Psyinfo s’est livré a une expérience intéressante : il tweete les idées et les questions qui lui viennent au fil de la lecture d’u numéro que la revue adolescence a consacré aux mondes numériques. Et comme il commence par le texte que j’ai donné à la revue, cela permet de préciser, en 140 caractères et en billet, quelques points.

L’utilisation des matières numériques est intéressante dans un cadre psychothérapeutique pour plusieurs raisons.

1. La première, c’et qu’elle oblige a réfléchir sur ce qu’est un cadre psychothérapeutique. De quoi avons nous besoin pour construire un cadre psychothérapeutique ? Qu’est ce qu’un cadre psychothérapeutique ? Quels sont les effets que nous attendons ?

2. La seconde, c’est qu’elle nous amène a penser et expérimenter les matières numériques. Après le papier et le tissus, le numérique est la nouvelle matière avec laquelle nous pensons le monde. Cette matière a des propriétés communes avec les matières anciennes, mais elle a aussi des propriétés nouvelles : elle se partage sans se diviser; elle ne garde pas de trace de ses effacements; elle est en même temps mémoire et oubli. Comment les psychés individuelles et groupales s’emparent de ces propriétés ? Quelle est la sensorialité numérique ? Voila ce que ces nouveaux cadres permettent d’explorer

Le groupe et la médiation thérapeutique par ordinateur

J’avais proposé d’utiliser un groupe de jeunes enfants jouant en présence d’un psychothérapeute pour plusieurs raisons, mais la plus importante est sans doute la résistance que j’avais moi même à utiliser les matières numériques. Le raisonnement était le suivant : si la médiation numérique ne fonctionne pas, j’aurais toujours la possibilité de m’appuyer sur la dynamique groupale. J’ai cependant pu constater qu’il est possible d’utiliser le jeu vidéo (ici, Ico) dans le cadre d’une psychothérapie individuelle. Le dispositif est inspiré de la célèbre phrase de D. W. Winnicott, la première tache du psychanalyste est de rendre le jeu possible. La thérapie consiste donc ici a permettre au patient de jouer sous le regard d’un autre. Cela sous entend la capacité à utiliser un objet et non pas se contenter de l’investir; une inter et une intra fantasmatisation suffisante sans être envahissante. Le travail du psychothérapeute est ici de soutenir le jeu – celui de l’écran ne valant que comme image du jeu qui se passe chez le patient.

L’utilisation de l’ordinateur dans un cadre individuel est tout a fait possible. On en trouve de nombreux exemples dans How to use computers and cyberspace in the clinical practice of psychotherapy de Jeri Fink.  Les pages personnelles sont utilisées comme lieu d’expression un peu comme dans les ateliers peinture ou sculpture. Dans d’autres exemples, les navigations sur le web sont prises comme des “associations libres”. La métaphore est excessive, car les liens hypertextes sont loin d’être libres ! mais ce que fait une personne en surfant sur le réseau et ce qu’elle en dit est un reflet de ses intérêts et peut valablement être utilisé dans une psychothérapie

 

Jouer après la thérapie ?

Michael Stora avait construit un dispositif en deux temps. Dans le premier temps, les enfants étaient reçus dans le cadre d’une psychothérapie de groupe. Dans un second temps, les enfants jouaient avec un jeu vidéo. Xanthie Vlachopoulos a utilisé un dispositif semblable avec des des adolescents : un temps de parole, puis un temps de surf sur Internet.

Ce dispositif a le gros désavantage de laisser entendre que le temps de jeu est un temps de récompense du temps psychothérapeutique. En effet, on ne peut pas demander au jeu vidéo d’élaborer les restes de la psychothérapie ! Le travail de la psychothérapie est précisément de conduire a une meilleure élaboration de conflits, fantasmes ou désirs. Le but est d’arriver au minimun de défenses pour le maximun de liberté possible.

Serge Tisseron a exploré un autre cadre à la maison des adolescents de Solene. Le groupe joue et c’est là sa seule tache. Les encadrants (éducateurs, psychanalyste) jouent avec les participants. Le jeu est changé régulièrement et il arrive au groupe de jouer à l’extérieur, dans un cyber-café. C’est un dispositif qui est focalisé sur la recherche de socialisation, et le plaisir d’être ensemble.

Pour moi, la thérapie se fait par le jeu. Pouvoir jouer ensemble est une tache complexe et l’inhibition au jeu un signe sur de dysfonctionnement psychologique. L’indication d’une médiation psychothérapeutique avec le jeu vidéo me semble bonne a chaque fois que l’on rencontre des tableaux d’inhibition si importants que la psychothérapie médiatisée par la parole simple sera mise en échec. Encore faut il préciser : ce qui est psychothérapeutique, ce n’est pas le jeu lui même, mais le type de relation que le patient noue avec le jeu, et ce type de relation est garanti par la présence d’un psychothérapeute.

 

Le but d’une psychothérapie médiatisée par le jeu vidéo

Le but d’une psychothérapie médiatisée par le jeu vidéo est commun a toutes les psychothérapies médiatisées. Il s’agit de donner au patient un objet sur lequel il pourra s’appuyer. Par rapport a la situation psychanalytique “pure”, cela introduit un biais puisque l’objet est présenté par le psychothérapeute. Mais l’expérience que nous avons avec les enfants et celle des différents ateliers psychothérapeutique (terre, conte…) nous a appris que cela

J’attends que les patients a qui sont proposés ce type de médiation soient capable de mêler leurs fantasmes avec les scénarii du jeu, qu’ils puissent s’y projeter sans déformer l’histoire et qu’ils puissent trouver dans l’histoire ou les images du jeu des éléments leur permettant de penser leur propre histoire. J’attends qu’ils puissent être capables de construire le récit de ce qui a été joué tout comme le récit que leur propose le  jeu. J’attends qu’ils puissent être capable de faire des liens entre les différents jeux vidéos qu’ils connaissent, qu’ils s’approprient des éléments de la culture des jeux vidéo.

Etre capable de cela, c’est être capable de fantasmes suffisamment tempérés pour ne pas gêner l’ensemble du fonctionnement psychique. C’est avoir réussi des symbolisations successives, de la sensation à l’émotion, de l’émotion a la pensée, de la pensée a la verbalisation dont les échecs étaient à l’origine de l’indication de la psychothérapie. C’est avoir réussi a introduire du jeu dans sa pensée. C’est être capable de penser sa pensée et de la partager.

C’est là, somme toute, le but de toute psychothérapie psychanalytique.