Dans Quand bébé se virtualise… la docteure en psychopathologie et psychanalyse Angélique GOZLAN livre ses réflexions sur l’impact du numérique sur la dyade mère enfant

Comment les bébés sont affectés par ces changements ? Tout d’abord, ils sont présents en ligne par leurs mères qui parlent de leurs grossesses sur les forums. Ensuite, il existe des applications qui interviennent dans le lien mère-enfant. GOZLAN donne l’exemple de Baby Cries Translator qui identifie les pleurs des bébés avec taux de réussite annoncé de 92%. D’autres permettent de tenir un carnet de l’état biologique de l’enfant (prises de biberon, aspect des selles etc), de son évolution psycho-sociale sans oublier toutes les “baby camera” qui permettent de garder un oeil sur l’enfant

Pour un bon développement de l’enfant rappelle Angélique GOZLAN, , on s’attend à ce que la mère (ou un adulte de référence) s’accorde suffisament à ses besoins Cela nécessite de la part suffisamment l’empathie pour sentir les besoins de l’enfant et y répondre avec tact. Ainsi, la mère a l’enfant ses besoins et  contribue à  transformer des états biologiques en états psychique.Dans cette relation, les applications numériques peuvent fonctionner comme un prolongement de la psyché maternelles. Elles ont alors des fonctions contenantes pour la mère dans sa relation avec l’enfant

Alors que cette fonction est positive – une personne moins anxieuse est plus à même de s’occuper d’un enfant – Angélique GOZLAN semble regretter l’introduction d’un objet non-humain connecté dans les relations parents-enfants. Cet objet nourrissait alors un imaginaire de toute puissance, empêcherait les mères de se questionner sur les mystères de la nature humaine. Elles remplacent la patience nécessaire dans les soins donnés à l’enfant au profit d’une maîtrise omnipotente sur l’’enfant. L’ici et maintenant, la subjectivité de la mère, la singularité de chacun seraient gravement affecté par le virtualisation qui déterrioraliet et confond le propre et le commun, l’objectif et le subjectif, l’intime et l’extérieur. Sa conclusion est finalement mitigée. Même si elle s’inquiète des effets problématiques des applications numériques sur le lien primaire mère-enfant, les mères considèrent elle même qu’elles restent le meilleur traducteur des états de leurs enfants

Dans sa discussion sur le role joué par le numérique dans les relations mère-enfant, Angélique GOZLAN ne prend pas suffisament en compte le fait que le maternage est toujours un appareillage. Il n’y a pas chez l’homme de relation naturelle, pure, à l’enfant ou directe à l’autre. Pour le dire autrement, l’être humain est nécessairement et intimement appareillé par la technique. Ses relations à l’environnement et aux autres hommes sont toujours médiatisées. Contrairement aux autres animaux, nous dépendons de techniques assurer la protection de nos corps, la construction de nos maisons, ou plus basiquement notre reproduction. Cela vaut bien évidemment aussi pour le soin donné aux enfants. .La grossesse, la naissance et les premières années de vie de l’enfant sont déterminés par des techniques. Par exemple, au Sénégal, les enfants sont fermement  maintenus dans le dos de leur mère par deux pagnes tandis qu’en France ils sont placés sur le dos dans des poussettes.

Ces pratiques de maternage sont des “techniques du corps” c’est à dire des manières dont les individus d’une culture se servent de leur corps. Il y a des manières de tenir et de s’occuper d’un bébé, mais aussi de s’asseoir ou de marcher qui sont prescrites par les sociétés aux individus qui les composent. Il y a une technique pour s’assoir autour d’un bol de riz et tout comme il y a des techniques pour se tenir à table et bien utiliser ses couverts et ses verres. Les techniques du corps sont variables selon les sociétés et les époques, sont diverses et spécifiques et se transmettent explicitement ou par imitation

L’utilisation du numérique dans le cadre de la relation mère-enfant n’est pas a comprendre comme quelque chose qui viendrait gêner une relation “naturelle” mais comme le signe que de notre virtualisation. Avant le numérique, le maternage était tout autant appareillé. Les parents étaient guidés par des médecins qui leurs disaient comment nourrir, coucher, changer et jouer avec leurs enfants. Ils mettaient leurs enfants dans des poussettes, des parcs et des Youpala et les entouraient d’objets censés soutenir leur développement. Leurs choix dépendaient aussi de leurs expériences et de leurs observations. La situation est identique aujourd’hui. Les parents suivent les prescriptions médicales et les adaptent en fonction de leurs valeurs et de ce qu’il leur est effectivement possible de faire. Aujourd’hui comme hier, les techniques de maternage sont transmises par des prescriptions et des imitations. Et aujourd’hui comme hier ces techniques sont des discours qui ordonnent les représentations du maternage. Si au Sénégal les bébés sont massés, c’est parce que les adultes pensent qu’il faut modeler son corps tandis qu’en France, les actions de maternage sont organisées autour du discours médical qui construisent l’enfant comme un être fragile à protéger.

En soi, le numérique n’est pas plus une bonne nouvelle qu’un problème pour les relations mère enfant. Il est intégré aux techniques de maternage précédentes parce qu’il a la particularité d’être “quasi-oral” ce qui facilite sa transmission de pair à pair et les processus d’imitation. Finalement, ce n’est pas tant les bébés qui se virtualisent que la société toute entière qui se transforme. Cela ne signifie pas que les anciens modes de relation seront abandonnés mais que nous intégrons la donne numérique dans les soins donnés aux enfants de nouvelles manières d’être et de faire

SOURCES

STORK, Hélène. 26. Variations culturelles du maternage. In : Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Presses Universitaires de France, 2004. p. 447-459.

MAUSS, Marcel. Les techniques du corps. Journal de psychologie, 1936, vol. 32, no 3-4, p. 271-293.

GUSTIN, Pascale. Technologies de la naissance: des psys s’ en mêlent…. Le Coq-héron, 2010, no 4, p. 45-59.