Deux docteures en psychologie, Noemie CAPART et Elisa VENTURINI explorent les effets de la télévision sur le très jeune enfant en adoptant un point de vue psychanalytique . Les auteures affirment que la télévision est une violence par excès faite à l’enfant qui impacte négativement son développement soit parce que les images de la télévision le débordent, soit parce qu’elles soulignent douloureusement l’absence de réponse constructives de l’objet face à une situation de détresse. Pour les auteures, le contenu des images importe peu. Quel que soit le programme, il s’agit toujours, selon elles, d’”ersatz d’Autre”. Parce que l’enfant est encore en construction, il ne peut rien tirer de constructif de son expérience télévisuelle.

La conclusion est sans appel “La télévision, moulin à paroles – vides par définition – de contribuer en rien à la constitution du sujet, se résumant à une succession de sensations susceptible d’entraîner la dérive d’images traumatiques”. Les effets de la télévision sont d’autant plus dommageables que l’enfant est appelé à traiter une expérience sans avoir les outils cognitifs pour le faire. Il est par exemple difficile à l’enfant de différencier la fiction et la réalité ou de traiter convenablement les sensations que les images de télévision suscitent en lui.

L’usage prématuré de la télévision est il aussi néfaste que les auteurs l’affirment ? En fait, rien ne permet de l’affirmer. Dans leur revue de la littérature sur cette question Ellen WARTELLA et Alexi LAURICELLA rapportent des éléments contrastés. Si certaines recherches montrent que les images télévisuelles sont inutiles voires néfastes aux enfants, d’autres recherches montrent qu’elles peuvent très positivement contribuer à leur développement.

ZIMMERMAN (2004) a été un des premiers à montrer une association entre la télévision a un âge précoce et des troubles de l’attention mais la reprise des données par FOSTER et WATKINS (2010) ne retrouvent pas cette association. Ces auteurs expliquent la différence de résultats par le fait que la première étude n’a pas pris en compte des données comme le niveau économique et scolaire des parents. Lorsque ces éléments sont pris en compte, le lien entre télévision et trouble de l’attention disparait. Une étude menée par des chercheurs au Danemark a testé à nouveau l’hypothèse de ZIMMERMAN sans trouver d’association entre le visionnage précoce de la télévision (de 8 mois à 3 ans et demi) et des problèmes de comportement lié au trouble déficitaire de  l’attention/hyperactivité à l’âge de 10 et 11 ans.

La télévision semble avoir des effets différents en fonction de l’âge des enfants. ZIMMERMAN et ses collèguent trouvent que le visionnage de DVD chez des enfants de 8 à 16 mois est corrélé a de moins bons scores au Communicative Development Inventory mais ce résultat n’est pas retrouvé lorsque l’hypothèse est testée avec des enfants de 17 à 24 mois. Une étude longitudinale montre sur des enfants de 6 mois à trois ans conclue à une absence de lien entre le visionnage précoce de la télévision et des scores au Peabody Picture Vocabulary Test à trois ans (SCHMIDT et al, 2009)

Les contenus regardés par les enfants ont de l’importance. BARR et ses collègues trouvent que les enfants qui regardent des programmes non adaptés à leur âge ont des fonctions exécutives moins bonne que les autres. D’autres recherches ont montré que les programmes éducatifs peuvent bénéficier aux enfants dans les domaines des compétences sociales, des aptitudes de lecture et des aptitudes à manipuler des chiffres (SCHMIDT et ANDERSON, 2007)

Plusieurs recherches ont montré que les enfants apprennent moins bien avec un écran de télévision que lors d’une interactions réelle. Par exemple, les enfants imitent mieux une séquence de gestes lorsqu’elle est faite devant eux par un adulte que lorsqu’ils la voient à la télévision (BARR, 1999) Cependant, dans certaines conditions, ce déficit peut être réduit partiellement ou complétement. On a par exemple pu montrer que la répétition améliore les performances ou que le déficit lié à la vidé n’existe pas chez les très jeunes enfants. Ainsi, les enfants de 6 mois apprennent aussi bien avec une démonstration live qu’avec une vidéo.

