Les jeux vidéo apparaissent régulièrement dans les faits divers. Ils sont alors présentés comme étant de près ou de loin liés à des comportements violents ou criminels. Les polémiques sont suffisamment nombreuses pour en faire l’histoire. C’est à ce travail que s’attaque le journaliste Benjamin BERGET dans son second livre Histoire des jeux vidéo polémiques. Ce second volume suit logiquement un premier Histoire des jeux vidéo polémique et en annonce un troisième qui traitera de la politique de la liberté d’expression avec les jeux d’extrême droite et d’extrême gauche.
Je n’ai eu accès qu’a une version “alpha” du livre, et il est possible que le livre imprimé diffère du PDF que j’ai entre les mains. Le livre est organisé en deux grandes parties. La première présente les jeux vidéo polémiques proprement dit. Dix huit jeux vidéo sont passés en revue. Certains jeux comme Mortal Kombat ou Resident Evil, appartiennent déjà au panthéon des jeux vidéo. D’autres comme Chiller ou Rule of Rose sont plus anecdotiques.
Le livre suit alors un plan simple et lisible. Chaque jeu reçoit le même traitement. Le pitch est présenté, le système de jeu est décrit, une rapide histoire de son développement est donné et la polémique qu’il a suscité est présentée. Enfin, Benjamin BERGET donne son point de vue.
La seconde moitié du livre est composé de l’examen critique de certaines questions liées aux jeux vidéo polémique. Benjamin BERGET examine alors le traitement médiatique des jeux vidéo et l’addiction aux jeux vidéo. Enfin, le livre se clot sur une interview de Shane-Fenton qui traite souvent des questions liées aux jeux vidéo sur son blog Merlan frit (http://www.merlanfrit.net/). Cette partie s’appuie largement sur des interview publiés dans la presse de spécialistes. On y retrouve Serge Tisseron, Michael Stora, Thomas Gaon, Vanessa Lallo, laurent Bègue et moi-même.
Les jeux vidéo violents sont pour Benjamin Berget le symbole d’une rupture de génération. Les adultes ne comprennent plus les jeux de leurs enfants, ce qui provoque des inquiétudes voir des paniques morales. Celles ci se répandent d’autant plus facilement que la violence est un champ d’étude problématique. Sa définition comprend des dimensions politiques, culturelles, sociales et finalement, idéologique. Ainsi, les génocides exécutés dans les Civilisations et autres Age of Empire provoquent moins d’indignation que les morts d’un Manhunt ou d’un Mortal Kombat.
Si les jeux vidéo violents sont joués, c’est peut-être que la violence a quelque chose de spécial. La réponse de Benjamin Berget est plutôt négative. D’une part, les enfant ne jouent pas aux jeux vidéo violents et d’autre part, les jeux vidéo comportent toujours une limite morale. Enfin, la violence peut servir d’exutoire aux joueurs en ayant une fonction calmante
Le traitement médiatique des jeux vidéo expose les excès des média lorsqu’il s’agit des jeux vidéo. L’épilepsie, les prises d’otage, la drogue ont été associés aux jeux vidéo par les journaux et la télévision. Ces relations sont bien évidemment excessives. Benjamin Berget rappelle bien que les jeux vidéo ne provoquent pas l’épilepsie mais peuvent révéler des personnes qui ont une épilepsie photosensible. Être un “maniaque de Super Mario” ne vous transforme pas en preneur d’otage. Et les jeux vidéo ne sont pas une drogue. Il rappelle avec la fausse news des 147 otakus japonais qui se sont suicidés a cause du report du jeu Dead or Alive Ultimate en 2004. La longue liste qu’il dresse des mauvais traitement infligés par les média aux jeux vidéo est un enseignement en soi
Quelque soit le journal, la chaîne de télévision ou l’émission, le traitement est toujours à charge. Le portrait du gamer est le plus souvent celui d’un adolescent mal dans sa peau, avec des problèmes d’alimentation, prenant sur son sommeil des heures de jeu, et bien évidement déscolarisé. Ces adolescents existent, mais il est fallacieux de répandre l’idée que tous les joueurs de jeux vidéo sont dans cette situation. La revue Adolescence a par exemple publié un entretien d’Elie Gutenberg qui était responsable de la guilde Millenium pendant ses années de prépa
La partie consacrée à l’addiction aux jeux vidéo se centre sur les MMORPG. Benjamin Berget en retrace rapidement l’histoire. Il y a malheureusement quelques imprécisions. Si les MMORPG descendent bien des Multi User Dungeons (MUD), le premier d’entre eux n’est pas MUD1 mais ADVENT programmé en 1975-1976 par Will Crowther. Les mécanismes des MMORPG ne viennent pas de la série Les livres dont vous êtes le héros (1982), mais du jeu de rôle Donjons et Dragons (1974). Le texte est bien plus précis sur les polémiques liées au jeu de rôle. Il met en lumière le rôle du psychiatre Thomas Radecki dans le développement de la polémique aux USA et rappelle l’affaire de la profanation du cimetière juif de Carpentras dans lequel les jeux de rôle avaient été mis en cause
