Sebastien Genvo distribue un Appel à Communication pour le colloque “Le jeu vidéo, au croisement du social, de l’art et de la culture“ programmé pour les 10, 11 et 12 juin 2009. On ne peut qu’ être d’accord avec le constat préliminaire de l’appel : la communauté des chercheurs francophones en sciences humaines et sociales a pris du retard dans l’appropriation de cet objet – on pourrait même étendre le constat pour tout ce qui touche l’internet en général ! Contrairement à leur homologues anglophones, les chercheurs francophones en ce domaine sont peu structurés. Un des objectifs du prochain colloque de Limoges est donc constituer une communauté de recherche.
Je pense proposer un papier sur le groupe thérapeutique qui utilise le jeu vidéo Ico que je conduis actuellement.
D’une part, parce que ce sera l’occasion de faire le point sur cette expérience après une année de fonctionnement. D’autre part, parce qu’il est toujours intéressant d’avoir les commentaires et analyses d’autres personnes. Comme je commence à en avoir l’habitude, le public serait pour une part ignorant de ma pratique. Généralement, lorsque je parle à des collègues psychothérapeutes des jeux vidéos en général et de cette expérience en particulier, il faut au préalable leur expliquer ce qu’est un jeu vidéo. A Limoges, il faudra sans doute expliquer ce qu’est une psychothérapie psychanalytique et ce qu’est une psychothérapie psychanalytique de groupe.
C’est d’ailleurs un des intérêts de ce dispositif complexe qui même une médiation (le jeu vidéo) et un groupe. Il permet d’explorer la vie imaginaire qui est sous-jacente à l’activité vidéo-ludique et de mieux comprendre à quelles angoisses ou fantasmes sont reliées telle ou telle phase de jeu. Cela fait déjà quelques années que des psychothérapeutes ont rencontré les jeux vidéos. En France, les expériences princeps ont été conduites par François Lespinasse, José Perez, et Michael Stora dans des contextes tout à fait différent.
Le jeu vidéo entre intelligence sensori-motrice, activité de représentation et conte.
François Lespinasse et José Perez travaillaient dans un hopital de jour. Ils ont proposé a des enfants présentant des pathologies autistiques de jouer avec Super Mario 2 et Super Mario 3 sur une SNES après avoir constaté que les enfants les plus en difficultés utilisaient les jeux vidéos pour communiquer avec d’autres enfants. Dans le compte rendu qu’ils donnent de cette expérience, François Lespinasse et José Perez font référence à Jean Piaget, psychologue connu pour ses travaux sur le développement de l’intelligence de l’enfant. Leur idée est que l’usage des jeux vidéos privilégient l’intelligence sensori-motrice, c’est à dire une intelligence de la perception et de la situation lors de leur utilisation, et qu’ils seraient des support d’une activité de représentation lorsque l’on en parle à un autre. François Lespinasse et José Perez utilisent également le tableau des 31 fonctions élaborées par Propp pour le conte comme second axe d’analyse. Comme dans le conte, la narration mise en place par les jeux vidéos suit une succession d’étapes : l’ordre du monde a été troublé, et un héros – le personnage du jeu vidéo et le joueur – est désigné pour résoudre le problème posé. Il ressortira transformé par ses aventures, accumulant, grâce à sa force ou sa malice, de nouveaux pouvoirs et de nouveaux objets. Une épreuve finale, plus difficile que toutes les autres, le mettra en contact avec la source du mal qu’il devra également vaincre.
Le jeu vidéo comme porte d’accès au monde interne
On voit dans cette narration assez clairement la trame oedipienne. C’est elle que va exploiter Michael Stora. Michael Stora travaillait à la CMP de Pantin lorsqu’il a l’idée de proposer à des enfants de jouer à des jeux vidéos. Plusieurs jeux ont été utilisés : Ico, les Sims Vivre sa vie et Halo de 2002 à 2005. Les enfants étaient reçus pendant une demi heure en psychothérapie de groupe et jouaient chacun 15 minutes à tour de rôle. Le groupe comportant 4 enfants, la séquence de jeux vidéos durait une heure. C’est la métapsychologie freudienne que Michael Stora fait référence : ce qui se passe à l’écran, ce que l’enfant met en scène est compris en référence au monde inconscient de l’enfant : sauter répétitivement dans le vide est compris comme signalant du désespoir, la désorganisation du jeu comme signe d’émergence de l’angoisse, le chateau d’Ico ou la maison des Sims sont des représentations du corps maternel.
