Depuis quelques jours, les médias rapportent que l’OMS intégrera dans sa prochaine Classification des Maladie Mentales (CIM) un trouble relatif aux jeux vidéo. La CIM a pour vocation de rendre compte des données de mortalité et de morbidité, de coder les informations sanitaires utilisées pour les statistiques, épidémiologie, l’organisation des soins, la recherche, la prévention. Avec le Diagnostic Standard Manual de l’APA, c’est une des grandes classifications utilisées par les professionnels de la maladie mentale, de l’aide, de la relation et du soin.

L’inclusion d’une nouvelle pathologie est donc une décision importante qui devrait reposer sur des preuves suffisantes. Malheureusement, l’OMS s’engage sur un autre chemin en affirmant que la CIM-11 comportera un “trouble du jeu vidéo” alors même qu’aucune donnée épidémiologique ne documente ce trouble. En effet, contrairement a ce que le porte parole de l’OMS a pu déclarer, il n’y a pas d’accord des spécialiste de la santé sur cette question

A ce jour, l’idée d’une addiction aux jeux vidéo tient plus du troll que des faits.Il ne s’agit pas d’une formule de rhétorique. On doit au Docteur Yvan GOLBERG, psychiatre à Manhattan d’avoir en 1995  créé le Trouble de l’Addiction à l’Internet pour faire rire les membres de son forum PsyCom avec comme symptômes “l’abandon d’activités sociales ou professionnelles importantes au profit de l’Internet”, “des rêveries ou fantasmes à propos de l’Internet” ou des “mouvements involontaires de dactylographie”. Ce qui était au départ une plaisanterie sa communauté va acquérir  grâce à deux psychologues, Marc GRIFFITHS et Kimberley YOUNG.

En effet Mark GRIFFITHS définit une “addiction technologique” dans laquelle les interactions entre une personne et une machine sont caractérisées par la salience, l’euphorie, la tolérance, des symptômes de manque, des conflits du fait de l’addiction et des rechutes. Ces addictions technologiques peuvent être passive (télévision) ou actives (jeu vidéo) et sont particulièrement bien représentées par les machines à sous.

La comparaison des machines à sous et des jeux vidéo est une vieille idée de GRIFFITH. En 1991, il s’inquiétait du fait que ces machines  pourraient faire le lit de futures addiction aux jeux d’argent (Griffiths, 1991) . Mais le psychologue anglais travaille tout aussi inlassablement à défaire les rapprochement qu’il fait par ailleurs.  Par exemple, dans une revue de la littérature sur le sujet, il conclut que l’addiction à l’Internet existe mais qu’elle concerne qu’un nombre limité de personnes (GRIFFITHS, 2006). Six ans plus tard, il trouve l’expression obsolète et appelle à la construction d’un nouvel instrument de mesure (GRIFFITHS, 2012). La contradiction est parfois présente dans le même article. Alors qu’il construit les critères de l’addiction aux jeux vidéo, GRIFFITHS affirme qu’il n’a jamais rencontré une personne qui satisfasse à tous ses critères (GRIFFITHS, 2012) pour conclure “la dépendance aux jeux vidéo n’existe pratiquement pas dans la réalité”

Une psychologue américaine,  Kimberley YOUNG (1995) utilise exactement le même terme que Yvan GOLDBERG dans son article “Internet addiction Disorder : the emergence of a new disorder”  (1998) mais il ne s’agit pas cette fois ci d’une plaisanterie. Elle y décrit des personnes qui présentent une addiction aux forums, aux listes de diffusion ou aux chat rooms.  Cette addiction disparaît lorsque les troubles dépressifs ou anxieux qui lui sont associés sont traités. Curieusement, Kimberley YOUNG propose traiter cette nouvelle pathologie par la thérapie en ligne.

Il est possible de penser que la plaisanterie d’Yvan GOLDBERG n’empêche pas le fait que des personnes puisse développer des addictions. Après tout, il est possible que sans le faire exprès, il ait mis le doigt sur quelque chose d’important. Mais d’un autre côté, les recherches menées sur l’addiction aux jeux vidéo depuis 22 ans sont peu concluantes : pas de définition claire du trouble, pas d’instrument de mesure valide, pas de consensu sa fréquence, et une méconnaissance de sa dynamique

Comment expliquer alors qu’un organisme aussi important que l’OMS soit sensible à cette idée ? Je pense que l’addiction aux jeux vidéo est une bon exemple de la mauvaise science et de l’influence des trolls dans le domaine de la recherche. Le fait de publier des recherches sur les jeux vidéo finit par faire percoler dans l’espace public l’idée qu’il y a peut-être un problème, puisqu’il y a un problème puis enfin qu’il faut faire quelque chose même si la qualité des recherches est faible.