Les MMORPG ont été associés a des faits divers parfois tragiques. dont Benjamin Berget fait l’’inventaire. Il reprend l’idée d’une addiction aux MMORPG du fait des mécanismes du jeu (jeu sans fin, cycle de récompense) et décrit leurs modèles économiques. Ce passage est bien trop long et l’on ne retrouve la question de l’addiction aux jeux vidéo qu’après une autre tunnel sur les jeux à la Farmville
L’histoire du traitement de la question de l’addiction aux jeux vidéo par les politiques français est bien traitée. Une longue citation de Serge Tisseron issue d’une interview donnée au journal le monde vaut comme conclusion. le psychiatre français y affirme que “l’addiction aux jeux vidéo est rare”, recommande l’usage de l’expression “joueur excessif”. Il pose que certains jeux rendent plus dépendants que d’autres et qu’il faut préférer ceux qui ont une narration forte. World of Warcraft serait addictif parce qu’il est sans fin. Pourtant, les MMORPG sont sans doute les jeux vidéo qui ont les univers narratifs les plus riches et les plus complexe. Il y a la une contradiction qui mérite d’être levée. L’avis de Serge Tisseron sur cette question a évolué, comme le montre son article “Pour en finir avec l’addiction aux jeux vidéo” Il est en effet plus que temps. L’addiction aux jeux vidéo et à l’Internet n’a reçu à ce jour aucune validation d’aucune sorte.Elle n’est pas rare : elle n’existe pas.
La dernière partie du livre est consacrée à l’interview de Shane Fenton. Il traite des différentes polémiques qui ont secoué le web francophone et donne surtout son point de vue qu’il s’agisse de la violence, du sexisme ou du jeu vidéo comme art, de la violence. Je m’arrêterais sur la violence puisque la psychologie y est convoquée.
Les critiques
Il y a dans le livre des positions idéologiques qui sont gênantes. La première concerne la torture. Pour Benjamin Berget, la torture dans les jeux vidéo est acceptable si une alternative est proposée au joueur. Il devrait être possible de ne pas torturer et de finir le jeu. Pourtant personne ne demande à un livre comme Game of Throne d’apporter des alternatives aux scènes de torture. Le film Funny Game entraîne le spectateur dans des scènes de plus en plus violentes et perverses. Dans les deux cas, le lecteur et le spectateurs sont pieds et poings liés a à la narration. Il n’y a pas d’échappatoire. C’est cette tension qui fait l’intérêt de ces scènes. Ces tensions seraient intéressantes dans les livres et les films et il faudrait qu’elles n’existent pas dans les jeux vidéo ?
La partie dans laquelle Benjamin Berget traite des liens entre la science et l’idéologie est sans doute la plus faible. Il fait montre de connaissances insuffisantes sur la manière dont les études sont produites. Contrairement à ce qu’il peut affirmer, le fait que le jeu vidéo Myst provoque plus d’excitation chez le joueur que Wolfenstein 3D est un résultat intéressant; Myst est un jeu vidéo d’aventure, au rythme lent. Intuitivement, il n’est pas le genre de jeu vidéo auquel l’on pense lorsque l’on recherche des titres qui pourraient provoquer de l’excitation. Le fait qu’Anderson précise que les liens entre les jeux vidéo et la délinquance puisse être dû au fait que les personnes violentes sont naturellement attirées par les jeux vidéo n’est pas un aveu d’impuissance mais une preuve d’honnêteté. Dans les publications scientifiques, on attend que le chercheur précise le biais de sa recherche. Cet aspect est important parce qu’il permet d’organiser les recherches futures. Il serait intéressant de vérifier si les personnes agressives ne sont pas motivés intrinsèquement à aller vers les jeux vidéo violents.
De la même manière les termes utilisés par Anderson ont un sens très précis dans la littérature scientifique . Pour les psychologues, la relation entre deux variables – ici les jeux vidéo violent et les comportements violents – ne peut jamais être qualifié de certaine. Le psychologue examine donc des degré de certitude ou des probabilité qu’un lien existe
Enfin, il est attendu de l’auteur d’une recherche qu’il fasse des propositions. Que doit-on faire des résultats obtenus ? Que signifient ils ? Quelles actions entreprendre ? C’est ce que fait Anderson lorsqu’il prend a témoin la classe politique et demande a ce que collectivement nous nous demandions comment aider les parents à éduquer leurs enfants. Ce faisant, il ne jette pas toute prudence à la poubelle, comme l’écrit malencontreusement Berget. Il fait son travail de chercheur
Les méta-analyse sur la violence des jeux vidéo sont elles fiables ? A ce jour, deux méta-analyse sur ce thème ont été réalisée. Leurs résultats sont finalement assez similaires. Les études s’opposent la taille de l’effet des jeux vidéo violents, et la durée de l’effet de ces jeux. D’une façon générale, les psychologues s’accordent pour dire que les causes déterminantes des comportements violents ne sont pas dans les média. Il faut les chercher dans l’environnement (facteurs familiaux, stresseurs particuliers, environnement social) et dans des caractéristiques de la personnalité (niveau d’agressivité, estime de soi, trouble de la personnalité). Lorsque les jeux vidéo jouent un rôle dans un comportement violent, leur effet se situe toujours à la marge.
