Sur l’invitation de la Société Française de Santé de l’Adolescent, j’ai eu le plaisir d’être invité avec Thomas Gaon et Xanthie Vlachopoulou à sa 11ième journée nationale. Le thème portait sur “Virtualité et vitalité adolescente” Nous avons gentiment été présenté par Frédéric Terrier qui animait la table ronde comme cyberpsychologie clinique. Le terme est plaisant, et il fait image. Il reste maintenant a travailler suffisamment pour lui donner un contenu.
L’utilisation des matières numériques parmi les soignants n’est pas banale, mais elle se démocratise. Avec cette démocratisation, viennent des question que l’on risque de croiser de plus en plus souvent : comment partager sa vie en ligne avec ses patients ? Faut-il deux comptes Facebook ou peut ont se fier aux listes ? Quel usage peut on faire du mail ? Que faire des mails des patients ? Somme toute, ce sont des questions que les digiborigènes ont rencontré depuis déjà quelques temps. Mais elles prennent des accents nouveaux pour les éducateurs et les soignants.
La question importante est celle-ci : comment pouvons nous disposer des matières numériques pour permettre un travail éducatif ou thérapeutique ? Faut il utiliser des dispositifs ad-hoc comme le propose la filière des jeux sérieux, ou peut on utiliser les matières numériques telles qu’elles se présentent banalement à nous.
Je ne peux avoir un avis que sur les psychothérapies. Il faut partir d’une évidence que les merveilles numériques font oublier à quelques uns. Ce qui est psychothérapeutique, c’est le travail du psychothérapeute. Dans la question qui nous occupe ici, ce n’est pas le jeu vidéo qui est psychothérapeutique, c’est le maniement qu’en fera le psychothérapeute dans la rencontre avec le patient.
Traces de regards
Nous avons pu en donner quelques exemples au cours des ateliers que nous avons animé. Xanthie Vlachopoulou a l’expérience d’un Atelier internet organisé de la façon suivante : un groupe d’adolescents se réunit avec la psychologue une fois par semaine pour une séance de psychothérapie de groupe puis accède à une salle informatique Les ordinateurs font face au mur et la psychologue va et vient dans le dos des participants. La tache de ce groupe est de trouver du matériel en lien avec les préoccupations professionnelles de chacun. Il s’agit en effet de grands adolescents dont la prise en charge dans l’institution se termine et pour lesquels se pose la question de l’après.
Xanthie Vlachopoulou a raconté un moment classique des groupes : les adolescents se réunissent sans elle, et ne rejoignent l’institution qu’au moment de l’atelier Internet. Il est assez banal que les groupes tentent de faire groupe sans le psychothérapeute ou le psychologue. Plusieurs interprétations sont possibles, mais le mouvement qui me semble important est la demande du groupe de travailler avec et par le numérique. Il me semble qu’il serait intéressant de travailler directement avec les ordinateurs, sans faire précéder ce moment d’un temps d’un groupe psychothérapeutique. Ce qui est en effet rapporté du temps de butinage sur le web peut faire l’objet d’un travail qui, bien soutenu, ne pourra qu’être bénéfique pour les participants. Lorsque Xanthie Vlachopoulo rapporte que le groupe a recherché sur Internet les traces laissées par leur institution de soin et qu’ils ont été surpris de la voir mentionnée sur Les copains d’avant, on entrevoit toutes les possibilités de travail : quel regard les autres portent sur moi, adolescent dans une institution ? Comment cette institution est elle vue ? Quelles traces est ce que je laisse ? Qui me précède et qui va me suivre. On croise ici deux séries de questions : la première porte sur l’identité, et la seconde sur le générationnel. Ce sont deux questions majeures pour tout être humain.
