Le temps que les enfant passent devant les écrans est un motif d’inquiétude pour beaucoup de parents. D’une façon générale, lorsque l’on regarde les chiffres d’utilisation des écrans par les enfants on ne peut qu’être d’accord avec les parents : les enfants passent de plus en plus de temps à surfer sur les réseaux sociaux ou à jouer aux jeux vidéo. Mais est-ce problématique ? A partir de quel moment faut-il s’inquiéter ? Quand peut-on dire que tel enfant est trop devant des écrans ? Il arrive assez souvent que des parents se plaignent de ce que leurs enfants semblent leur préférer Instagram, Snapchat ou League of Legends. D’autres se demandent si le strict régime médiatique que la famille impose aux enfants ne serait pas un obstacle à leur développement… Est-ce un problème de ne pas avoir de compte Instagram ou ne ne pas jouer aux jeux vidéo a la maison?
Les parents se posent la même question que les chercheurs : qu’est-ce que les écrans remplacent ? Une journée ayant un nombre fini d’heures, le temps passé sur un jeu vidéo ou un réseau social ne rend pas l’enfant pas disponible pour une activité avec les parents ou une sortie en ville avec les copains. Cette hypothèse du remplacement n’est pas vérifiée par la recherche. En effet, avoir plus de temps ne signifie pas avoir envie de le passer avec les parents, et les sorties avec les copains donnent lieu de nombreuses interactions en ligne avant, pendant et après la sortie. L’hypothèse du remplacement vaut pour des existences pré-numériques ou l’on faisait une chose puis une autre. Les activités numériques sont cumulatives. Elles peuvent être faites pour elles-même mais le plus souvent elles accompagnent d’autres activités. Elles sont comme des filtres qui se superposent à d’autres activités tout en les encadrant.
Une façon de répondre est de donner les chiffres moyens d’utilisation des écrans par les enfants et les adolescents. Les écrans occupent en moyenne une vingtaine d’heures dans la semaine des adolescents. Mais la moyenne recouvre des pratiques aussi différentes que jouer aux jeux vidéo, discuter sur Snapchat ou encore faire une recherche pour un TPE. Baser une pratique éducative uniquement sur cette moyenne est doublement insatisfaisant car une moyenne ne correspond pas nécessairement à ce qui est utile ou juste pour un enfant ; et ne prend pas en compte la diversité des pratiques. La complexité des usages numériques et la diversité des situations liées au développement fait que la relation entre le temps passé et la santé mentale n’est pas linéaire. En d’autres termes, il est possible que moins d’écran ne signifie pas plus de bien-être.
Cette relation non-linéaire a été mise en évidence par deux études récentes. Przybylski et Weinstein ont étudié la relation entre le bien-être et le temps d’écran de 120 000 adolescents du Royaume Uni. Les auteurs ont montré que la santé mentale à tendance à baisser pour les temps d’écran faibles, puis à augmenter avec le temps, avant de baisser à nouveau pour les temps d’écran importants. Cela est vrai pour la télévision, les jeux vidéo, les ordinateurs ou les smartphones. A chaque fois, la même courbe en “U” inversé a été trouvée. Pour ceux qui aiment les chiffres, les points d’inflexion suivants ont été trouvés :
- 1 heure 40 minutes par jour pour les jeux vidéo
- 1 heure 57 pour le smartphone
- 3 heures 41 pour la télévision
- 4 heures 17 pour l’ordinateur
Ce résultat n’est pas isolé. Une autre étude menée par Orden et Przybylski a examiné les réponses de 17 000 personnes habitant le Royaume Uni, les USA et l’Irlande. Les auteurs montrent que pour que le bien être diminue de 0.50, il faut que les personnes utilisent les écrans 63 heures et 31 minutes par jour ! Le chiffre de 0,50 n’est pas choisi au hasard. C’est en effet le seuil à partir duquel les personnes sont conscientes d’un changement.
Ces deux études confirment l’étude de Viviane Kovess-Masfety qui ne trouve pas de relation entre des problèmes de santé mentale et le temps de jeu. L’étude a rassemblé les réponses à des questionnaires de plus de 3000 jeunes européens. Au contraire, des temps importants de jeu sont associés à une diminution des problèmes interpersonnels et des bénéfices dans le domaine prosocial.
L’étude De Przybylski et Weinstein apporte une autre précision importante. Les auteurs ont montré que la taille de l’effet des écrans est faible ( d= -0,18) ce qui signifie que lorsque l’on considère la santé mentale des enfants, les écrans comptent pour moins de 1%. Pour donner un ordre d’idée, le fait d’avoir un sommeil régulier (d = 0,58) ou de prendre un petit déjeuner avant d’aller à l’école (d = 0,54) est trois fois plus important.
Les études sur les médias vont généralement dans le même sens : les effets des médias sur les comportements sont faibles. Les facteurs qui influent sur le bien-être des personnes sont des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Il y a donc un grand écart entre ce que la recherche met en évidence et les cris d’alarme que l’on trouve généralement dans la presse. Pour les parents, les résultats de la recherche sont plutôt rassurants. Ils montrent que les parents restent le plus grand facteur de changement des enfants. Malgré l’omniprésence des écrans, le travail des parents d’aujourd’hui n’est pas différent de celui des parents d’hier.
Combien de temps faut il laisser les enfants devant les écrans ? La réponse est simple : suffisamment. Chaque enfant est différent. Ce qui est utile ou nécessaire à un enfant sera inutile ou contre productif à son frère ou à sa sœur. Les parents doivent donc faire au cas par cas tout en prenant soin d’adapter les règles en fonction du développement de l’enfant.
REFERENCES
Kovess-Masfety, V., Keyes, K., Hamilton, A., Hanson, G., Bitfoi, A., Golitz, D., … & Otten, R. (2016). Is time spent playing video games associated with mental health, cognitive and social skills in young children?. Social psychiatry and psychiatric epidemiology, 51(3), 349-357.
Orben, A., & Przybylski, A. K. (2019). The association between adolescent well-being and digital technology use. Nature Human Behaviour, 3(2), 173.
Przybylski, A. K., & Weinstein, N. (2017). A large-scale test of the Goldilocks Hypothesis: Quantifying the relations between digital-screen use and the mental well-being of adolescents. Psychological Science, 28(2), 204-215.