendantes de la violence de leur conjoint. Dans le même livre, “Les nouvelles formes addictions”, on lit :
“Disons le clairement, nous n’avons pas connaissance de dépendance ou d’addiction aux jeux vidéos”
Et pourtant, les auteurs tentent de montrer le contraire sur les vingt pages qui suivent !
Je suis ennuyé que des étudiants aient étés “intimidés”. Le blog leur est ouvert : qu’ils n’hésitent pas a faire par de leur point de vue.
Sur les pistes de travail :
* Il y a entre le travail de l’adolescent et le travail du virtuel des points communs que Serge Tisseron a relevé dans un texte déjà ancien. Vous le trouverez dans le numéro que la revue adolescence a consacré au virtuel
*Il y a aussi le fait que pour beaucoup d’adultes, le travail de transmission est en panne. Les années 80 et 90 ont été rudes, et ceux que l’on appelle aujourd’hui la génération Y ont grandi à l’ombre de parents rudoyés par le malaise de la civilisation. La transmission s’est, sur le point des machines, inversé : les adultes ont attendu que les enfants les éclairent.
*Il y a le fait que les mondes numériques ont longtemps – disons 20 ans – constitué un moratoire pour les adolescents. Dans une société ou les enfants sont a la fois abandonnés et hypersurveillés, les mondes numériques ont été des lieux ou ils ont pu socialiser, jouer, être violent, retourner les signifiants clés de la culture etc.
* Ce qui colle quelqu’un a un jeu vidéo est très exactement ce qui va le coller a des livres, au cinéma, à la pratique d’un sport. Cela peut être une manoeuvre plus ou moins consciente pour éviter d’être au contact avec des pensées, des émotions ou les personnes qui les suscitent. Cela peut aussi être une manoeuvre pour essayer de penser ces émotions ou pensée en passant par un médiateur.
Yann et Michael, soyez heureux de rencontrer Agnès Pecolo, Maître de conférence à Bordeaux III en info-com (spécialisé jeunesse) si je me souviens bien. Son article dans le sociographe n°15 “génération-écran.com” était particulièrement éclairant.
Pour ce qui est du débat de spécialistes, je pense qu’il dépend également de paramètres afférents, tels que le cadre d’intervention, le rôle social, l’expérience clinique et théorique. Ne vous attendez donc pas à avoir un tel débat en place publique s’il n’y a pas d’intérêt purement et exclusivement intellectuel.
Lire les positions de chacun reste malheureusement le seul moyen, la réthorique prenant souvent le pas sur d’autres considérations.
Pour ce qui est de la fascination des enfants. Je souscrits aux positions de Yann. La dernière étant sans conteste la plus intéressante. Dans notre société les moments de contacts avec le réel sensible deviennent de plus en plus rare, la multiplication des images ou des médiateurs constituent une barrière-écran dont l’étanchéité ou l’hermétisme varient selon les sujets. Mais c’est considérer le réel sensible naturel comme premier et prioritaire qui reste à interroger.
Pour les enfants ces médiateurs essentiellement domestiques les entourent depuis leurs débuts. J’en viens à relier et proportionner les expériences quotidiennes et familiales de contacts réels et partagés avec l’enfant (diner discussion avec des gens en chair et en os, ballade en environnement réel plaisant) avec les usages infantiles. En d’autres termes, la médiation technologique n’est-elle pas devenue la forme de communication prioritaire par rapport à la forme naturelle, et ce faisant le réel sensible dans sa rugosité et son âpreté seraient délaissé au profit d’une réalité médié, virtuelle et audiovisuelle, illusoirement plus malléable et certainement plus protectrice. La différence ne réside donc pas dans la génération ou l’âge de la vie, mais plutôt dans l’environnement dans lequel a grandi le sujet. Et évidemment les enfants n’ont pas eu le même que leurs parents.
Une étude comparant les temps quotidiens de médiation (cinéma, film, téléphone, ordinateur, radio, etc.) vécus et observés chez leur parents par les enfants puis comparés permettrait de mettre cela en évidence.
Réfléchir enfin sur les conséquences d’une telle adaptation/ apprivoisement inégaux à ces différents régimes de réalité permettraient de penser les forces et faiblesses, intérêts et désintérêts, des hommes de demain.
Myasaki (célèbre mangaka)s’horrifiait que les jeunes nippons ne sachent plus faire un feu de camp. Ce à quoi on peut lui peut répondre: à quoi ça sert désormais d’autant plus si on ne va plus en forêt ?
Je n’adhère pour ma part absolument pas à la thèse que l’on pourrait shématiser par “on ne communique plus” (sous-entendu bien sûr sur le mode “traditionnel”, je te touche et regarde , tu me touches et regardes), à l’idée que le virtuel a dévoré le réel.
