Je me suis souvent demandé sur quoi l’OMS avait fondé la création du Gaming Disorder. L’ONG avait (faiblement) communiqué sur la nécessité et l’intérêt d’un tel trouble, mais rien n’avait jamais filtré sur le processus qui avait amené a une telle décision. Qui étaient les experts ? Comment avaient-ils été choisis ? Comment avaient-ils pris leur décision ? Ces questions simples ne trouvaient pas de réponse.
Elles sont pourtant importantes parce que la qualité de la décision finale dépend bien évidemment des experts, mais aussi du processus qui les a conduit à créer le Gaming Disorder. Aussi ai-je été très heureux lorsque j’ai pu avoir une copie du matériel donné par l’OMS à un groupe d’experts pour discuter des changements de la CIM-11
Au mois d’avril 2020, l’OMS a organisé un “focus group” pour travailler sur les addictions telles qu’elles sont définies dans la future CIM-11. Les experts sollicités ont reçu un document qui décrit les principaux changements de la CIM-11 comparé à la CIM-10 ainsi qu’une liste de questions. Le Gaming Disorder est présenté de la manière suivante : “la principale raison de créer cette catégorie diagnostique est basée sur des preuves neurologiques, phénoménologiques, développementales et des similarités entre le trouble de l’addiction aux jeux vidéo, le trouble lié aux jeux d’argent et les troubles liés à l’utilisation des substances”
L’inclusion du trouble lié à l’addiction aux jeux vidéo dans la CIM-11 fait suite aux décisions et conclusions consensuelles de groupes de travail et du groupe de consultants qui s’est fondé entre autres sur les éléments suivants a) L’augmentation bien documentée de la demande de traitement pour des problèmes définis comme le “trouble [de l’addiction] du jeu sur Internet” selon le DSM ou le trouble [de l’addiction] au jeu vidéo”, le besoin d’une aide pour faire un diagnostic précis et éviter la stigmatisation du jeu vidéo ainsi que des diagnostics inappropriés “d’addiction au jeu vidéo” qui peuvent conduire à des interventions inutiles et potentiellement dangereuses. b) La preuve que le jeu excessif qui a les caractéristiques du trouble de l’addiction au jeu vidéo peut conduire à une déficience fonctionnelle et une détresse qui ne peut pas être expliquée par d’autres troubles et persistent dans le temps chez une proportion d’individu comme le montre les études longitudinales
Les questions portent sur les changements de la CIM-11 : sont ils perçus comme utiles cliniquement ? Est qu’ils apportent une amélioration ? Est ce que les catégories diagnostiques proposée aident à comprendre les troubles
32 références sont données au groupe de travail. 10 traitent spécifiquement des jeux vidéo.
Voyons dans le détail les affirmations de l’OMS.
L’OMS affirme qu’elle dispose de preuves “neurologiques, phénoménologiques, développementales de l’addiction aux jeux vidéo et que cette addiction présente des similarité avec le trouble lié aux jeux d’argent” [qui est classé dans les addictions depuis le DSM-5.”
FAUX. Ces “preuves” sont largement contestées comme le montre la lettre ouverte que des chercheurs et psychothérapeutes ont adressé à l’OMS. Aarseth et ses collègues demandent a ce que le trouble de l’addiction aux jeux vidéo ne soit pas créé parce que 1) La qualité de la recherche est faible; 2) Le trouble est un copier-coller du trouble lié aux jeux d’argent et de hasard et du trouble de l’addiction aux produits; 3) Il n’y a pas de consensus sur a) La symptomatologie du trouble et b) Son évaluation (Aarseth et al., 2016)
Plus grave, rien dans les documents donnés par l’OMS ne laisse supposer que ces critiques aient été prises en compte. Cela laisse penser que malheureusement Araseth et al. (2016) avaient raison lorsqu’ils affirmaient que cette voie était une impasse parce qu’elle enfermait la recherche dans une démarche confirmatoire
Il n’y à ce jour pas de preuve de l’addiction aux jeux vidéo, mais un débat pour comprendre 1) s’il s’agit d’un trouble; 2) s’il s’agit de la conséquence d’un trouble; 3) s’il s’agit d’un nouveau trouble; 4) s’il s’agit d’une addiction. En créant le trouble de l’addiction aux jeux vidéo, l’OMS fait comme si une réponse avait été donnée à toutes ces questions, ce qui est loin d’être le cas.
