Un article récent du New-York Times, I Was There. Just Ask Photoshop  évoque une pratique grandissante : la modification des images personnelles. Alors qu’il y a juste quelques décennies, ces modifications était l’apanage d’appareils d’état – on se souvient des trucages qu’affectionnait le KGB -, elles sont maintenant à la portée de tout un chacun. L’article du New-York Times tend surtout à démonter que la photographie n’a jamais été un témoin fidèle de la réalité : le cadrage et l’ éclairage sont déjà des interprétations. Nous le savons, et nous le savons encore plus aujourd’hui puisque nous pouvons modifier les images en enlevant ici des yeux rouges, là une ombre disgracieuse. Il existe même des appareils photos qui filtrent en amont ce qu’ils photographie : ils ne se déclenchent que si le modèle sourit ! Nous avons tous un usage de la photographie numérique, et nous savons tous qu’une image peut être modifiée. La publicité, nos magazines et nos journaux télévisés présentent tous de telles images. Ce qui il y a quelques décennies était présenté comme une falsification est maintenant devenu banal

 

Les racines inconscientes du “ça a été”

Cela n’empêche. Nous avons toujours tendance a prendre la photographie comme témoignage d’un événement, ce que Roland Barthes appelait le “ça a été” Serge Tisseron a prolongé les analyses du philosophe en posant que le “ca a été” barthien renvoie au questionnement que nous avons tous sur notre origine. La psychanalyse appelle “scène primitive” le fantasme selon lequel le sujet se représente sa propre origine. Ce fantasme ouvre sur la différence sexuelle – il faut deux adultes de sexes différents – et sur la différence des générations – les enfants procèdent des parents. Les rêveries devant les photographies s’originent dans les questions de chacun sur ce qui a pu se produire “avant” : ici le déclic, là la naissance. Le “ça a été” procède aussi d’une autre source : la représentation d’une mère attristé de l’absence de l’enfant mais vivante. Devant une image, c’est ce “fantasme dépressif” (Tisseron, 1987) qui est réactivé : l’image n’est pas tellement là pour attester de l’absence de l’objet mais comme un objet dans lequel le sujet peut penser sa place. De ce point de vue, tout travail sur une image est également un travail sur les fantasmes originaires et un travail sur les premières relations.

 

De nouvelles pratiques…

Nous avons cependant affaire a de nouvelles pratiques.

Les choses me semblent différentes selon que l’on rendre visible un événement qui n’a jamais eu lieu ou que l’on rendre invisible quelque chose qui a eu lieu. Dans le premier cas, il s’agit de rendre visible un désir : voir régulièrement ce que ce à quoi on a jamais assisté permet de prendre la juste mesure de ce dont on a jamais bénéficié ou ce qui a manqué. Cela peut être la simple proximité d’un père, comme l’article du New-york Times le rapporte : après la mort de son père, une femme fait retoucher une photo de celui-ci pour être à ses cotés. Elle ne peut pas passer devant sans avoir les larmes aux yeux, c’est-à-dire que la photographie modifiée réalise à la fois un désir : être avec son père, avec ce que cela signifie aussi comme désir de mort dans ce contexte de deuil, et mesurer combien ne pas être ensemble lui manque. En d’autres termes, la photographie est à la fois un obstacle au travail de deuil : elle nie que personne n’a jamais témoigné que le père et la fille aient été ensemble et ait envie de fixer ce moment sur une photographie ; mais c’est aussi son plus grand allié : elle met en exergue ce que être avec un père a d’ important.

De la même manière, rajouter une personne absente a une cérémonie témoigne de l’importance du désir d’être ensemble, et que ce désir soit marqué… par une photographie.

Il est d’autres cas ou un personnage est retiré de l’image. Il est par exemple possible de supprimer toutes trace d’un mari sur des photographies après un divorce, et ceci sans que l’ effacement ne laisse de traces évidentes. Le mécanisme est sans doute le symétrique inversé  de celui qui conduit les amoureux à graver des coeurs sur le tronc des arbres : le désir de ne être marqué par la présence de l’autre en soi. Alors que la profondeur des coeurs serait une image de la profondeur des sentiments de l’amoureux (Tisseron, 1996), l’effacement d’une personne sur une photographie serait une mesure de son désir de voir toute trace de l’ancienne relation abolie en elle. L’effacement vient réparer une relation “ratée” et devant la photographie, on voudrait se souvenir d’un seul aspect de ce qu’elle évoque, par exemple le plaisir des voyages, mais pas l’attitude volage de l’ex-mari à ce moment. Comme souvent avec l’effacement des traces, le mouvement psychique  Psychiquement, l’opération qui est privilégiée est le clivage plus que

 

…et de nouvelles questions

Les nouvelles pratiques que nous avons des images posent de nouvelles questions. Les images sont devenues des objets modifiables, et nous nous servons de ces nouvelles propriétés pour modifier nos états internes. Alors que jusque présent les albums familliaux avaient pour fonction de contenir et rassembler le puzzle des histoires familiales, nous avons maintenant un usage dont la principale fonction est de transformer ces même histoires. Les questions qui se posent concernent donc surtout les destinataires de ces histoires : les enfants. Si les transformations de l’image permettent a l’adulte de réaliser un travail de deuil suffiant, qu’il s’agisse du deuil d’une relation ou du deuil après le décès de quelqu’un, alors il pourra parler librement à l’enfant de ce qui a été modifié sur l’image et en lui. Dans le cas contraire, l’image mentira à l’enfant pas parce qu’elle sera fausse, mais parce qu’elle sera associée à un discours qui occultera toute une partie : l’adulte parlera de l’image, et taira la souffrance que ce qui n’est pas visible évoquera en lui. L’enfant percevra le trouble inconscient de l’adulte, mais manquera précisément d’image pour s’en faire une représentation. Pour peu qu’il lui soit interdit de penser le trouble ressenti chez l’adulte, et nous avons là toutes les conditions pour constituer chez l’enfant un fantôme, c’est à dire le signe d’un défaut dans la transmission psychique dans la chaîne des générations

 

P.S.
Sur les transformation de l’image on lira avec intérêt le billet de ANdré Gunther sur les usages de l’image sur Facebook et Sans retouche ainsi que l’article d’Internet Actu “Comment la retrouche d’image se popularise et transforme notre rapport à la photo”