Call Of Duty 3

 

Alors que la bataille de l’addiction aux jeux vidéo n’est pas encore totalement terminée, quelques nouveaux résultats de recherche apportent des éléments de discussion. Baveller et al. ont fait une revue de la littérature qui apportent quelques résultats contre intuitifs.

Ils montrent que les jeux dits éducatifs ont des effets pratiquement nuls, voire même négatifs.  En termes d’apprentissage, il est bien plus rentable de jouer à GTA ou a COD qu’à un de ces jeux d’esprit qui inondent le marché. L’interprétation donnée est que les    “brain games” sont très loin de fournir l’expérience complexe d’un FPS ou d’un MMO. Ils approchent certains mécanismes de gameplay mais finalement ils ne sont que des flashacards un peu améliorés. On n’arrête pas ces temps ci de trouver des vertus aux jeux vidéos : ils réduisent la douleur des grands brûlés pendant les soins, sont de bons entrainements pour les pilotes ou les chirurgiens, sont des bacs à sable pour expérimenter la méthode scientifique, mettent au contact avec la complexité,sont utilisés dans le traitement de l’amblyopie ou des psychothérapies,  redonnent aux enfants du temps de jeu, sont des espaces de socialisation et d’apprentissages etc. etc.

Il ne faut cependant pas trop se réjouir de ce type de résultats. D’abord parce qu’ils sont adossés à des études de qualités et de valeurs diverses. Ensuite parce que on retrouve là somme toute des choses assez anciennes.  La télévision a été en son temps la cible de critiques aussi vives que celles qui touchent le jeu vidéo aujourd’hui. On l’a accusée de favoriser les comportements violents et de détourner les enfants du seul média qui aurait du retenir leur attention : le livre.

Pourtant, il a été montré dans les années 50 que le simple fait de regarder régulièrement la télévision améliorait la perception en trois dimension des spectateurs. Mais cette amélioration tient au fait que la télévision  présente les images d’une même scène sous plusieurs angles.A cela, il faut ajouter un effet de massification des images. McLuhan notait qu’un enfant de 10 ans avait déjà vu plus d’images que son grand-père. Enfin, on notait également un léger effet positif sur la perception de soi sans doute du fait que les possesseurs de cette toute nouvelle technologie

Ainsi, les téléspectateurs d’hier tiraient des séries télévisées grands public des apprentissages que personne n’avait pu prévoir. Les programmes étaient faits pour le divertissement. Les spectateurs en tiraient de meilleures capacités de représentation spatiale. Dans Everything Bad is Good for You, Steven Johnson fait remarquer qu’il est probable que cet effet se poursuive puisque les séries télévisées ont toujours du succès et qu’elles se sont considérablement complexifiées. De Starsky et Huch à Les Soprano, les trames narratives d’un seul épisode se sont multipliées

Cela pose la question de ce qui est “bon” de ce qui est “mauvais”. Les guillemets s’imposent pas uniquement du fait de la variété des normes et des valeurs. Ils  s’imposent parce que l’expérience humaine est multifactorielle : ce qui est ressenti comme “mauvais” peut au terme d’un travail psychique produire du “bon”. La résilience est une mesure du travail psychique à faire pour transformer un traumatisme psychique en une chose utilisable et transmissible par une personne. D’un autre coté,  ce qui est donné comme “bon” peut être ressenti comme “mauvais” ou peut n’être pas utilisable. La troisième raison pour laquelle les guillemets sont de rigueur lorsque l’on parle des “bon” et des “mauvais” effets des jeux vidéos est qu’il s’agit de jeux. Faut il rappeler que les vies comme les morts ne sont ici que “pour de rire” ? Et que finalement, gagner ou perdre la partie n’a pas beaucoup d’importance. Ce qui compte, c’est que le jeu se poursuive.

“Bon” ou “mauvais”, ce que l’on trouve à propos des jeux vidéo n’est finalement pas si étonnant que cela. Il faut surtout y voir une illustration de la bataille idéologique à laquelle on assiste leur propos. Ils sont tantôt  craints comme des nouvelles drogues suscitant de la violence et des ruptures scolaires, tantôt fêtés comme un nouvel eldorado éducatif : avec eux, l’apprentissage deviendra à la fois facile et amusant. Les deux positions sont en fait des exagérations.

Le jeu a toujours été un vecteur d’apprentissage. C’est par le jeu que les enfants intègrent des rôles, trouvent des aménagements à leurs pulsions et à leur vie imaginaire. Les concepteurs de jeux vidéo ont eu l’habilité d’utiliser les propriétés des matières numériques et la puissance de calcul des machines pour proposer une expérience qui vaille le coup d’être vécue. Le demi-siècle d’histoire du jeu vidéo et les millions d’heures de jeu accumulées par les joueurs leur ont donné un savoir faire

Les serious game me font penser à la poule aux œufs d’or que l’on tue pour tenter d’obtenir plus de richesse. Le jeu aide les enfants à mémoriser, à symboliser, à métaphoriser. Il est un espace dans lequel il peut agir ce qui n’est pas encore ou ce qui ne peut pas être du fait d’interdits. Il est tentant de tenter de mettre une telle puissance en coupe réglée. Pourquoi ne pas utiliser toute cette énergie, toute cette concentration pour autre chose ?

Le jeu est sans nul doute ”l’activité la plus sérieuse des enfants” (Montaigne). Mais vouloir la domestiquer est la meilleure façon d’en annuler les effets. Le jeu a toujours quelque chose de sauvage.

 

Children, Wired: For Better and for Worse
Bavelier, Daphne; Green, C. Shawn; Dye, Matthew W.G.
Neuron doi:10.1016/j.neuron.2010.08.035 (volume 67 issue 5 pp.692 – 701)

 

 

 

 

Crédit photo : Call Of Duty 3 par Nikkibearrrrr