Si de nombreuses recherches ont montré que les enfants peuvent apprendre des programmes de télévision qui sont faits pour eux, le rôle des adultes reste primordial. Les apprentissages de l’enfant sont facilités lorsqu’un adulte l’accompagne l’enfant en soutenant son attention, en lui montrant ce qui est important ou en le questionnant (LEMISH et RICE, 1986)

Au final, les données de la recherche actuelle ne permettent pas de conclure unilatéralement a un effet négatif de la télévision sur le développement des enfants mais il n’existe pas non plus de preuve évidente que les programmes de télévision ont un effet positifs. Dans certaines études, la télévision est liée à des déficits tandis que dans d’autres elle est un marchepied pour construire des compétences. Par contre, elles soulignent le role primordial des adultes car les enfants ne peuvent tirer un bénéfice de leurs expériences télévisuelles que si ils sont soutenus par leurs parents qui leur apprennent comment regarder et comprendre les images de la télévision.

Ce résumé de la revue de la littérature d’Ellen WARTELLA et Alexi LAURICELLA montre que le portrait catastrophique que font Noemie CAPART et Elisa VENTURINI des effets de la télévision ne correspond pas aux connaissances rassemblées par la recherche depuis une quinzaine d’années. Les auteurs construisent un raisonnement théorique qui fait sens mais qui malheureusement repose sur des preuves faibles et incomplète. La télévision, l’enfant, la mère et le père dont elles parlent sont des entités logiques qui sont déplacées pour construire un paysage théorique cohérent. Bien sûr, on admettra avec les auteurs que le trop plein d’excitation est préjudiciable à la construction psychique. On veut bien croire que la télévision inscrive l’enfant dans une dimension narcissique, qu’elle empêche la mise en place de la triangulation oedipienne, que toutes ces images annulent le manque, qu’elles jettent l’enfant dans le monde confus ou la mère est insuffisamment différenciée, qu’elle ne permet pas à l’enfant de voir la beauté du monde et celle de sa mère, qu’elle produit des carences parce qu’elle est un moulin à paroles…. Pour quelqu’un habitué à la théorie psychanalytique, ce sont là des paroles connues. De la même manière que l’on entonne “Oh When The Saints” ” lorsque l’on entend les premières mesures du célèbre gospel, le lecteur habitué aux théories psychanalytique associe automatiquement “WINNICOTT” et “bonne mère”, “traumatisme” et  “FERENCZI”. Le texte fonctionne comme un gospel qui permet a chacun de se faire connaître comme connaissant suffisament l’évangile psychanalytique. Il a pour avantage de faire fonctionner les affiliations imaginaires en réunissant les croyants mais il a le redoutable inconvénient de renforcer l’idée que décidément, les psychanalystes vivent dans un monde ou les faits ont peu de place.

 

Pour les professionnels auxquels le texte est destiné, La violence par excès a pour principal inconvénient de présenter les effets de la télévision d’une manière biaisée et incomplète parce qu’il suit des frayages théoriques au au lieu de s’appuyer sur des faits établis par la recherche scientifique. 

SOURCES

 

Barr, R., Lauricella, A., Zack, E., & Calvert, S. L. (2010). Infant and early childhood exposure to adult-directed and child-directed television programming: Relations with cognitive skills at age four. Merrill-Palmer Quarterly, 56(1), 21-48.

Barr, R., & Hayne, H. (1999). Developmental changes in imitation from television during infancy. Child development, 70(5), 1067-1081.

Lemish, D., & Rice, M. L. (1986). Television as a talking picture book: A prop for language acquisition. Journal of Child Language, 13(2), 251-274.

Schmidt, M. E., & Anderson, D. R. (2007). The impact of television on cognitive development and educational achievement. Children and television: Fifty years of research, 65-84.

Foster, E. M., & Watkins, S. (2010). The value of reanalysis: TV viewing and attention problems. Child Development, 81(1), 368-375.

Wartella, E. A., & Lauricella, A. R. (2012). Should babies be watching television and DVDs?. Pediatric Clinics of North America, 59(3), 613-621.