Shawn WOOLLEY est un jeune homme de 21 ans pris en charge pour des troubles dépressifs, un trouble de la personnalité schizoïde et des crises d’épilepsie. A la suite de conflits avec sa mère, il a été placé dans un foyer de jeunes adultes

Il est sans emploi depuis six mois après avoir fait plusieurs petits jobs. Il commence à jouer à EverQuest environ un an avant son suicide. Le jeu EverQuest et le suicide ne sont reliés que par quelques notes – Shawn WOOLLEY n’a pas laissé de lettre pour expliquer son geste – mais sa mère affirme que tout l’attrait du jeu pour son fils résidait dans les interactions qu’il avait en ligne. Le jeu était aussi une source de détresse. Mme WOOLLEY rapporte que son fils était en pleurs après qu’un joueur lui ait volé les objets de son personnage.

En 1999, Everquest installe durablement un nouveau type de jeu, les Massive Multiplayer Role Playing Games. Il s’agit de la transposition en ligne des jeux de rôles qui s’étaient en leur temps attirés les même critiques que l’on adresse aujourd’hui aux jeux vidéos. Chaque joueur incarne un personnage dont les caractéristiques varient en fonction de l’univers (héroïc-fantasy, cyber-punk …). Chaque personnage appartient à une classe (soigneur, lanceur de sort etc. ) qui a des caractéristiques qui s’ajoutent  à celles de la race du personnage. Dans l’univers de l’héroïc-fantasy, il est par exemple entendu qu’un elfe a quelques dispositions à la dissimulation et qu’un nain est doué pour le travail de la mine. Le jeu consiste à réaliser des tâches (« missions » ou « quêtes ») en utilisant au mieux les compétences de la classe de son personnage. Des points d’expériences sont attribués a chaque tâche réussie, ce qui permet de faire évoluer le personnage ou une de ses caractéristiques. Les groupes de joueurs peuvent être temporaires – les joueurs n’étant ensemble que le temps d’une tâche – ou plus durables. Ces groupes particuliers (« guildes », « super groupe »…) sont plusieurs ou moins structurés. Finalement, qui caractérise le MMORPG c’est 1. la jouabilité par le réseau, 2. la persistance de l’univers, et 3.le nombre important de joueurs connectés simultanément

Everquest provoque rapidement des polémiques. Il est baptisé EverCrack  – ce qui ne sera pas étranger à son succès commercial – et on lui impute le suicide par arme à feu d’un jeune homme, Shawn WOOLLEY (1980-2001). Sa mère Lisa WOOLLEY créera ONline GAmers ANONymous en mai 2002, un site proposant une aide en ligne aux joueurs “dépendants” L’aide est basée sur les « 12 Steps Group » des Alcooliques Anonymes américains [

L’histoire de Shawn WOOLLEY est rapportée dans le EverQuest Companion  par Robert B. MARKS. Shawn WOOLLEY commence à jouer à Everquest en février 2000. En avril, il emménage dans un appartement. Le premier Juillet, Shawn WOOLLEY fait une crise d’épilepsie importante, imputée aux nombreuses heures de jeu qu’il a passé à Everquest les jours précédents. Son patron exige de lui qu’il assume son travail et refuse de le renvoyer chez lui alors que d’évidence, il n’en est pas capable. Shawn WOOLLEY démissionne. Il entre dans ce qui semble être une profonde dépression : il ne sort plus de chez lui, ne cherche pas un nouvel emploi, et consacre tout son temps à Everquest. En septembre, il est expulsé et retrouve la maison de sa mère. Celle-ci prend conseil auprès d’un professionnel qui conclut à l’absence d’addiction. A la maison, le climat se détériore : Shawn
WOOLLEY joue, et sa mère le pousse à trouver un travail. Finalement, elle lui demande de quitter la maison. Il emménage dans un hôtel. En Janvier, suite aux démarches de sa mère, il est reçu dans un centre de traitement et une dépression et un comportement schizoïde sont diagnostiqués. Shawn
WOOLLEY est alors admis dans l’institution. Un traitement médicamenteux et une thérapie de groupe sont appliqués. De Janvier à Février 2001, une amélioration est notée. mais il joue toujours à Everquest en l’absence de sa mère. Lorsqu’elle s’en aperçoit, elle emporte le clavier de l’ordinateur avec elle. Il achète un nouveau clavier pour jouer à nouveau. En juin 2001, Shawn WOOLLEY quitte l’institution pour un appartement thérapeutique. Il rentre toujours chez sa mère pour jouer à EverQuest. Le 20 juin, après une crise d’épilepsie survenue pendant qu’il jouait, il hallucine qu’il est dans le jeu. En août, il s’achète un ordinateur pour jouer à EverQuest. Du 30 octobre au 10 novembre, il ne se connecte pas sur son compte habituel. En Novembre, sa mère souhaite qu’il passe Thanksgiving en famille. Elle tente de le contacter deux semaines avant les vacances, et, n’y arrivant pas elle appelle son superviseur. Elle apprend qu’il n’a pas été vu d’une semaine, et que ses collègues s’inquiètent car il n’est pas du genre a manquer au travail. Entre temps, Shawn WOOLLEY a commencé à jouer sur un autre serveur. Le 13 novembre, il a acheté un pistolet. Le jeudi avant Thanksgiving, Mme WOOLEY va chez son fils. Il  ne la laisse pas entrer et lui affirme qu’il a changé de travail. Le lundi suivant, lorsqu’elle se rend à l’adresse qu’il lui a indiquée, elle apprend que l’on n’a jamais entendu parler de lui. Le vendredi 21 novembre, Mme WOOLEY se rend à nouveau chez son fils et trouve encore porte close. Le lendemain, elle se fait ouvrir la porte par le propriétaire. Shawn WOOLLEY est assis devant son ordinateur. Il s’est tué avec son pistolet. La dernière connexion remonte au 20 novembre

Robert B. MARKS n’est pas psychologue  et beaucoup d’éléments manquent pour se faire une idée plus précise de la dynamique en jeu : on ne sait rien de l’enfance de Shawn, le silence total sur le père est étonnant  (est-il mort ? parti ? à la maison ?), de même que de l’absence de réaction de l’institution lorsqu’il ne donne plus de nouvelles alors qu’il est en appartement thérapeutique. Il s’agit sans aucun doute d’un jeune homme ayant une personnalité fragile, mais rien ne permet de faire un lien entre son suicide et EverQuest, ni de parler d’addiction à ce jeu. Si la souffrance dépressive de Shawn WOOLEY est patente, ce qu’il faisait lorsqu’il jouait à EverQuest nous reste inconnu –  le jeu assurait il une fonction symbolisante et anti-dépressive via le plaisir éprouvé, les multiples contacts avec d’autres joueurs, l’intégration de parties de la personnalité… ou au contraire était il utilisé à des fins de déliaison et de désymbolisation  et/ou comme lieu d’encryptement d’événements douloureux ?