Aux USA, les questions de société se traitent souvent aux USA. Cela a été le cas pour les jeux vidéo violent. La Cour Suprême des Etat-Unis d’Amérique a cassé une loi promulguée par Arnold Schwarzenegger qui s’appuyait principalement sur les travaux de Craig Anderson. Dans son arrêt, elle affirme que les travaux du chercheur présentent “des failles méthodologiques importantes et reconnues” Cet arrêt a souvent été accueilli comme une bonne nouvelle pour les joueurs de jeux vidéo et c’est ainsi qu’il est présenté dans ce livre. En fait, c’est loin d’être le cas. Les juges ne sont pas qualifiés pour évaluer la qualité méthodologique d’une recherche menée en psychologie. Les psychologues sont davantage habilités à juger de la méthodologie et des résultats des recherches menées en psychologie. L’avis de Craig Anderson devant la Cours Suprême des USA est donc précieux. Que dit-il lorsqu’il est amené à témoigner devant la plus haute juridiction de son pays ? Je traduis :
“le Docteur Anderson a admis que la “taille de l’effet” de l’exposition des enfants aux jeux vidéo violents est “à peu près la même” que celle produite par l’exposition à la violence à la télévision. App 1263 Et il admet que le même effet peut être trouvé lorsque les enfants regardent des dessins animés avec Bugs Bunny ou Bip-Bip id à 1304, ou lorsqu’ils jouent à des jeux vidéo comme Sonic le hérisson qui sont notés “E” (approprié à tous les ages) id à 1270 [PEGI +3 en France n.d.t.] ou même lorsqu’ils regardent une image d’un pistolet” id à 1315-1316.8 “
Je pense que cela clôt la question de la dangerosité des jeux vidéo violents.
On retrouve dans la dernière partie les talents polémistes de Shane_Fenton. Mon commentaire portera uniquement sur un point de psychologie. Shane_Fenton fait référence à la désensibilisation pour expliquer qu’il est si facile de tuer dans un jeu vidéo. La désensibilisation est une notion issue des études sur le conditionnement. Elle correspond au fait qu’avec le temps le même stimuli a des effets de moins en moins importants. Or sur la facilité à tuer dans un jeu vidéo, ce qui importe ce n’est pas le stimuli mais le fait que la personne est assurée que son comportement n’aura aucune sorte de conséquence pour elle et pour autrui. Le fait que les jeux vidéo soient des jeux est souvent oublié. Cela conduit à réfléchir sur la bonne et la mauvaise violence dans les jeux vidéo. De mon point de vue, c’est une mauvaise question. Se pose-t-on la question de la bonne ou mauvaise violence lorsque des enfants attachent en semblant un camarade de jeu et le torturent a coups de tomahawk ?Se pose-t-on la question de la bonne ou de la mauvaise violence lorsque le loup est ébouillanté dans le chaudron des petits cochons ? Ces questions sont importantes, mais dans l’espace-temps du jeu, elle sont sans objet
Etre confronté à des images violentes désensibilise-t-il ? C’est possible. Est ce que cela rend les personnes moins sensibles ? Ce n’est pas certain. Les personnes confrontées a des images violentes peuvent avoir des réactions moins importantes parce qu’elles sont sensibles à la violence. La baisse de la réaction de la personne n’est donc pas le signe de sa déshumanisation mais au contraire de son empathie
Le livre s’appuie principalement sur des interview publiées dans la presse. Cela donne une bonne idée du traitement médiatique des jeux vidéo problématique. Mais il y a une distance entre ce que les chercheurs publient et ce qu’ils disent dans la presse. Cette différence n’est pas due à de la mauvaise foi mais simplement au fait qu’il s’agit de média différents. Les rares publications scientifiques qui sont citées sont celles qui vont dans le sens de l’auteur
Benjamin Berget ne donne pas les critères de sélection des jeux vidéo polémiques. Sur quels critères ont été choisis les 18 jeux vidéo présentés ? Quels sont les critères qui ont permis le classement dans les deux catégories présentées ? On s’étonne de voir Mortal Kombat dans les jeux vidéo de torture. Il est à mon sens un jeu de baston qui doit son succès à son système de combat et aux fatalities aussi violentes qu’exagérées qui permettent de finir un combat. Quelques définitions sur ce qu’est un jeu vidéo d’horreur ou un jeu vidéo de torture aurait permis d’éviter ces écueils
En conclusion.
Le livre Histoire des jeux vidéo polémiques vol. 2 est une bonne recension des jeux vidéo polémiques mais pas une histoire des jeux vidéo polémiques au sens classique du mot.
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