Au début de l’épidémie de COVID-19 j’ai observé avec intérêt et étonnement les recherches menées par les psychologues chinois. Rapidement, le nombre de publications est devenu psi important que je n’ai plus pu lire tous les articles que me rapportait presque quotidiennement mon fil de veille. Je suis retourné à mes lectures habituelles sur les jeux vidéo et je n’y ai plus pensé. 

Un billet de Tom Chivers m’a ramené au COVID-19. Il rappelle combien il est important d’avoir des études de bonne qualité en psychologie parce qu’elles ont un impact dans la vie quotidienne des personnes. Chivers le montre à partir d’une étude menée au Bangdladesh qui a construit un instrument de mesure de la peur du COVID-19. L’échelle a été jugée suffisamment valide pour être utilisée dans d’autres études. La validité d’un instrument psychométrique mesure la manière dont il correspond au phénomène utilisé. Si une échelle mesure le risque suicidaire, les personnes qui ont un score important à cette échelle devront être celles qui présentent le plus grand risque suicidaire. La validité de cette échelle est importante parce qu’elle peut être utilisée dans des tests pour mesurer l’efficacité d’un antidépresseur et être utilisée pour construire des politiques de santé publique. Si l’échelle n’est pas valide, elle va contribuer à consommer des ressources inutilement et mener la recherche dans des impasses

La hâte avec laquelle des psychologues ont conduit et publié des recherches sur le COVID-19 est compréhensible. Le contexte sanitaire nécessitait une évaluation de la situation et des réponses rapides. Sakib et ses collègues ont été les premiers à proposer une échelle de mesure de la peur du COVID-19. Cette rapidité était nécessaire parce que face au COVID-19, des personnes souffrent de “d’anxiété importante, de colère, de symptômes post-traumatiques”, auquel il faut ajouter parfois de la “tristesse, du sentiment d’impuissance, de solitude”. Dans les cas extrêmes, préviennent les auteurs, cette peur peut conduire à des pensées suicidaires et des tentatives effectives de suicides. 

Sakib et ses collègues ouvrent un nouveau domaine de recherche : la peur du COVID-19. Ils ont une responsabilité imminence la validité d’une part importante de ce champ de recherche repose sur la validité de leur instrument de mesure. Cette responsabilité n’est pas uniquement académique, car comme le souligne Chivers, il est possible que des mesures de santé publique soient prises au regard des résultats de cette échelle.

Faire de la bonne bonne science prend du temps : il faut formuler les questions de recherche, récolter les données, les analyser et tout ce processus dans une publication. Il est très probable que la célérité de Sakib et ses collègues se soit faite au détriment de la validité de leur instrument de mesure comme le montre le fait qu’ils ne partagent pas les données qui ont permis la construction de leur instrument de mesure alors qu’ils s’étaient engagés à le faire.

Pourquoi parler de tout cela ici ? Tout simplement parce que les psychologues se sont conduit de la même façon avec les jeux vidéo. Cela peut se comprendre, car d’une certaine façon, nous avons connu une épidémie de jeux vidéo. Des années 1970 à aujourd’hui, les jeux vidéo n’ont pas cessé de se transformer et de conquérir de nouveaux publics. Mark Griffihs et Kimberley Young ont rapidement bricolé des instruments de mesure pour évaluer ce nouveau phénomène, donnant naissance a un nouveau champ : l’addiction aux jeux vidéo. Cette addiction a été décrite de manière aussi sensationnaliste que la peur du COVID-19 : les jeux vidéo provoquent de l’anxiété, un isolement social, des difficultés scolaires ou professionnelles, de la dépression et des suicide. L’ampleur du trouble a été mesurée avec des échelles dont la solidité dépend en grande partie de la première échelle de Kimbeley Young. Des mesures de santé publique sont prises pour en fonction d’affirmations reposant sur un instrument dont on peut questionner la validité psychométrique.

La situation est peut-être pire que celle de la Bangal Fear od COVID-19 scale. Les personnes concernées se comptent par millions, les instruments de mesure de cette “addiction” sont pléthoriques, et au nom de la santé publique, certains se préparent à créer un gaming disorder dont l’existence reste à ce jour infondée. Chaque vague numérique a apporté ses instruments de mesure. Les réseaux sociaux ont amenée le développement d’une Facebook Addiction Scale et d’une Instagram Addiction Scale… Les smartphones ont leur Smartphone Addiction Scale. Chaque échelle est traduite dans différentes langues, avec parfois une version longue et une version courte pour les cliniciens pressés. Bien évidemment, quand FOMO a été inventée, des échelles correspondantes ont été construites.

Les études sur les jeux vidéo et les applications numériques sont nécessaires. Elles nous aident à comprendre comment nous produisons une technologie qui nous transforme. Mais nous avons besoin d’études sérieuses et solides méthodologiquement pour que ce champ de recherche ne repose pas sur une tête d’épingle et que des positions moralisatrices ne se cachent pas sous des impératifs de santé. Nous avons besoins d’arrêter de pathologiser chaque nouvelle vague numérique.

Références

Abel, J. P., Buff, C. L., & Burr, S. A. (2016). Social media and the fear of missing out: Scale development and assessment. Journal of Business & Economics Research (JBER), 14(1), 33-44.

Sakib, N., Bhuiyan, A. I., Hossain, S., Al Mamun, F., Hosen, I., Abdullah, A. H., … & Sikder, M. T. (2020). Psychometric validation of the Bangla Fear of COVID-19 Scale: Confirmatory factor analysis and Rasch analysis. International Journal of Mental Health and Addiction.

Weinstein, N., & Nguyen, T. V. (2020). Motivation and Preference in Isolation: A test of their different influences on responses to self-isolation during the COVID-19 outbreak. Royal Society Open Science, 7(5), 200458.