Si le virtuel est au cœur de leur univers, les rencontres physiques « pour de vrai » sont toujours le but ultime (comme l’a dit je crois mais je n’en suis pas certaine, Serge Tisseron, quand il est amoureux, l’ado se déconnecte….)et les corps en suspens se réincarnent alors avec tous les soucis de l’apparence d’ailleurs. Dans une culture du contact, ils sont avides de conversations même superficielles, de relations sociales même virtuelles mais restent selon moi ancrés dans un face à face en chair et en os.
Les bars sont toujours pleins et les soirées existent encore….
Derrière cette approche de la perte du contact social réel, je repère en général trois aspects qui me semblent peu recevables :
– La glorification déplacée d’un passé fantasmé que je symbolise par l’orange sous le sapin de Noel (pour critiquer la soc de conso d’auj qui vomit littéralement des montagnes de cadeaux), la lecture de contes devant la cheminée d’antan (pour critiquer la TV avant ,après et pendant la table)…..
-La généralisation à tous, des excès de quelques uns. Si les médias adorent dresser le portrait de jeunes japonais totalement “out” du réel, je sais qu’il s’agit d’abord d’une traduction d’une angoisse sociale (la virtualisation) que l’on peut entendre, mais certainement pas une réalité sociale. Après les coach potatoes de l’ère télévisuelle et les autistes de l’ére Nintendo, voici venue celle des êtres virtualisés en totale rupture avec le “vrai” monde qui devient effrayant (cf le film Denise au Téléphone qui était très éclairant) dont le rôle est d’abord d’affoler les foules pour produire des garde-fous.
-Le déterminisme technologique qui laisse penser que la disponibilité des outils induit ,en ligne droite, des fréquentations tout azimut alors que les usages permettent justement de constater ce que Monsieur Gaon nomme les “proportions” variables selon chaque famille et individu. Les médias sont d’abord des potentialités, ils seront ensuite socialement et culturellement situés. S’ils sont des médiateurs ils sont eux aussi sujets à médiation, médiation humaine (la Tv n’est pas venue toute seule du haut de sa détermination s’installer à table…..).
Ceci étant je suis d’accord que tous les médias sont des médiateurs (le livre est clairement un support de virtualisation également susceptible de représenter une “fuite” de la réalité et s’il n’est pas “attaqué” au même titre que les écrans c’est bien qu’il y va d’une question de légitimité culturelle , les parents rencontrés ne reprochent que rarement à leur enfant d’être enfermé des heures pour lire vautré dans un fauteuil….) et que par là, la multiplication de ces médiateurs, multiplie la possibilité de contact avec l’irréalité ou plus exactement avec les réalités virtuelles.Reste à savoir quels rôle et place on compte leur donner.
LES ADULTES sont clairement à interroger quand ils acceptent la transformation des chambres d’ado en annexe audiovisuelle ET critiquent le temps passé aux écrans. Il me semble évident et c’est le clin d’oeil qu’ont voulu faire passer les étudiants, en intro de la conf, aux adultes de tous poils, en leur montrant des photos de chambres avec et sans….que l’on récolte ce que l’on a semé.
Les offres culturelles “autres” que celles écraniques, supposent que l’on joue avec eux plutôt que de s’occuper de ses petites affaires (gonflant), que l’on ait les moyens et les codes pour les emmener au musée ou les inscrire à l’école de musique, que l’on ait le courage de se faire une balade avec eux ou de les emmener au concert après une journée harassante, que l’on ait les nerfs suffisament accrochés pour s’atteler aux immondes devoirs/ enjeu/ bataille/. C’est si simple l’écran….et c’est si simple de ne pas batailler.
Je suis totalement d’accord avec l’intérêt des croisements comparatifs environnements d’hier et d’aujourd’hui si tant est que l’on croise en même temps les profils d’adultes d’hier et d’aujourd’hui….et de fait les statuts d’enfant d’hier et d’aujourd’hui. Vaste programme. Mais les perspectives générationnelles sont justement riches à ce moment où l’on analyse ensembles les effets d’époque, d’âge et de génération.
Je crois que l’environnement technologique qui s’épaissit en lieu et place des environnements naturels renvoie pour finir aux statut et place que l’on confère aux ados dans les espaces urbains et ruraux (au delà de l’abri bus, quels sont les lieux dans la ville pour eux où ils peuvent expérimenter une sociabilité en “vrai” ?). Comme par hasard,c’est dans l’espace virtuel cette fois-ci , qu’ils peuvent en revanche aujourd’hui rêver, échanger,créer leur monde et leur vie, fabriquer en toute virtualité leurs espaces d’intervention, leurs cabanes virtuelles et leur feux de tous bois.
