Les textes sur les communautés se multiplient sur le net. Il sont un défaut … commun : ils font comme si les “communautés” se décrétaient, comme s’il suffisait d’appliquer quelques recettes pour “monter sa communauté” . Il n’en est rien. Nul ne peut décider de créer une communauté tout simplement parce que cela engage d’autres désirs que le sien. Les communautés se découvrent après-coup.

Voici quelques éléments vous permettront de dire si vous êtres (ou avez été) dans une communauté.

Les Grands Evénements. Toute communauté fait référence à une histoire commune dans laquelle chacun peut se reconnaitre. En ligne, ces événements sont souvent très valorisés et présentés comme des mythes. C’est précisément ce qu’ils sont. Ils sont présentés comme de Grands Evénements qui ont changé les choses. Il y a un avant le Grand Evénement. Et un après. Le Grand Evénement introduit la dimension temporelle grâce à laquelle chaque membre peut s’orienter : il est du temps d’Avant, c’est donc un Ancien. Ou bien il est du temps d’Après. C’est donc un nouveau ou un jeu. Pour ceux qui n’ont pas vécu le Grand Evénement, leur connaissance est facteur d’intégration. Pour ceux qui l’ont vécu, c’est l’occasion d’un travail de mémoire et de transmission auprès des autres générations

Ces Grands Evénements se déclinent en plusieurs variantes: La Tromperie et Le Viol, la Mort

Trickster Makes This WorldLa tromperie. Toute communauté connait un événement au cours duquel un membre se révèle différent de ce qu’il est. L’histoire de Alex et Joan est exemplaire. Mais on peut tout aussi bien évoquer  Skeezil qui apparait être un enfant de 14 ans alors qu’il se présentait en ligne avec 10 ans de plus et un métier de programmeur, ou encore Leeza, Guide du Jeu Everquest et dont la fausse mort a secoué toute la communauté ou encore Megan Meier qui se suicide après que après avoir découvert que son tout nouveau amoureux en ligne était la mère de son ancienne meilleure amie. Il s’agit là de ce que les anglo-saxon appellent des trickster, et que Lewis Hyde a si bien analysé dans Tricksker made this word. Toutes les grandes mytthologies comportent une de ces grandes figures : Hermès, Loki, Coyote, ou Eshru ont tous joué des tours pendables aux hommes ou aux dieux, modifiant de façon profonde le monde. Le trickster traverse les frontières et les établit dans le même temps, il est un porte culture et une figure de l’intermédiaire.  Par le désordre qu’il introduit, il permet de rebattre les cartes du jeu social. Il est un travailleurs des jointures : il crée de nouveaux espaces et de nouveaux possibles. Il est créateur de culture.

 Le viol.  Julian Dibbel a raconté avec talent dans  Un viol dans le cyberespace comment les actes de Mr Bungle ont introduit des changements radicaux dans la communauté : après, ce ne sera plus jamais pareil. La figure du viol est aussi rapporté par John Suler dans la partie qu’il consacre à l’histoire de The Palace dans sa monumentale Psychologie du Cyberspace. Pour n’importe quel dispositif collectif, il est possible de donner une histoire de ce type. La récurrence du thème du viol n’est pas spécifique au cyberespace. On la retrouve dans les mythologies

La mort.Vous n’est pas une communauté tant que vous n’êtes pas allé à un enterrement”. La formule est de Howard Rheingold et elle est tout à fait juste. Dans le cyberespace, les rites funéraires installent (parfois brutalement) la réalité dans un monde qui aurait tendance à dériver comme purement imaginaire. Le corps du mort, celui que l’on enterre parfois hors et en ligne dévirtualise et redonne du relief à la corporeité. Nous avons beau mouvoir des avatar en ligne, manipuler des images, ou jouer avec le temps (annulations, sauvegardes) nous sommes mortellement assujettis à nos corps. Le corps, “topie impitoyable” (M. Foucault) est l’envers du cyberespace dans ce qu’il a d’hétérotopique.

 

Le rituelLes rites. Par ailleurs, les rituels funéraires sont précisément ce qui nous spécifient comme communauté humaine. Ils sont “ordonnateurs du social”, “créateurs d’identification” et des “mémoires”  (Le Rituel, 2006). D’une manière générale, les rites donnent des procédures dans lesquelles chacun peut se reposer un moment du travail de penser en adoptant des façons de faire et d’être communément admises. Ils bornent les communautés (rites de passage) et scandent leurs activités et leur temporalités

 

Les membres. Toute communauté s’organise autour du pole indifférenciation – différenciation. Au départ, chacun fait taire ses désirs d’être reconnu pour ses qualités individuelles. Ce qui fait cause commune est mis en avant. Ce n’est que peu à peu que les différenciations s’opèrent. Dans la communauté, certains apportent des contenus, d’autres les consomment, d’autres les commentent. Certains s’adonnent à des opérations de maintenance technique et sociale – parfois elles ne sont pas différenciables comme le nettoyage des forums. L’acceptation de la différence admin / utilisateur sert d’organisateur pour les autres différences. Elle horizontalise l’espace social et contribue à transformer une agrégation de désirs communs en une communauté.

 

Des monuments et des mémoires.  Toute communauté a besoin d’espace différenciés et ceci au moins pour deux raisons. La première est que la différenciation des espaces aide à organiser la différenciation des individus et des taches de travail. La seconde est qu’une communauté a besoin d’un lieu ou fabriquer des choses communes. Il faut entendre le mot dans le sens de ce qu’une vie en ligne peut avoir de banal mais aussi dans le sens d’une collection. Les communautés construisent donc des monuments et des mémoires : ce sont les tutoriaux et aux FAQ qui permettent à chaque un de bénéficier du travail de plusieurs autres.