L’OMS affirme qu’il y a une augmentation” bien documentées” de la demande de traitement pour une addiction aux jeux vidéo
FAUX. Les centres de traitement communiquent malheureusement peu de chiffres sur leur file active. Lorsque c’est le cas, on est frappé de la faiblesse du nombre de cas. Le CHU de Nantes affirme avoir traité 60 cas d’addiction au jeu vidéo sur une dizaine d’années (Rocher et al., 2012). Pour un trouble qui est censé concerner 10 % des jeunes adultes, c’est vraiment très faible.
Par ailleurs, la création du trouble crée mécaniquement une augmentation des demandes le concernant puisque a tort ou à raison, des personnes vont se reconnaître dans la description du trouble. L’OMS contribue donc a l’augmentation des demandes et s’en sert ensuite pour légitimer le trouble
L’OMS affirme qu’il est nécessaire de faire un diagnostic précis.
VRAI. Un diagnostic précis des troubles de la personne est en effet un prérequis a une bonne prise en charge.
L’OMS affirme que le diagnostic d’addiction aux jeux vidéo permettra de diminuer la stigmatisation des joueurs de jeu vidéo.
FAUX. C’est une affirmation non-fondée dont on ne comprend pas le mécanisme. La stigmatisation vient au contraire de la psychiatrisation d’un comportement, le jeu vidéo, qui est rarement lié à des problèmes fonctionnels ou une détresse psychologique.
L’OMS affirme qu’il existe des preuves que le trouble de l’addiction aux jeux vidéo peut conduire à une déficience fonctionnelle et une détresse qui ne peut pas être expliquée par d’autres troubles et persistent dans le temps chez une proportion d’individu comme le montre les études longitudinales.
C’est une affirmation complexe qui mêle le vrai et le faux.
PARTIELLEMENT VRAI. Il n’existe pas de preuve que l’addiction aux jeux vidéo (“Gaming Disorder”) conduise à une déficience fonctionnelle. Il existe des éléments de preuve qui montre que chez une petite proportion de personnes le jeu vidéo excessif est lié a des problèmes relationnels, professionnels ou scolaire et a une détresse psychologique. La relation de causalité : le jeu vidéo provoque une détresse psychologique et des problèmes n’est pas prouvée.
FAUX. Le trouble ne persiste pas dans le temps. Contrairement aux addictions qui sont extrêmement stable, “l’addiction aux jeux vidéo” disparaît au bout de quelques mois.
Il est important de noter que l’OMS présente à ses experts une version différente du “Gaming Disorder” lorsqu’elle affirme que le trouble ne doit pas être expliqué par d’autres troubles. Cette précision n’est pas dans la version rendue publique du Gaming Disorder. Elle est importante, car elle permet de faire la différence entre le trouble comme conséquence d’une condition préexistante (impulsivité, dépression, THADA, autisme etc.) ou de l’utilisation du jeu vidéo comme mécanisme de coping.
Au final, l’OMS présente la question de l’addiction aux jeux vidée d’une manière tronquée et trompeuse en laissant penser qu’un consensus avait été trouvé et qu’une proportion de joueurs pouvaient être décrits comme dépendants sur le modèle de la dépendance aux jeux d’argent et de hasard et de la dépendance aux drogues.
Références
Aarseth, E., Bean, A. M., Boonen, H., Colder Carras, M., Coulson, M., Das, D., … & Haagsma, M. C. (2016). Scholars’ open debate paper on the World Health Organization ICD-11 Gaming Disorder proposal. Journal of Behavioral Addictions, (0), 1-4.
Rocher, B., Caillon, J., Bonnet, S., Lagadec, M., Leboucher, J., Vénisse, J. L., & Bronnec, M. (2012). Les prises en charge de groupe dans l’addiction aux jeux vidéo. Psychotropes, 18(3), 109-122.
Merci pour cette critique de qualité qui argumente contre les erreurs de nombreux parents ou professionnels sur cette question.
Y’a du vrai et du faux dans cette critique. Tout comme y’a du bon et du mauvais dans les jeux vidéos. Ce qui a été prouvé c’est que chez un sous groupe de joueur le temps passé à jouer majore ttrs nettement le risque de développer un trouble avec fort retentissement fonctionnel. Dans un autre sous groupe au contraire les jeux vidéo ont des effets bénéfique sur leur fonctionnement et leurs interactions sociales. L’avenir c’est de collecter suffisamment de data pour savoir comment identifier ces sous groupes suffisamment tôt pour laisser continuer certains et sevrer les autres.
Bonjour Badaboum. L’idée que les jeux vidéo aient un “retentissement fonctionnel” peut se défendre. Mais cela ne fait pas des jeux vidéo une addiction.
Je suis d’accord avec l’idée qu’il faille collecter de nouvelles données, mais cela signifie aussi qu’il faut suspendre l’inscription du gaming disorder dans la CIM-11
Merci Gabriel !