Aux USA, le débat sur les effets des images violentes sur les comportements est particulièrement vif. Je donne ici une traduction faite par Eric Primault et moi même d’un article publié dans le HuffPo. Il m’a paru particulièrement important parce qu’il donne une idée de la violence des débats qui ont lieu aux USA dans le domaine de la recherche sur les effets des images violentes. Le billet est signé par Christopher Ferguson, un professeur de psychologie qui a publié de nombreux articles scientifiques dans le domaine des jeux vidéo et de la santé mentale. Il met en évidence de façon convainquante que des chercheurs n’hésitent à avancer des positions sans preuve et ensuite à affirmer qu’ils n’ont jamais fait de telles affirmations. Ferguson démontre le mécanisme et explique en quoi il est problématique. Le texte donne un bon aperçu des ingrédients de la panique morale autour des images violentes.

 

Les films déconseillés aux moins de 13 ans, la violence sociétale et le jeu “Oui je l’ai dit/Non je ne l’ai pas dit” Traduction : Yann Leroux, Éric Primault &Julien Buseyne,

En 2013, des chercheurs de l’Université de l’Ohio et le Annenberg Public Policy Center de l’Université de Pennsylvanie ont publié une étude suggérant une augmentation de la violence par arme à feu au cinéma au cours des 50 dernières années, et particulièrement dans les films PG-13. Alors qu’ils n’avaient aucune preuve factuelle liant ces films à la violence juvénile (pas même une corrélation), ils ont cependant établi un lien direct entre ces phénomènes en affirmant : « les effets de l’exposition à la violence à main armée ne doivent pas être minimisés. La simple présence d’armes dans ces films peuvent augmenter les comportements violents chez les jeunes. »

Sauf que durant les quelques décennies pendant lesquelles la violence par arme est supposée s’être accrue dans les films PG-13, la violence juvénile a diminué de près de 90 %. Cet article constitue un cas d’erreur, comme on en voit régulièrement, où des universitaires non seulement confondent corrélation et causalité… mais se trompent aussi dans la nature de cette corrélation.

Cela n’a pas échappé à d’autres chercheurs de l’Université Villanova et Rutgers, dirigés par Patrick Markey. Markey et ses collègues ont conduit des analyses et n’ont pas pu démontrer une relation entre la violence des films et les homicides et attaques à main armée (ils ont, au contraire, trouvé que les films violents semblent être liés à une diminution de la violence dans la réalité). Villanova/Rutgers en a conclu qu’établir un lien de cause à effet entre la violence dans les médias et la violence sociétale était prématuré, et a mis en garde les chercheurs contre les déclarations établissant un tel lien causal, par exemple celles provenant de l’équipe Ohio/Annenberg.

Il s’agit d’un retournement plutôt direct : une hypothèse est émise (“la violence au cinéma peut être liée à la violence dans la réalité”), puis infirmée par les faits (“Non, ce n’est pas le cas”). Mais ces deux articles sont à l’origine d’un autre genre d’échange, plutôt inhabituel.

Dans la même publication, les membres de l’équipe Ohio/Annenberg ont commenté la nouvelle analyse de Markey et de ses collègues, prétendant que ni eux, ni aucune personne travaillant sur les effets de la violence dans les médias, avaient jamais suggéré que cette violence puisse être liée aux crimes les plus horribles. Cette stratégie de défense inhabituelle a donné toute liberté à Markey, dans la réponse qu’il produisit, de publier une liste de 28 déclarations émanant d’universitaires spécialistes des médias, dont des membres de l’équipe Ohio/Annenberg, faisant le lien entre la violence dans les médias et les événements tragiques tels que les tueries de Columbine ou d’Aurora. Deux de ces extraits étaient par ailleurs tirés de l’article même où ces chercheurs prétendaient ne jamais avoir fait ces rapprochements. Par ailleurs, l’équipe Ohio/Annenberg revendiquait que l’établissement d’un lien de corrélation entre la violence dans les médias et l’agressivité constituait un résultat majeur d’un point de vue médical (une affirmation depuis longtemps rejetée), mais affirmait qu’en revanche, ils n’avaient jamais déclaré que les médias violents représentaient un danger comparable à celui du tabac dans la survenue du cancer du poumon ou à d’autres risques médicaux reconnus. À ceci, l’équipe de Markey a répondu par une nouvelle liste d’extraits où de telles comparaisons sont au contraire établies, dont ce commentaire osé de la part de membres de l’équipe de recherche Ohio/Annenberg : « Il y a au moins six parallèles instructifs à établir entre le lien tabagisme/cancer du poumon et le lien violence dans les médias/agression. »

Il s’agit d’un exemple remarquable d’un problème répandu dans le domaine académique : le phénomène du “je l’ai dit/je ne l’ai pas dit”. Certains chercheurs abusent de cette stratégie et se croient par conséquent libres de tenir des propos exagérés, de manier l’hyperbole, puis de battre en retraite en jouant les victimes lorsque ce comportement leur vaut des critiques de la part d’autres chercheurs. Le plus souvent, ils utilisent des tournures ambiguës à base de conditionnels et de “il est possible que”. Ils peuvent déclarer : « il est possible que le président Obama adore noyer des chatons » ; et lorsque quelqu’un s’en plaint et pointe l’erreur factuelle commise, ils répondent « Hé ! mais… on a dit il est possible que ! » Ce n’est pas qu’un simple problème politique, c’est un  problème culturel très sérieux dans ce domaine de recherche, qui se complaît dans l’hystérie et néglige la prudence et l’objectivité.

On y distingue un autre problème : la tendance à louvoyer autour des faits observables. Dans leur réponse à Markey, et dans une communication d’Annenberg, l’équipe Ohio/Anneberg ignore un ensemble de données indiquant une diminution dans la durée de la violence sociétale, homicides et attaques à main armée confondus, impliquant des jeunes durant les 20 dernières années. Les chercheurs se focalisent plutôt sur la catégorie des blessures par armes. Ils semblent cumuler celles dont les jeunes sont victimes à celles dont ils sont auteurs. Bien évidemment, toutes les blessures ne résultent pas de crimes violents ; beaucoup sont causées par des accidents et des suicides. En outre, qu’un jeune soit victime d’une attaque à main armée ne fait pas de lui un fou de la gâchette. Les données du Bureau of Justice Statistics (voir Table 4) mettent en évidence un déclin significatif des homicides et des attaques à mains armées parmi les jeunes. Il est temps d’arrêter de prétendre autre chose. Pourquoi inférons-nous ces violences chez les jeunes à partir de données sur les blessures alors que nous disposons de données directes à ce sujet ?

La conclusion est qu’il existe peu de preuves soutenant l’hypothèse selon laquelle les films PG-13 provoquent une épidémie de violence parmi les jeunes parce qu’il n’y a pas d’épidémie de violence parmi les jeunes.  En l’absence d’une telle épidémie, quelques chercheurs peuvent être tentés de choisir, un peu rapidement et à leur guise, les données sur la violence sociétale susceptibles de donner plus de poids et de gravité à leurs recherches dans ce domaine. Il est crucial, pour nous, d’infléchir cette tendance et d’encourager les chercheurs à s’appuyer plus sur les données et moins sur les extrapolations ou les parallèles. Ne parlons pas de tabagisme et de cancer du poumon à moins de faire des recherches sur le tabagisme et le cancer du poumon.