Le jeu vidéo comme objet de relation
Il est une troisième utilisation possible des jeux vidéos dans un cadre psychothérapeutique. C’est celle qui consiste a en faire des objets de relation.
Sylvain Missonnier n’a pas eu directement affaire avec les jeux vidéos, mais l’apparition de dancing babies dans sa boite mail en marge de la psychothérapie d’une jeune femme et le l’usage transférentiel qu’il a su en faire correspond tout à fait à ce type d’ utilisation. Plus près de nous, Anne Brun, dans Images fictives violentes et thérapies d’enfants : obstacle ou support pour la symbolisation en a donné plusieurs exemples
Par “objet de relation”, Guy Gimenez entend un objet qui est utilisé simultanément par les deux protagonistes de la psychothérapie mais pas de la même façon. L’objet de relation est pour Guy Gimenez très concret mais il laisse entendre qu’il peut aussi être subtil. Sa forme achevée est alors le langage qui ouvre des espaces de partage, d’échange et mais aussi d’incompréhension. Ces derniers sont autant de portes ouvertes sur l’altérité en évitant les collages trop longtemps maintenus. L’objet de relation est biface a plusieurs égards. Il est co-construit et co-trouvé dans le cadre thérapeutique : cela peut être un bijoux du thérapeute ou un poéme amené par le patient et que le thérapeute connaît par ailleurs. Il est un « entre-deux appareils psychiques » appartenant à l’un et à l’autre, mais pas de la même manière. Il articule, sépare, transforme ou illusionne et peut se gâter en un objet contra-dépressif, en fétiche ou en objet autistique. Ce sont ces destins qui sont derrière ce que certains appellent malencontreusement “l’addiction aux jeux vidéos”. En effet, les jeux vidéos peuvent sont utilisés comme anti-dépresseurs : il y a toujours un autre avec qui jouer; ils sont utilisés comme fétiches lorsqu’ils aident à ne pas penser l’absence et la séparation; enfin, ils sont utilisés comme objets autistiques lorsque la recherche de sensations est sur-investie.
L’utilisation des jeux vidéos dans un cadre psychanalytique.
Le cadre psychothérapeutique que j’expérimente est assez différent de ces trois pratiques. Il s’inspire et s’approche de celui construit par Anne Brun qui a produit un magnifique travail sur les groupes et les médiations. Il s’en distingue parce qu’il aborde une médiation nouvelle : toute la sensorialité du jeu vidéo, et des espaces numériques en général, et donc des mécanismes de pensée qui s’y rattachent est encore à comprendre. Par exemple, dans le cadre d’une psychothérapie, les enfants peuvent associer le mouillé avec des qualités : le sale, le froid ou des liquides corporels : l’urine, la morve ou encore à des fantasmes : d’inondation, d’engloutissement. Toutes les qualités des objets, qu’elles soient tactiles, visuelles, olfactives, peuvent être mises à contribution par l’enfant pour entrer en relation avec le thérapeute, avec lui même ou encore pour se soustraire à la relation. C’est cette sensorialité qui est encore mal comprise en ce qui concerne les jeux vidéos.
C’est pourtant elle qui est au coeur du plaisir ou du déplaisir à jouer, c’est-à-dire du plaisir ou du déplaisir à penser et ne pas penser qui accompagne cette activité. Le théatre oedipien, ou les jeux d’images narcisssiques et idéalisants que voit souvent Michael Stora dans les jeux vidéos ne me convainquent pas. Tout l’intérêt de l’utilisation des jeux vidéos dans un cadre psychothérapeutique psychanalytique réside dans le fait qu’ils proposent des voies d’accès à des niveaux de fonctionnement psychique qui sont bien plus archaïques que les fantasmes oedipiens. Les jeux vidéos, c’est là ma thèse, sont une voie d’accès aux premiers niveaux de symbolisation : signifiants formels (D. Anzieu), schèmes d’enveloppe et de transformation (S. Tisseron), sensations et émotions y trouvent une re-présentation. C’est quelque chose que j’ai commencé à développer dans Vers une métapsychologie du jeu vidéo
http://strongus.labrute.fr
regardez ça c’est marrant.