PHILLIPS donne trois caractéristique aux trolls : ils fonctionnent comme des fétiches, ils sont générateur et ils sont magnétiques. Le rapprochement des troll et du fétichisme s’appuie sur l’interprétation marxiste du fétichisme qui en fait un processus par lequel des objets sont rendus magiques par le capitalisme de sorte que les relations sociales qui créent et maintiennent les disparité économiques sont rendues invisibles. Le consommateur ne voit que l’objet transi que la manière dont il est produit sont mises en retrait. De la même manière, le lulz rend invisibles les conditions particulières d’une histoire pour se centrer et exploiter un détail afin de le tourner en ridicule

Le lulz est générateur en ce sens qu’il produit lui-même d’autres occasions de trolls.. Lorsqu’un contenu est pris comme matière à lulz , il s’appuie sur des lulz précédents. Le lulz contribue a établir les limites de la communauté en faisant la différence entre les insiders qui comprennent le trait d’esprit et les autres. Répété à l’infini pour tout et n’importe quoi, le lulz est magnétique. Le lulz attire l’attention de de tous tandis qu’à l’intérieur de la communauté, le lulz unit les membres entre eux. Le lul

Avec l’addiction aux jeux vidéo, les cliniciens se focalisent sur un détail (l’addiction aux jeux vidéo) et oublient l’ensemble. Il font comme si le jeu vidéo avait une puissance qui, dans certaines conditions, produit des effets fastes ou néfastes sur les personnes. Les uns diront que “les jeux vidéo soignent”, les autres que “les jeux vidéo rendent dépendant”, et tous s’accordent sagement pour dire que “en toute chose il faut de la modération”. Bien sur, ils oublient de donner les mécanismes par lesquels ces effets positifs ou négatifs se produisent. Ils ne prennent pas en compte la dynamique particulière de la personne, le fonctionnement familial dans lequel il est plongé ou encore l’état de la culture. Le détail “jeu vidéo” résume à lui seul un ensemble de facteurs entrecroisés en maintenant la fiction imaginaire que le jeu vidéo a une puissance telle qu’elle peut transformer n’importe qui en esclave. Or l’écologie dans laquelle le comportement de jeu est réalisé est décisive. Jouer pour ne pas s’apercevoir que la famille est en train de tomber en morceaux ce n’est pas la même chose que jouer pour pouvoir agresser et harceler les autres joueurs. Candy Crush Saga et PUBG sont tous les deux des jeux vidéo, mais ils conduisent à des expériences tout à fait différentes.

L’addiction aux jeux vidéo s’appuie sur la longue histoire de l’imaginaire de l’addiction. Les joueurs de jeu vidéo ont été décrits comme les fumeurs d’opium dans la Chine du 19e siècle. Ils sont les captifs d’un monde qui leur offre tous les plaisirs et qui leur permettrait d’échapper aux plaisir du monde réel. C’est bien évidemment une fiction comme peut en témoigner toute personne qui a eu un mauvais ping dans Overwatch, de mauvais partenaires dans Call of Duty ou qui ont du attendre un tank dans World of Warcraft. Les jeux vidéo ne sont pas différents des autres espaces sociaux. On peut y vivre (rarement) de grandes joies, mais on y trouve plus banalement de petits plaisirs et des désagréments.

dans lesquels les joueurs expérimentent rarement de grandes joies, parfois de petits plaisirs

“L’addiction vous dis-je” est le slogan qui est répété dans les média pour attirer l’attention du plus grand nombre. Il permet de d’identifier facilement ceux qui appartiennent au groupe des “pro-addiction” et de les opposer à tous les autres. Bien évidemment, les membres du groupe “pro-addiction” portent fièrement les blasons du défenseur de l’enfance, ce qui laisse entendre que les autres contribuent activement ou passivement à produire ou maintenir des troubles du développement chez les enfants.

Si l’idée d’une addiction aux jeux vidéo se maintient contre toutes les évidences, c’est probablement parce qu’elle s’appuie sur les même mécanismes que le lulz. Elle prend la partie pour le tout, s’appuie sur des traditions imaginaires plus anciennes et permet rassembler des communautés

SOURCES


Griffiths, M. D. (1991). Amusement machine playing in childhood and adolescence: A comparative analysis of video games and fruit machines. Journal of adolescence, 14(1), 53.

GRIFFITHS, Mark D. Pinball wizard: the case of a pinball machine addict. Psychological Reports, 1992, vol. 71, no 1, p. 160-162.

GRIFFITHS, Mark. Technological addictions. In : Clinical Psychology Forum. DIVISION OF CLINICAL PSYCHOLOGY OF THE BRITISH PSYCHOL SOC, 1995. p. 14-14.

Griffiths, Mark D. “Addiction sans drogue, quand le cerveau a le goût du jeu.” Adolescence 1 (2012): 51-55.

Widyanto, Laura, and Mark Griffiths. “‘Internet addiction’: a critical review.” International Journal of Mental Health and Addiction 4.1 (2006): 31-51.

Griffiths, Mark D. “Facebook Addiction: Concerns, Criticism, and Recommendations—a Response To Andreassen and Colleagues 1.” Psychological Reports 110.2 (2012): 518-520.

Griffiths, Mark D, and Nigel Hunt. “Dependence on computer games by adolescents.” Psychological reports 82.2 (1998): 475-480.

Griffiths, Mark D. “Amusement machine playing in childhood and adolescence: A comparative analysis of video games and fruit machines.” Journal of adolescence 14.1 (1991): 53-73.

Griffiths, Mark D. “Pinball wizard: the case of a pinball machine addict.” Psychological reports 71.1 (1992): 160-162.