PS : S’ils ne savent plus faire un feu de camp c’est aussi parce que c’est devenu “dangereux”……et là aussi les parents finissent souvent par avouer qu’au moins, pendant qu’ils sont derrière leurs écrans, ils sont à la maison, sous-entendu, on sait où ils sont.
Et bien, j’apprécie particulièrement vos points de vue, notamment sur l’ambivalence parentale qui pointent une atomisation individualiste poussant à retrouver régulièrement une cohabitation familiale dans le foyer (cf. Pasquier) et la disparition des espaces sécures naturels.
On ne sait plus ce qui fait une famille parfois, notamment dans le rejet continuel (sous la poussée de l’idéologie dominante d’autonomisation) de la dépendance, de l’interdépendance, des membres du groupe familial et des groupes sociaux.
Ceci est à relier avec les modifications de l’individu dans la société capitaliste et industrielle moderne telles que Lasch et Ehrenberg en parlent notamment.
En ceci pour moi, le virtuel et les médiations en général peuvent servir à remplir. Remplir le vide laissé par l’autre, son absence, et donc dénier ou annuler la dépendance à l’autre (en écho à la néoténie structurelle de l’Homme). Dans le même temps en tant qu’adulte, dénier soi-même ou accepter l’évitement de la dépendance parent-enfant permet d’esquiver la responsabilité parentale envers sa progéniture et la culpabilité afférente, notamment de les avoir mis dans un monde instable et illisible (Arendt) et d’autre part liée à la dépossession des devoirs et rôles parentaux par les offres des services sociaux/industriels/sanitaires et les experts de la culture de masse (cf. Lasch).
Ce que retrouve donc – dans les jeux massivement multijoueurs- les joueurs, c’est autant une toute-puissance liée à leur désir d’autonomie qu’une interdépendance (le groupe de héros) où chacun à une place/un rôle et qui soude le groupe et fait lien. Peut-être pourrait-on aller du côté du pharmakon avec le remède/poison mais c’est bien cette question selon moi que travaille les ados joueurs de jeux en ligne.
La prévalence des univers fantastiques et médiévaux renvoie tant à la toute-puissance de la magie qu’à un rejet du monde pollué tant chimiquement et sensoriellement que médiatiquement. Ce monde pur et naturel d’Azeroth et Norrath forment un paradis perdu de synthèse.
Effectivement ils remplissent, tout comme la consommation “cicatrice” (comme la nomme B.Heilbrun) palie quelque part la perte des repères et l’effritement des liens intergénérationnels. Effectivement également l’idélogie des droits de l’enfant a permis aussi aux adultes de se décharger de leurs responsabilités pour la faire porter à de bien trop petites épaules. Les pairs remplaçant les pères, coeur de mes réflexions actuelles, éclairent décidemment beaucoup de choses….
Vous parlez de la prévalence des univers fantastiques et médiévaux, vous parlez donc de garçons….Non ? Et les filles ? Comment situez-vous le rapport de genre dans vos approches des jeux vidéo ?
Bonjour,
Pour me situer, je suis l’étudiant en informatique et “sociologue du dimanche” qui est intervenu lors de la conférence de M. Stora, que je remercie encore d’avoir bien voulu donner, même si j’ai exprimé quelques avis contraires aux votres lors du débat.
Je ne peux que m’exprimer en faveur d’un débat plus poussé sur le sujet, qui m’interesse particuluèrement.
Cordialement,
Clément Charpentier.
Et bien! Je suis persuadée que ce site n’a jamais été aussi “vivant”…
Pour ma part, ayant également assisté à la conférence, il est clair que j’ai été quelque peu déçue par son contenu. Je ne sais plus qui le disait mais il est vrai que nous avons eu droit à un discours plus que centré sur les jeux vidéos et avec tout le vocabulaire “inaccessible” associé.
J’ai été d’autant plus déçue que finalement, tout le monde savait (ou en tout cas cela se voyait)que l’auditoire était majoritairement composé de parents, d’étudiants et de professeurs…(et heureusement de quelques joueurs) qui n’y connaissaient rien et qui auraient, je pense, préféré avoir des pistes de réflexions sur l’usage des médias “courants” (TV, Internet etc.)fait par leurs enfants plutôt qu’un discours “jeux vidéo” qui ne touche qu’une minorité des adolescents.
Au delà du contenu, le fait qu’il n’y ait pas eu d’échange, de question à la suite du monologue de monsieur Stora, est révélateur selon moi de l’inaccessibilité du sujet…
Enfin pour finir, je tiens à noter que j’ai été admirative du calme olympien dont a fait preuve “la dame/demoiselle Powerpoint” face à l’impatience et à la non amabilité de monsieur Stora…
La passion n’est pas une pathologie… Ne pas t’oublier en est ce une ?