Jouer c’est prendre soin
Thomas Gaon travaille en troisième personne avec les matières numérique. Je veux dire qu’il n’en a pas, dans sa pratique clinique, un contact direct. Mais il entre avec elles en contact avec les patients. Il a donné quelques exemples frappants de la façon dont les choix de jeux d’un patient peuvent être en résonnance profonde avec des problématiques préconscientes et inconscientes. Ce qu’il cherche c’est la façon dont une personne peut investir ce qu’il appelle le “virtuel malléable”. L’expression dérive de la notion de “médium malléable” de Réné Roussillon et décrit un objet qui soit à la fois informe, indestructible, malléable, transformable indéfiniment, d’une sensibilité extrême, prévisible, disponible inconditionnellement, d’une identité paradoxale, et auto-animé. L’objet qui s’en rapproche le plus est la pâte à modeler, et maintenant la pâte numérique. Avec un jeu vidéo, nous sommes bien en présence de quelque chose qui a plusieurs de ces caractéristiques
Thomas Gaon a faire remarquer que jouer avec un jeu vidéo c’est “prendre soi de…” En utilisant ce vertex, des compréhensions et des possibilités d’utilisation du jeu vidéo dans un cadre psychothérapeutique s’ouvrent. Le psychothérapeute sera alors sensible à la façon dont le joueur prend soin de la projection en jeu, ou de la façon dont il l’expose, et il aidera le patient à lier “symbolique, réel et virtuel”
Je ne dirais pas les choses ainsi car pour moi le virtuel n’est pas autre chose que du réel mais la formule de Thomas Gaon est juste en ce sens qu’elle met l’accent sur la nécessité d’amener le patient a lier différents aspects de sa vie psychique par et avec le jeu vidéo. Le risque, en effet, est que le jeu vidéo serve de lieu de dépôts d’éléments clivés de la vie psychique du patient. Par exemple, l’agressivité ou la dépression seront confiné dans l’espace de jeu, et jamais ressenti ni vécu. Or, le but d’une psychothérapie est d’élargir les capacités psychiques u patient, que ces capacités concernent sa vie affective ou ses fonctions cognitives
Je ne sais pas si l’expression de cyberpsychologie clinique restera, mais en tous cas nous avons à construire des appareils de travail à la fois pour rendre possible les psychothérapies avec les objets et les espaces numériques, et également pour nous rendre pensables les pratiques que nous y avons. Il nous faut un appareil à penser les pensées.
Cela passe par des journées telles que celle d’hier, des échanges avec des personnes rencontrant des questions et des problèmes similaires et souhaitant travailler les difficultés techniques, théoriques et éthiques que cela pose. Le groupe Médiations numériques sur Yahoo!Groupes a été ouvert pour cela, Des textes comme Le jeu vidéo comme support d’une relation thérapeutique , ou le numéro que la revue Adolescence a consacré au virtuel peuvent aussi être utiles à la discussion
Médiations vs médiateur
De mon point de vue, il y a deux façons de travailler avec les manières numériques. La première est de les utiliser comme médiation. C’est ce que fait Thomas Gaon lorsqu’il explore avec un patient comment il joue. Il est alors plus attentif aux zones malléables du médium : le nom que l’on se donne, le camps, la race, l’apparence … bref tout ce qui peut faire l’objet d’un choix et de modifications.
La seconde est de les utiliser comme médiateur. C’est ce fait Xanthie Vlachopoulo avec son Atelier Internet. Pour ma part, j’utilise les deux façons de travaille. J’utilise Ico dans le cadre de psychothérapie individuelles et de groupe. Et je ne manque pas de m’intéresser aux dépôts, projections et introjections qui sont sollicités par les matières numériques dans le cadre du groupe jeu vidéo mais également dans le cadre de psychothérapies classiques.
Jouer avec un jeu vidéo est une opération complexe. Comme tout jeu, il s’agit d’une activité permettant une meilleur intégration de la personnalité et la création ou le renforcement de contacts sociaux. Mais c’est aussi une activité particulière car elle est médiatisée car les matières numériques sont encore intangibles. Jouer avec un jeu vidéo consiste à mêler au moins trois ingrédients : le fil narratif du jeu, les images et le son, le monde interne du joueur. Dans sa forme la plus aboutie, le joueur parvient à créer des ludopaysage, c’est à dire des moments de jeu qui représentent un élément personnel (fantasme, souvenir, ) Il s’agit d’une zone intermédiaire qui n’est plus tout à fait celle du jeu vidéo mais qui n’est pas non plus tout à fait une zone appartenant au joueur. Le travail psychique effectué peut être décrit en termes de symbolisation (symbolisation sensori-motrice, imagée et émotionnelle et en parole), de niveau de fonctionnement (mise en forme de ce qui est perçu, mise en sens et conflictualisation).
Enfin, la journée m’a permis de découvrir Prezi. J’ai fait ma première présentation avec ce logiciel. Je la modifierai en fonction de vos commentaires afin qu’elle soit la plus claire et la plus lisible possible.